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3,66

sur 520 notes
En résumé, j'aime assez les adjectifs de la quatrième de couverture, “chaotique et ténébreuse” (je vais quand même en dire un peu plus…)

.

Donc, cette première publication de l'écrivain français est une sombre et ténébreuse histoire, bien que Georges Bernanos s'amuse aussi de façon discrète mais franche de ses personnages : ils sont à certains égards risibles, dans leur lâcheté par exemple, “l'habile et le prudent ne ménagent au fond qu'eux-mêmes” écrit-il.

Les personnages sont d'ailleurs un des attraits principaux de “Sous le soleil de Satan”, roman psychologique s'il en est, ce confessionnal fait livre repose sur l'incarnation d'individus de chair et de sang aux tourments invraisemblables faisant l'objet de prolixes descriptions. L'élan pernicieux et vivace de la jeune “Mouchette” est fait pour marquer, c'est une de ces figures romanesques dont on se souviendra avoir croisé la route, emblématique et pathétique, servie par une première partie dynamique, haletante et inspirée.

“Il sait aussi ce qu'est l'homme : un grand enfant plein de vices et d'ennui.” Mais l'ouvrage n'en demeure pas moins chaotique sur la forme, car le reste du roman nous perd dans le fouillis des méandres de l'examen de conscience de l'abbé Donissan, dont la “timidité faisait un ridicule martyre”. Il est un instant palpable et ses contours bien arrêtés mais nous échappe l'instant d'après… laissant le lecteur surnager dans les eaux troubles et brumeuses de la narration et finalement échouer quelques pages plus loin. Pour ma part, c'est la dernière partie du livre, éclatée façon puzzle, qui m'as vu lâcher le rondin de bois auquel je m'accrochais fébrilement, par respect pour les premiers moments alléchants du livre.

Au-delà de la (dé)construction narrative, ce qui rend (en plus) le roman difficile, voire barbant pour être honnête, c'est que Bernanos s'est enfermé dans un thème dont la pauvreté n'a d'égal que la banalité : la lutte entre l'abbé et Lucifer, dont on nous rabat les oreilles depuis L'Enfer de Dante jusqu'à l'Exorciste de Friedkin.

Pour le lecteur du XXIème siècle, après le ras de marée des films d'horreurs qui ont usé le chapelet de l'imaginaire fictionnel catholique jusqu'au copeau de bois, c'est cette exiguïté binaire et austère de la mythologie chrétienne qui rend las… cela malgré l'injustice de mon jugement anachronique, m'enfin on s'adresse ici aux lecteurs d'aujourd'hui.

Cependant la langue est bonne, l'atmosphère de la campagne artoise, ses nuits, son froid, son vent, sa pluie, sa boue, sa mer du Nord et son embrun en font une lecture parfois immersive. En outre, l'aspect un peu touffu du style laisse le bénéfice du doute à Bernanos sur une possible profondeur sibylline, prétendument insondable pour le béotien, où les mots de grâce, de joie, d'espérance, de désespoir sont érigés au rang de concepts quasi-ésotériques.

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Peut-être suis-je totalement passée à côté de cette oeuvre, peut-être mon avis ne vaut-il que tripette, aussi me bornerai-je à ne livrer que mes impressions de lecture, pour lesquelles, je puis tout de même formuler quelques certitudes.

Je me suis littéralement engluée dans cette lecture pro-religieuse, pas motivante, pas transcendante, pas aussi subtile à mon goût que certains avis me l'avait laissé espérer. Voici une brève description de la structure du roman avec ses trois parties très distinctes :

1) un assez long prologue, étrange mais plutôt tonique, qui retrace l'histoire houleuse d'une jeune fille de seize ans, Germaine Malhorty, surnommée Mouchette. Mouchette, fille d'une famille de notables du nord de la France en fin de XIXè ou au tout début du XXème siècle, découche et s'attire des ennuis auprès des siens. Son impulsivité et son non-conformisme qui confine parfois à la folie lui font commettre de nombreux impairs.

2) une "première" partie, contemporaine du prologue, où l'on fait connaissance avec le personnage principal du roman, l'abbé Donissan, présenté comme une force de la nature mais excessivement gauche, timide et de faible intelligence. Les quatre chapitres de cette partie m'ont parus interminables.

L'auteur force le trait à n'en plus finir sur le caractère soumis (vis-à-vis de sa hiérarchie cléricale), obtus, borné, ultra spartiate de l'abbé et ses incalculables auto-flagellations (au propre comme au figuré). Bref, c'est du lourd et pour la finesse, je la cherche encore et que dire de cette rencontre avec Satan lui-même, passage d'un pathétique à donner envie de refermer le livre pour ne plus jamais le rouvrir.

Donc, notre brave pâte d'abbé a vu Satan dans le blanc des yeux et arrive même maintenant à lire dans le fond des âmes comme dans son bréviaire afin de les délivrer de leur multiples péchés et tentations du mal. C'est ainsi que sa route croise celle de Mouchette, à laquelle il va faire toucher du doigt tout le côté obscur de sa conduite et la plonger dans le repentir, chose qui n'était pas son fort auparavant. Je vous laisse le bonheur de découvrir les détails si le courage vous prend de vous engager dans cette lecture.

3) enfin, une dernière partie faite de quinze très minces chapitres, situés environ quarante ans plus tard, avec l'abbé Donissan au crépuscule de sa vie, avec un épais passé d'exorciste et de saint local, désormais en proie au doute vis-à-vis du salut en général et du sien en particulier, très affaibli, et toujours aiguillonné par l'odieux Satan.

Pour faire court, le ministre du mal arrivera-t-il à faire ployer le saint homme ? L'abbé Donissan, en proie au doute changera-t-il de regard ? C'est ce que vous saurez si vous lisez le livre, mais très sincèrement, si vous ne le savez pas, peut-être n'est-ce pas, selon moi, si grave que cela, car ce n'est vraiment pas une lecture que je conseille, sauf à titre de curiosité, pour les esprits un peu torturés comme le mien, ou mieux, pour les vrais insomniaques qui ont besoin de meubler leurs nuits sans sommeil avec toutes sortes de lectures.

Que penser encore de l'intercession aussi inutile qu'inintéressante du personnage d'Antoine Saint-Marin, écrivain renommé, lui aussi au soir de sa vie, une vie faite quant à elle de jouissance et d'égoïsme, venu en " pèlerinage " dans la petite église de l'abbé Donissan à titre de curiosité et qui y trouvera finalement " la grâce "...

Je ne peux pas non plus m'extasier sur le style, pas désagréable dans l'ensemble mais pas franchement non plus à tomber à la renverse et qui se complique parfois d'une fâcheuse tendance à l'intrication, voire à l'obscur, quand il ne fait pas purement et simplement dans l'abscons.

Impressions de lecture, comme vous l'aurez deviné, sans appel, mais je le rappelle encore une fois, tout ceci n'est que mon tout petit avis, qui avec ses lunettes fumées ne sait que se dorer la pilule sous le soleil de Satan, c'est-à-dire, qu'il ne sait pas faire grand-chose.
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Ce livre bourdonne, il transpire d'une fièvre mystique. C'est une veine que j'aime. Cependant je trouve le style trop boursouflé. Malgré le lyrisme qui par certaines images est proprement foudroyant, il y en a trop. L'envie de tout dire empêche de respirer. Cela gâte malheureusement les moments magnifiques et véritablement grandioses de ce livre.

Les parties sont extrêmement distendues. le récit est tout en description des états d'âme dans les attitudes et les signes, les marques et les objets. L'action est simple. Tout est très psychologique. Mais les descriptions deviennent pâteuses et gluantes ; au lieu d'atteindre la limpidité de la transe sacrée, elles peignent (et c'est bien sûr nécessaire) les errements des âmes et leur avilissement jusqu'à dépasser la mesure et surenchérir, donnant trop souvent dans le grotesque et ratant le sublime qui siérait à un tel sujet.

Mais l'essai est noble. C'est le premier livre de Bernanos, qui déjà laissait paraître une maîtrise à venir dans le souffle et la puissance des images. Il manque surtout la mesure. Bernanos, à n'en pas douter, était une âme généreuse et emportée, une âme inquiète, un nerveux soucieux de frapper les esprits.

Cette histoire, sur le fond, demeure banale. L'abbé Donissan est considéré comme un saint par les autres lors même qu'il se croit un pécheur invétéré et irrémédiablement voué à ne jamais mériter la grâce divine. C'est la classique oscillation entre souillure et pureté. Et que dire de cette apparition du diable ? Grotesque à souhait mais tout de même tellement croustillante, bien qu'elle traîne en longueur. J'ai savouré le portrait de l'écrivain Saint-Marin : truculent, cocasse, tellement juste dans le rendu des nuances et des contours. Il m'est presque apparu devant les yeux. La fin ironiquement grinçante, vaut le détour que prennent ces quelque 380 pages.

J'ai fait plusieurs pauses au cours de cette lecture pour ne pas avoir à sentir l'amertume de l'abandonner. Je le traînais depuis quelques mois, il remuait dans un coin de ma tête. Je relisais religieusement certains passages pour bien m'en imprégner ; des phrases tenaces, qui agrippent et ne lâchent pas l'esprit comme les serres d'un oiseau de proie. Parce que ce n'est pas une lecture facile et digeste. C'est un livre qui, malgré tous ses défauts et son épaisseur, élève et fait entrevoir vigoureusement une dimension fascinante, sans pour autant provoquer la transcendance.

Une lecture douloureuse mais que je suis content d'avoir accomplie, il est de ces livres que l'on est satisfait d'avoir lus non pour pouvoir les rayer de sa liste mais, on ne sait trop comment, parce qu'on ne se rend compte qu'à la fin des bienfaits que le temps et l'énergie qu'on y a consacrés nous ont valus. C'est comme faire l'ascension d'une montagne en pleine nuit pour atteindre le sommet et admirer le soleil se lever.

Un livre viril, plein de relief et de fougue, où le sacré semble palpable et paraît palpiter lourdement dans l'air qui enveloppe ces personnages, comme un génie fatidique contre lequel rien ne sert de lutter, l'insaisissable et inéluctable destin qui échoit à cet animal tourmenté qu'est l'homme.
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C'est une superbe - et ô combien vertigineuse - plongée dans les tourments de la foi et de l'âme humaine que nous offre ici Georges Bernanos. Oeuvre complexe et profonde, ce roman noir dépeint avec une grande finesse et d'une plume singulière le combat d'une vie, l'affrontement éternel entre la Lumière de Dieu et la Fausse Aurore du Diable.

Voici donc le jeune abbé Donissan, simple vicaire de campagne doté d'une humilité touchante et pourtant si peu sûr de lui, errant timidement dans ce monde sans parvenir à le comprendre. Il devra, pourtant, rencontrer le Diable. Ce compagnon qui sera celui de toute une vie, plongeant dans le tourment une existence déjà perdue.

Je pourrais, je le pense, passer des heures à évoquer le lourd parfum de ténèbres qui s'échappe de ce récit. Ces accents de tristesse, d'oubli, de souffrance, ces notes aiguës de solitude et de désespoir, ces froides images de pluie, de nuit, l'air glacial des Églises et la noirceur de l'étroit confessionnal.

C'est le récit violent d'un grand coeur ouvert à l'Amour de Dieu, qui peu à peu s'étiole et se déchire sous les cris incessants, les souffrances des âmes qu'il voit et console sans jamais les guérir.

Mais, au delà de la fiction, s'exprime toute la personnalité de l'auteur, dont les interrogations, les luttes et les doutes ne sont autres que ceux, si nombreux, du prêtre torturé. Et peut-être les nôtres, également. Car, si l'abbé n'a de cesse de "descendre en lui même", afin d'explorer toutes les strates de son être, c'est à l'intérieur de nous-mêmes que l'auteur nous invite à plonger, partageant tout à coup nos craintes, nos errances, et le mystère de nos existences.







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Sous le soleil de Satan est un roman vraiment particulier. Il s'en dégage une atmosphère et une ambiance particulièrement singulières. L'écriture de Bernanos y est d'ailleurs pour beaucoup. Parfois fluide, parfois lourde et pesante, elle entraîne le lecteur dans différentes phases.

Ainsi le début du roman, consacré à l'histoire de Mouchette se lit aisément. Il nous conte la vie de cette jeune femme en proie à la passion et à la tentation qui la pousseront irrémédiablement dans les baffons de l'âme humaine.
La deuxième partie, « la tentation du désespoir » s'attache au personnage de l'abbé Donissan, jeune prêtre tourmenté, complexe, profondément attaché à sa fonction mais ô combien mal apprécié par sa hiérarchie cléricale. Ce coeur du roman est long et tortueux. Il contient de magnifiques passages sur la dualité humaine, perpétuellement en équilibre entre le bien et le mal. Il faut s'accrocher car la lecture devient difficile et sinueuse. Les phrases sont bien souvent longues et la qualité lexicale nécessite une certaine attention du lecteur (je parle en connaissance de cause). Clairement nous ne sommes pas dans de la lecture dite de détente. Sûrement ma méconnaissance du clergé m'a fait passer à côté d'éléments importants.
Cependant Sous le soleil de Satan n'en reste pas moins un roman marquant, une lecture difficile mais le jeu en vaut la chandelle.
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Incontournable en effet ce roman puissant et troublant, dont la religiosité extrême peut déranger mais dont la portée dépasse largement les portes de l'église.

Il y a dans ce jeune vicaire, parce qu'il est rustre et pur, dans son mentor, parce que sa bonté fondamentale dépasse les dogmes, et dans cette satanique Mouchette, parce qu'elle est si jeune, des personnages au caractère universel qui viennent nourrir pour longtemps la réflexion du lecteur sur l'essence humaine et la vanité de l'opposition du Bien au Mal qui coexistent en chacun.
Une vérité dont le poids est si lourd à porter par le vicaire devenu prêtre, heurte si violemment son désir de sainteté, qu'il est impossible de ne pas compatir à sa souffrance.
Un très grand roman qui dérange et interroge.
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Editions : le Livre de Poche - 1er Janvier 1957 - N° 227

ISBN : 978-2253003458

Eh ! bien, je vais vous dire : malgré ses allures parfois un peu brouillonnes (à mon sens personnel mais que l'on doit probablement au fait qu'il s'agit, il me semble, du premier roman de l'auteur), un livre comme ça, on n'est plus capable d'en faire aujourd'hui, alors que, justement, il faudrait en faire. Non pour attirer vers la religion catholique, que Bernanos défend pourtant avec fougue mais pour persuader les gens, peu importe leur religion pourvu qu'ils aient l'esprit ouvert, que le Mal est comme une maladie nosocomiale et qu'il n'est jamais aussi à l'aise que lorsqu'on se croit à l'abri, abusé par l'hôpital aseptisé où nous passons, par l'impalpabilité du phénomène, par cet air simple et humble surtout que sait se donner le Mal (vous rappelez-vous la simplicité merveilleuse du Diable incarné en Garrigou dans "Les Trois Messes Basses" d' Alphonse Daudet qui, justement par sa simplicité, conduit droit le malheureux Dom Balaguère et ses fidèles à leur perte ? Avec un péché capital, peut-être, mais très simple : celui de la gourmandise ... ) et, dans notre Histoire, la simplicité tranquille d'un Hitler ou d'un Staline. "Le Mal est simple," nous met en garde Bernanos. "Notre plus grand tort, à nous, humains, c'est de l'imaginer dressant d'invraisemblables plans de campagne pour s'insinuer dans notre âme et guider notre comportement : une stratégie simple et nette, Satan ne souhaite pas autre chose même s'il est parfois contraint à la complexité."

Ce que Bernanos ne dit pas comme je l'écris ici - bien qu'il souligne que Satan est le Maître de la Matière et donc, de ce monde - c'est qu'il a introduit ce virus en nous, virus qui ne manque jamais de s'éveiller un jour, un peu, beaucoup et, pour certains malheureux, avec une passion dévorante qu'ils ne pourront plus étouffer. Oui, il est prêt à s'éveiller en chacun de nous et peu importe, répétons-le, notre couleur de peau et notre religion, voire notre athéisme ou la franc-maçonnerie bête et méchante (pardon, Cavanna ! ) de certains. le Mal nous aveugle comme nul autre et Dieu, Lui, qui n'est pas le Seigneur de la Matière, ne peut que regarder et nous prêter la main, parfois et même souvent en trichant un peu mais qu'importe ? C'est pour la bonne cause.

"Sous le Soleil de Satan" se divise à peu près en trois partie : l'Histoire de Mouchette (le personnage de Germaine Malhorty n'ayant rien à voir avec la tendre et fragile Mouchette de "La Nouvelle Histoire de Mouchette", publiée plus tard), l'Entrée en Scène de l'Abbé Donissan, personnage d'une puissance extraordinaire et enfin, le Décès de l'abbé Donissan, surnommé "le saint de Lumbres" bien que, selon le Vatican, un seul miracle puisse lui être imputé en toute justice. Il y a des hauts et des bas dans tout ça, on pourrait reprocher à l'auteur un manque de fluidité mais il ne faut pas oublier que Bernanos se situe, en tant qu'auteur, au carrefour de plusieurs courants littéraires, entre le Naturalisme finissant et le Symbolisme d'une part, et la légèreté libertine de la Belle Epoque ainsi que le désir de casser les moules et d'en créer d'autres du Modernisme qui s'avance d'autre part. de là vient sans doute l'étrangeté d'un style qui oscille entre naturel et excès, qui ose non seulement des scènes (comme la rencontre, digne d'une image d'Epinal, de Satan en maquignon normand et de Donissan, en pleine nuit) que, justement, un autre n'aurait pu ni su oser, mais aussi la mise noir sur blanc d'une théorie spirituelle que l'auteur, malgré tout son talent, ne réussit pas à fixer comme il le devrait. Peut-être par peur de tomber dans le ridicule ? Peut-être parce que le tourbillon de ses idées lui fait peur ? Pour une tout autre raison ? Je ne saurais trancher et ce n'est pas mon rôle.

Lectrice, je lis. Et "Sous le Soleil de Satan", je l'ai lu, à haute voix, partagée entre la surprise, la déception, l'enthousiasme, l'incompréhension, le doute et, bien sûr, comme une fille d'après Vatican II - ce qui signifie que le Dieu dont parle Bernanos et auquel croit Donissan est plus proche de la Bible que le mien. Maintenant, est-ce un grand livre ? Oui. Mal fait peut-être mais oui, c'est un grand livre. Ça semble aller à due et à dia - le Diable, sans doute, qui espère bien nous voir abandonner avant la fin ce qu'il aimerait nous voir considérer comme un fatras sans conséquence - mais une fois à la fin de l'ouvrage, même si l'impression brouillonne demeure, on sait qu'on a eu le privilège de lire l'un de ces "grands" livres qui intriguent, sèment parfois le doute mais pour mieux nous forcer à réfléchir par nous-même.

Le relirai-je ? Peut-être. Je vais d'abord goûter au "Journal d'un Curé de Campagne", nous verrons ensuite. Il y a aussi "Les Grands Cimetières Sous la Lune", qu'il ne faut pas oublier. Bref, nous avons du pain sur la planche ! ...

Mais revenons à ce Soleil de Ténèbres où nous voyons tout d'abord la jeune Germaine - dite Mouchette - Malhorty se déclarer enceinte des oeuvres du châtelain du coin, puis se rendre nuitamment chez ce dernier après que la chose ait été découverte par le père Malhorty, ... et assassiner le père de son enfant. Non pas froidement ou même parce qu'elle craindrait une brutalité de sa part mais avec une haine que ni l'attitude du hobereau, ni l'intelligence de Mouchette ne sauraient expliquer. Oh ! Nous ne sommes pas dans un film d'épouvante d'aujourd'hui mais, pour un peu, les phrases cependant normales de Bernarnos, où la sobriété discrète alterne avec une forme de grandiose, nous convaincraient de la possession de Mouchette en cet instant. Elle tue pour tuer plus que par vengeance, pour le plaisir de tuer et peut-être aussi par orgueil, pour être la plus forte, la dominante ...

Avec la seconde partie, nous entrons dans le monde du doyen de Campagne - tel est le nom du village où se situe l'essentiel de l'action - l'abbé Menoux-Segrais, qui s'interroge énormément sur un jeune prêtre qu'on lui a confié : l'abbé Donissan. Comme il l'avoue à un visiteur, prêtre d'un certain âge comme lui et responsable d'une paroisse voisine, Donissan, grand, carré, avec ses grands pieds patatuds, sa soutane toujours plus élimée, son humilité qui confine à la mortification volontaire (de fait, Donissan s'applique bien cilice et fouet pour dompter sa chair robuste) a "quelque chose." Quelque chose qui pourrait faire de lui un saint bien que, Menoux-Segrais l'affirme et le sait, ce ne soit pas là le but conscient qu'il recherche dans sa vie terrestre. L'ambition, Donissan ne sait pas même ce que c'est. Mais attention ! Ce genre de personnes, Satan éprouve un grand plaisir à les torturer et à les mener dans l'impasse. Quelle voie choisira Donissan ? Se laissera-t-il pousser sur la mauvaise par un Lucifer qui veut son âme ou se contentera-t-il, en souffrant mille morts, de continuer sur l'autre chemin, vers le Bien ?

Se placent dans cette partie trois scènes - dont l'une est très longue - qu'il faut un réel génie d'écrivain et une foi tout aussi réelle pour réussir à la fois sans sombrer dans le ridicule et, en même temps, éveiller une inquiétude plus ou moins vague chez celui qui lit. Tout d'abord, la rencontre, sur une route déserte et nocturne, de Donissan avec Satan-Lucifer-Le Mal, appelez-le comme ça vous chante, qui a pris tout d'abord la forme d'un maquignon mais qui, Donissan s'en rendra compte, peut aussi bien prendre la sienne propre. Les cornes, les sabots et la queue piquante, c'est bien joli, tout ça mais un peu encombrant . Dans un sabbat, passe encore mais pas face à un abbé Donissan.

A ce long et très symbolique passage, succède une rencontre avec Mouchette, qui cherche à tenter charnellement Donissan et puis qui, rentrée chez elle, se suicide. Appelant le prêtre à son chevet, elle demande à celui-ci de la déposer devant l'église du village pour qu'elle y expire. Et Donissan accomplit son voeu, provoquant le scandale que l'on devine.

Et puis, bien sûr, il y a l'enfant mort qu'un instant, un instant seulement, Donissan croit avoir ressuscité par la volonté de Dieu alors que ce ne fut qu'une illusion maligne.

Il faut être sacrément fort pour traiter ce genre de choses sans faire rire le lecteur, surtout de nos jours. Vous me direz que l'époque n'était pas la même mais si, aujourd'hui, on peut avoir envie de rire, n'est-ce pas, dans le fond, parce qu'on préfère ne pas réfléchir et pour éloigner la peur qui s'installe dans nos coeurs ?

Sur la troisième partie, je ne m'étendrai guère, n'ayant pas saisi le pourquoi de l'apparition (hum, toute terrestre, en voiture, je vous rassure ) de Saint Morin, un écrivain parisien qui pourrait (?) faire penser à Anatole France, venu, par curiosité, visiter "le saint de Lumbres." Un saint que, tout le monde a beau chercher, on ne trouve nulle part. Finalement, on ouvre la porte du confessionnal : son cadavre s'y trouve, frappé probablement par un AVC ou quelque chose du même type.

Gagnée à Dieu ou au Diable, cette âme à qui ne manquèrent pas les tourments et qui vient de s'évader de sa prison terrestre ? Bernanos nous laisse juge. Personnellement, je penche pour la première solution. le malheureux Donissan a bien gagné l'indulgence divine.

Maintenant, pourquoi lire ce genre de livres ? Je ne sais pas . Par curiosité, pour comprendre le respect inspiré encore par le nom de Bernanos (enfin, essayer en tous cas), pour attendre peut-être que la Vérité qu'il renferme nous apparaisse pleinement.

Et puis, parce qu'il fallait oser et que Bernanos l'a fait - et très bien fait. Et que l'audace, c'est le grand saut dans le Vide et c'est aussi une manifestation de la Quête qui est la nôtre à toutes et à tous. Peut-être aussi parce que l'époque se prête à ce genre de lectures qui n'est pas, je le souligne, du prêchi-prêcha et met fortement l'accent sur le Doute comme composante de la Foi.

A lire, certes. Mais à lire à son heure. La vôtre n'est peut-être pas encore venue mais ne vous découragez pas : la mienne a tardé cinquante-six ans. ;o)
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« Dieu n'est pas là, Sabiroux ! »

Nietzsche nous annonçait la mort de Dieu. Bernanos nous apprend qu'il s'est effacé au profit du Diable.

« - Prince du monde ; voilà le mot décisif. Il est prince de ce monde, il l'a dans ses mains, il en est roi.
… Nous sommes sous les pieds de Satan, reprend-il après un silence. Vous, moi plus que vous, avec une certitude désespérée. Nous sommes débordés, noyés, recouverts. Il ne prend même pas la peine de nous écarter, chétifs, il fait de nous ses instruments ; il se sert de nous, Sabiroux. »

Alors que rien ne laissait augurer de ses capacités à endosser efficacement la charge de prêtre, l'abbé Donissan semble soudainement touché par la grâce divine et se construit peu à peu une réputation De Saint.

Pourtant, Sous le soleil de Satan est loin d'être le récit d'une ascension mais bien plutôt celui d'une chute, celle de l'abbé Donissan qui, après avoir cru en Dieu, se laissera envahir par le désespoir lié à son impuissance dans la lutte contre le péché, contre Satan.

Le roman se découpe en 3 parties.
La première est consacrée à Mouchette, une jeune fille de 16 ans, très jolie. Mouchette plaît beaucoup aux hommes mais comme de nombreuses femmes, elle cherche surtout un homme capable de l'aimer sincèrement et qui ne verra pas en elle qu'une occasion de se donner du plaisir. Malheureusement, elle ne rencontre que des amants peu sérieux. Sa haine et sa rage vont croissants et la poussent à commettre l'irréparable.
Dans la deuxième partie, nous faisons la connaissance de l'abbé Donissan et du prêtre chargé de son instruction. D'abord peu convaincu par les aptitudes de son protégé, il cherchera par la suite à le mettre en garde et le conseiller afin de faire face à sa nouvelle et sainte destinée. En effet, l'abbé Donissan se révèle être touché par la grâce divine. Emporté par de grands élans mystiques, l'abbé pousse sa ferveur à l'extrême jusqu'à mettre sa santé en péril : jeûnes prolongés et répétés, auto-flagellations, port du cilice et autres mortifications destinées à l'expiation de ses fautes. La rencontre entre l'abbé Donissan et l'Ange Déchu en personne convainc le jeune prêtre dans sa détermination à lutter pour le salut des âmes que Dieu lui a confiées.
Dans la troisième partie, il se rend compte de la supériorité écrasante de son adversaire. Il ne va pas jusqu'à renier Dieu mais comme le fera remarquer un de ses visiteurs :
« Quel dommage […] qu'un tel homme puisse croire au Diable ! »

La sainteté de l'abbé Donissan ne repose finalement sur pas grand-chose. de lui semble irradier une sorte d'aura, il a vu le Diable, il a eu quelques visions mais tous ses efforts pour faire le Bien semblent vains. Il s'épuise même à la tâche.

« Son extérieur est d'un saint, et quelque chose en lui, pourtant, repousse, met sur la défensive… Il lui manque la joie… »

L'abbé Donissan m'a fait l'effet d'un prophète en négatif plutôt que celui d'un saint. Sa rencontre nocturne avec Satan alors qu'il est perdu dans la campagne déserte m'a rappelé Moïse et le Buisson Ardent. La façon dont Bernanos évoque ses mortifications invite au parallèle avec Jésus, à de nombreuses reprises d'ailleurs, il mentionne la croix portée par l'abbé. La tentative de résurrection du jeune garçon s'y rattache également. A la différence que chez l'abbé Donissan, tout bascule du mauvais côté.
Son mysticisme, qui est censé le transcender et lui procurer la force et la joie, ne s'accompagne que de désespoir et d'épuisement.

Bergson, dans son ouvrage Les deux sources de la morale et de la religion, définit ainsi le mysticisme :

« C'est, désormais, pour l'âme, une surabondance de vie. C'est un immense élan. C'est une poussée irrésistible qui la jette dans les plus vastes entreprises. Une exaltation calme de toutes ses facultés fait qu'elle voit grand et, si faible soit-elle, réalise puissamment. Surtout elle voit simple, et cette simplicité, qui frappe aussi bien dans ses paroles et dans sa conduite, la guide à travers des complications qu'elle semble ne pas même apercevoir. Une science innée, ou plutôt une innocence acquise, lui suggère ainsi du premier coup la démarche utile, l'acte décisif, le mot sans réplique . L'effort reste pourtant indispensable, et aussi l'endurance et la persévérance. Mais ils viennent tout seuls, ils se déploient d'eux-mêmes dans une âme à la fois agissante et agie , dont la liberté coïncide avec l'activité divine. Ils représentent une énorme dépense d'énergie, mais cette énergie est fournie en même temps que requise, car la surabondance de vitalité qu'elle réclame coule d'une source qui est celle même de la vie. »

Chez Donissan, c'est l'effet complètement inverse. Non pas une surabondance de vie ni un immense élan mais plutôt un lourd fardeau, une croix démesurée à porter. L'exaltation n'est pas calme, elle est furieuse et paniquée. Il aperçoit clairement les complications et plie sous leur poids. Même s'il trouve souvent les mots justes, l'énergie que cet exercice exige de lui le fatigue au point que ses paroles finissent par ne plus atteindre leur but. Ainsi, il ne parvient pas même à sauver l'âme de Mouchette.
C'est un abbé écrasé par la puissance non pas divine mais satanique. Lutter contre Satan est impossible. Pour cela, il faudrait faire preuve de ruse et la ruse n'est-elle pas un des attributs du Diable ? Lutter contre lui, c'est déjà lui faire allégeance. le défier, comme l'a fait l'abbé, un sursaut d'orgueil et donc aussi un péché. Il semble même être venu à penser que Dieu lui-même est désarmé face à celui qui lui a désobéi. Dieu se serait alors retranché dans une forteresse dont il a fait des hommes les remparts. Ils absorbent tout le Mal dispensé par le Diable en commettant péchés sur péchés pour ensuite les déverser et s'en décharger au confessionnal. Face à ces déferlantes ininterrompues, l'abbé tombe dans un profond désespoir. La lutte est inégale et Satan n'a que faire de troubler le commun des mortels, il s'attaque aux meilleurs d'entre eux :

« Pourquoi disputerait-il tant d'hommes à la terre sur laquelle ils rampent comme des bêtes, en attendant qu'elle les recouvre demain ? Ce troupeau obscur va tout seul à sa destinée … Sa haine s'est réservé les saints. »

« Où l'enfer trouve sa meilleure aubaine, ce n'est pas dans le troupeau des agités qui étonnent le monde de forfaits retentissants. Les plus grands saints ne sont pas toujours les saints à miracles, car le contemplatif vit et meurt le plus souvent ignoré. Or l'enfer aussi a ses cloîtres. »

Voilà ce que j'ai compris de ce roman. Je suis peut-être totalement à côté de la plaque. Je ne vous cache pas que ma lecture a été laborieuse et que moi aussi j'ai du lutter pour en venir à bout. Ce texte de Bernanos a la réputation d'être assez difficile et je comprends maintenant pourquoi. Bernanos parsème son récit de longs passages qui me sont restés complètement abstrus. J'ai eu l'impression qu'il exprimait quelque chose de très intime, peut-être vécu mais en tout cas très personnel et donc impossible à comprendre sans être dans sa tête. En tant que lecteur, on reste totalement à l'écart, en spectateur perplexe. le style m'a parfois aussi posé problème. Non pas que ce soit mal écrit, il y a des lignes magnifiques, mais j'ai du m'y reprendre à plusieurs fois sur certaines phrases, la construction syntaxique m'échappant totalement.
Pourtant ce roman est magistral par sa thématique et l'intrigue mais j'ai trouvé le traitement terne. On ne ressent absolument pas la tension dramatique à laquelle pourtant le sujet se prête bien volontiers. Ça manque de puissance d'évocation, de force.

Sous le soleil de Satan est un roman très complexe et difficile d'accès selon moi ( je ne suis peut-être pas assez armée pour l'aborder ). J'ai le sentiment qu'il dit beaucoup de choses mais qu'elles m'échappent. Par exemple, il me semble que Bernanos a voulu dire quelque chose au sujet de la vieillesse, il insiste beaucoup là-dessus mais je n'ai pas compris où il voulait en venir.

Cependant je ne suis pas complètement fâchée avec Bernanos bien qu'il n'ait pas su me séduire cette fois-ci. J'ai cru comprendre que le journal d'un curé de campagne était plus accessible et transcendant. Je lui redonnerai donc sa chance.

Si vous avez lu Sous le soleil de Satan et que vous avez des éclaircissements à m'apporter, n'hésitez surtout pas à m'en faire part.


« - Un Saint ! Vous avez tous ce mot dans la bouche. Des saints ! Savez-vous ce que c'est ? Et vous-même, Sabiroux, retenez ceci ! le péché entre en nous rarement par force mais par ruse. Il s'insinue comme l'air. Il n'a ni forme, ni couleur, ni saveur qui lui soit propre, mais il les prend toutes. Il nous use par-dedans. Pour quelques misérables qu'il dévore vifs et dont les cris nous épouvantent, que d'autres sont déjà froids, et qui ne sont même plus des morts, mais des sépulcres vides. Notre-Seigneur l'a dit : quelle parole, Sabiroux ! L'Ennemi des hommes vole tout, même la mort, et puis il s'envole en riant. »


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Sous le soleil de Satan et le Journal d'un curé de campagne se confondent sous l'insigne d'un même élan catholique qui anime Georges Bernanos dans les tréfonds de ses propres emportements spirituels. Les deux histoires se confondent en se construisant autour des interrogations spirituelles de personnages. Leurs controverses intérieures nous font comprendre que Bernanos se projette en envisageant des modes d'existence éloignés des conceptions traditionnelles. le roman devient alors un lieu d'expérimentation et de conversation personnelle. Tant mieux si le dialogue de Georges Bernanos parvient ensuite à rejoindre celui que le lecteur tient avec ses propres contradictions. Les risques que cette connivence ne se produise pas sont faibles car le Soleil de Satan propage des controverses intérieures qui ne sont pas si hermétiques qu'elles ne le semblent de prime abord, une fois que l'on aura ôté aux occultismes de Georges Bernanos tous les mystères essentiellement littéraires qui se chargent d'éloigner le lecteur du sens premier du texte.


Comme dans le Journal d'un curé de campagne, il faudra s'accommoder des fantaisies narratives qui semblent relever davantage du plaisir investi par Georges Bernanos au moment de l'écriture que de la véritable nécessité intellectuelle. On retrouve souvent un manichéisme caricatural entre les personnages ecclésiastiques et les autres, qui ne nous fait aimer ni les premiers, ni les seconds, et l'ensemble des faits est rapporté avec une complaisance dans les images stéréotypées qui contredit l'aspiration sur-morale de Georges Bernanos.


« Certes, il a contemplé la mort aussi souvent que le plus vieux soldat ; un tel spectacle est familier. Faire un pas, étendre la main, clore des doigts la paupière, recouvrir la prunelle qui le guette, que rien ne défend plus, quoi de plus simple ? »


Et Georges Bernanos brandit fièrement, à plusieurs reprises, un personnage qu'il imagine exceptionnel parce qu'identique à lui dans ses quêtes spirituelles, semblant perdre ainsi de vue l'objectif initial de sa démarche. Satan ne cesse jamais d'agir. Chez Georges Bernanos, il prend la forme de la tentation esthétique et se perd dans une déferlante de stéréotypes qui voilent malheureusement quelques-unes de ses puissantes intuitions.

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" Sous le soleil de Satan", est le premier roman publié par Georges Bernanos .
le personnage principal, central de cette oeuvre est l' abbé Donissan .Ce dernier, jeune prêtre, est tourmenté par la chair et par l' impiété de sa paroisse, une galerie de personnages brûlés par la souffrance et le mal. Mouchette,jeune fille broyée par le mal est devenue, après une rencontre de l' abbé avec le diable une nuit sur un chemin creux des monts d' Artois, la soeur que Dieu lui
donne, est une des figures les plus troublantes de ce récit .
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