Flash info : « À Blanquefort, hier soir, un homme a tué son épouse de 17 coups de couteau sous les yeux de sa fille à leur domicile ». Info triste et banale, après une mine horrifiée et une pause de quelques secondes, nous reprenons nos activités normales. Un féminicide, comme tant d'autres, comme celui d'avant-hier, comme celui d'hier, comme celui de demain. Une longue litanie, un décompte sans fin.
Des anonymes, des Madame Toutlemonde, notre voisine, notre amie, notre collègue, notre soeur, nous-mêmes, elles sont toutes là, parmi nous, indétectables, invisibles car elles ne disent rien ou parce que nous ne voulons pas les voir ? La femme propriété de l'homme, chosifiée, que l'homme tue lorsqu'elle annonce vouloir le quitter. Comment pourrait-il accepter qu'elle échappe à son contrôle, qu'elle ait une vie sans lui, une indépendance, un quelconque libre-arbitre ?
Le père a tué la mère dans un accès de rage et de fureur, mais bon qu'y pouvait-il, le père, une fois de plus, elle n'avait pas eu les bons gestes, pas donné les bonnes réponses… Alors les coups sont tombés, un peu plus fort que d'habitude peut être.
Cessons avec ce mythe absurde du crime passionnel, si on aime encore un tant soit peu, on laisse partir, on pardonne, jamais on ne tue.
Philippe Besson rencontre un jeune homme dans une librairie lors d'une présentation d'un de ses livres. Ils vont nouer une amitié, il faudra plusieurs rendez-vous avant que le jeune homme n'ose lui avouer le drame de sa vie : son père a tué sa mère. Cette histoire bouleverse
Philippe Besson, qui va prendre le sujet à bras le corps et va s'intéresser, non à la victime elle-même, mais aux invisibles, aux victimes collatérales : les enfants … Que se passe-t-il quand Papa a tué Maman ? Quel abime, quel gouffre sous leurs pieds ? Qui pour les secourir, les aider ? Peut-on se relever, se reconstruire après une telle épreuve ?
Pour une Charlize Theron qui a assisté à quinze ans au meurtre de son père par sa mère en état de légitime défense, et semble (je dis bien semble) avoir surmonté l'épreuve, combien seront brisés à vie (surtout que la plupart du temps c'est le meurtrier qui reste en vie et non la victime des violences conjugales).
Avec délicatesse,
Philippe Besson nous partage les confidences du narrateur, le fils aîné qui n'était pas sur les lieux lorsque le drame s'est déroulé et découvre petit à petit comme un membre extérieur à la cellule familiale ce qu'à vécu sa petite soeur Léa, dans la maison, qui, de cocon protecteur s'est muée peu en peu en maison de la terreur et de l'horreur.
Le fils homosexuel, danseur à l'Opéra, qui se rêvait en Billy Elliott, quitte ce père méprisant dès qu'il le peut à l'adolescence. Ce père ravi de se débarrasser de ce fils pas comme les autres, qui n'a pas su endosser le costume attendu de virilité.
Dans cette histoire, l'homme qui va répondre présent avec douceur, du mieux qu'il peut, qui est là, c'est un homme d'une autre génération, le grand-père maternel, confronté au meurtre de sa fille. Comme son petit-fils, lui non plus n'a rien vu, n'a pas réussi à la sauver, alors qu'il travaillait à ses côtés dans le bureau de tabac. À eux deux, cet homme âgé et son petit-fils, vont montrer une autre virilité, protectrice et enveloppante, un rai de lumière dans cette noirceur. le grand-père a profondément aimé son épouse, sa fille, sa petite fille, son petit-fils tel qu'il est. le frère va se dévouer pour sa soeur et sacrifier une partie de son avenir pour elle.
Je ne dérogerais pas à la règle, la règle du coup de coeur. Mais ce coup de coeur là fait mal, il résonne dans la tête comme une gifle. Gifle de violence et de haine qui nous scinde en deux d'impuissance et de révolte. On se retrouve révulsé devant le droit français qui conserve au père meurtrier son autorité parentale sur ses enfants et peut continuer à gérer leur vie de sa cellule. Ces enfants laissés à eux-mêmes, sans structure prévue pour les accueillir. Que se passe-t-il quand il n'y a pas un membre de la famille pour les accueillir ?
L'impensable des scellés apposés sur la maison familiale pendant tout le temps de la procédure judiciaire, un an voir plus. A la douleur de la perte de la mère, vient s'ajouter la perte de toutes ses affaires, vêtements, jeux, jouets, repères. La rupture avec l'enfance est brutale, totale, d'une violence inimaginable.
Pour couronner le tout, on découvre complètement effaré que personne une fois les scellés levés ne prend pas la peine de nettoyer la scène de crime, ce qui incombe alors aux proches voire aux enfants eux-mêmes lorsqu'enfin la maison leur est rendue …
Philippe Besson a l'espoir que dénoncer ces aberrations permettra d'y remédier, et on ne peut qu'y souscrire.
Un livre difficile à refermer, j'ai été aimantée par l'histoire de ce jeune homme jamais nommé. Jamais nommé pour qu'il soit plus proche de nous, qu'il nous soit encore plus difficile de le mettre à distance, et c'est finalement avec une part de nous-même que nous avons rendez-vous quand nous ouvrons le livre.
Superbe couverture ornée de quatre coquelicots, une fleur apaisante liée au souvenir et symbole de consolation. Quatre fleurs de tailles différentes, chacune symbolisant un membre de la famille avec trois d'entre elles étroitement enlacées…
M. Besson vous avez dit écrire car l'écriture vous permet de vivre d'autres vies. Pari réussi, pour vous comme pour moi …