De toute façon, cela faisait si longtemps qu’elle était seule qu’elle survivrait probablement à cette soirée ! Un thé, une douche, un somnifère et demain la semaine recommencerait. Il n’y avait pas de quoi dramatiser. Valérie sortit le sachet de thé et le jeta dans sa poubelle à compost. Puis, elle rouvrit la fenêtre pour appeler son siamois.
– Sénèque ! Sénèque !
Elle scruta un moment les ténèbres, mais ne vit rien venir. Déçue, elle referma la baie vitrée. Son chat rentrerait le lendemain, certainement de mauvais poil, mais il n’en mourrait pas. En outre, elle était presque certaine qu’il avait des spots pour se réchauffer car, lorsqu’il revenait de ses nuits de vagabondage, son pelage sentait souvent le feu de cheminée…
Sa respiration s'accéléra. Elle s'entendait respirer trop fort, beaucoup trop fort... Il fallait absolument qu'elle se calme ! Elle ferma les yeux et tenta de se concentrer sur quelque chose d'agréable. Dans la situation dans laquelle elle se trouvait, c'était vraiment un exercice difficile.
p. 15 Est-ce qu'un Dieu un minimum censé pouvait faire ce genre de choix ? Ou était-ce simplement la faute à "pas de chance" ? Se trouver au mauvais endroit au mauvais moment ? Si c'était ça, alors l'existence était vraiment absurde. La jeune fille se réveillait chaque matin avec ces mêmes questions et, afin de fuir ces ruminations au plus vite, elle consultait l'écran de son téléphone dès qu'elle ouvrait les yeux. Ainsi, avant même d'avoir mis un pied par terre, les nouvelles du monde affluaient et envahissaient son cerveau sans y laisser la moindre place pour ses émotions personnelles.
Hâte-toi de bien vivre et songe que chaque jour est à lui seul une vie.
Parfois il ne faut pas que tourner la page il faut carrément changer de livre.
– Sénèque ! appela-t-elle.
Mais une fois de plus, le siamois n’était pas là. Elle se remémora la violence de son agression de la veille et vérifia que les fenêtres étaient bien fermées. Durant tout le trajet en voiture, elle avait rêvé de se retrouver seule et, maintenant, ça lui paraissait presque insurmontable. Elle aurait tant voulu que son chat soit là pour pouvoir enfouir sa tête dans ses poils soyeux et respirer les parfums de la forêt qu’il avait certainement arpentée dans la journée.
Sénèque s’était lové sur ses genoux et elle était obligée de tenir les feuilles de son dossier bien haut pour pouvoir les lire. Que ne ferait-elle pas pour laisser son chat dormir ?
Elle se déshabilla, éternua, mit ses affaires à sécher sur le radiateur de l’entrée et fila en sous-vêtements jusqu’à la salle de bains. Sénèque, son chat siamois, dormait dans le lavabo. En l’entendant arriver, il ouvrit un œil et la regarda passer sans bouger.
– Tu sais que tu es le plus beau mâle des environs ? lui demanda-t-elle.
Pour toute réponse, le siamois ferma deux fois les yeux. C’était sa manière muette de lui montrer son affection.
Désormais, sourire était pour elle une marque de politesse. Plus que ça même, une marque d'humanité.
Valérie se sentait oppressée. Sénèque la sortit de sa torpeur morbide en venant se caler contre ses mollets. D’un bond élégant, le siamois grimpa sur le comptoir et vint frotter son museau tiède contre sa joue. Elle éteignit la radio. Il se mit à ronronner.
– Toi, tu n’as pas de problème existentiel, pas vrai mon beau ?
Son chat miaula plaintivement.
– C’est ça ton problème existentiel ? L’appel de la croquette ?
Nouveau miaulement intéressé et deuxième salve de câlins. Valérie sortit de sa léthargie et attrapa le paquet de croquettes dans le placard. Elle en versa une bonne ration dans la gamelle en faïence bleue barrée du mot CAT, inscrit en lettres capitales.