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383 pages
Oscar Masson, Cambrai (10/04/1908)
4/5   1 notes
Résumé :
Ce travail n'est pas une oeuvre de littérature, de critique ou d'érudition; il n'a même pas la prétention d'être une étude historique ou philosophique sur les principaux romans de notre époque. Comme l'indique son sous-titre, il est un essai de classification; moins que cela encore, un catalogue raisonné, accompagné de quelques indications pratiques. Tout simplement.

Il ne s'adresse donc pas spécialement à des lettrés, mais à des consciences chrétienn... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Ouvrage mythique, que l'on doit à un abbé désoeuvré et goûtant fort la littérature, « Romans à Lire & Romans à Proscrire » représente l'un des plus étranges succès littéraires de la dernière décennie de la Belle-Époque, et il s'en serait fallu de peu qu'un ouvrage aussi prosélyte, aussi sot et aussi arbitraire, publié chez un petit auteur local du Nord de la France, ne connaisse qu'un succès strictement paroissial.
Ecclésiastique français d'origine flamande, le bien nommé abbé Louis Bethléem (dérivé du nom flamand Beddelem à la prononciation semblable) était un homme aussi passionné de littérature qu'investi dans sa mission cléricale, et qui eût, en 1904, l'idée hautement naïve de signer un guide de lecture destiné aux bons chrétiens, visant à classer les principaux auteurs du XIXème siècle selon leur moralité, mais aussi selon les âges de la vie auxquels on se doit de les aborder. Selon l'abbé Bethléem, en effet, l'immoralité et l'impiété dans la littérature du XIXème siècle étaient de nature à traumatiser des esprits jeunes et malléables. Il y avait donc véritablement péril d'âme à confier à des enfants de 12 ans des livres destinés aux adultes, ou même aux jeunes gens de 17 ans.
De cette constatation, l'abbé conçut donc l'idée de rédiger un dictionnaire d'auteurs – car il s'agit en réalité plus de juger les écrivains que leurs romans - en six parties clairement délimitées :
1) Les auteurs à proscrire impérativement, car blasphématoires, pervers, satanistes, décadents, vicieux, orduriers, et tout ce qu'on voudra d'autre.
2) Les auteurs à proscrire, seulement parce qu'ils sont opposés à la morale chrétienne, mais pas nécessairement tournés vers le Mal (les écrivains philosophes, rationalistes, matérialistes, politisés, stoïques, ainsi que tous ceux découlant des Lumières, rentrent dans cette catégorie).
3) Les auteurs dits "mondains", un terme qui a une signification bien précise au sein de l'Église, et qui est encore en usage en Afrique : par "mondain", on entend simplement "qui va dans le monde", c'est-à-dire qui ne se contente pas de faire l'aller-retour de chez lui à l'église, comme doit le faire tout bon chrétien, mais aime à s'amuser et à se détendre dans des loisirs collectifs (bals, soirées privées, salons littéraires, voyages, sports, concerts, fêtes non paroissiales, etc…). Selon l'abbé, cette catégorie est à réserver exclusivement aux adultes avertis, du fait que les habitudes "mondaines" amènent ces écrivains à parler souvent d'adultères ou de relations amoureuses qui ne se terminent pas par un mariage. Même si le but de ces écrivains reste moral, et qu'ils mettent en scène un adultère à la seule fin de prouver que ça se termine mal et qu'il ne faut pas être infidèle, ils n'en demeurent pas moins des auteurs "mondains" à la vie dissipée, des mauvais exemples qui entrouvrent une fenêtre sur la réalité, ce qui est fort condamnable pour de jeunes chrétiens au coeur pur.
4) Les auteurs dits "honnêtes", qui globalement peuvent être lus par tous les chrétiens adultes et s'inscrivent dans la morale chrétienne, même s'ils peuvent signer de temps en temps des récits un peu osés (où on voit des fiancés s'embrasser avant le mariage, par exemple). Mais on verra plus bas que même envers ceux-là, l'abbé Bethléem a tout de même quelques reproches à formuler…
5) Les auteurs de romans pour adolescents, hautement recommandés, pleins de bons sentiments, mais avec les poils.
6) Les auteurs de romans pour enfants, hautement recommandés, pleins de bons sentiments, mais sans les poils.
De ce découpage abrupt, il ne faut bien évidemment pas déduire que toutes les proportions sont équitables : il y a en gros presque deux fois plus d'auteurs à proscrire que d'auteurs à lire. Mais comme le lecteur l'aura deviné, ce sont bien les écrivains à proscrire qui sont ici les seuls vraiment intéressants, et c'est là tout l'explication du phénoménal succès de ce guide littéraire et religieux, qui connut 11 réimpressions entre 1904 et 1930, et se vendit à plus de 140 000 exemplaires. Nul livre n'était, en effet, plus recommandable aux familles chrétiennes que le guide littéraire du naïf abbé Bethléem, qui ne se doutait pas qu'en rentrant dans les bibliothèques paroissiales, il y faisait rentrer avec lui tous les écrivains qu'il prétendait laisser à la porte, tous les auteurs "à proscrire" dont n'importe quelle âme pure pouvait apprendre, sans même avoir besoin de se cacher, les noms ainsi que les titres de leurs principaux romans. Quelle précieuse et tentatrice source d'informations, pour ceux et celles qui étaient tentés par des lectures subversives, afin d'échapper aux niaiseries décervelées et répétitives de la littérature catholique !
Car l'abbé Bethléem a fait un travail remarquable, il convient de le souligner. le nom de chaque auteur est accompagné d'une courte notice biographique et d'une brève critique littéraire de son oeuvre, où l'abbé explique pourquoi cet auteur est à proscrire (ou à lire), et quels sont ses livres à éviter absolument (ou ceux qu'il recommande). Bien que ses opinions restent éminemment discutables, même sur des auteurs qu'il apprécie, Louis Bethléem donne une assez bonne idée de l'esprit et des thématiques de chaque écrivain. Grand lecteur, grand dévoreur de livres, il connaissait bien son sujet, même si sa vision est définitivement biscornue par sa conception intégriste et paranoïaque de la foi catholique. Il n'y a que sur la littérature populaire (romans d'aventures, romans policiers, romans-feuilletons) qu'on le sent moins sûr de lui. Non qu'il n'en ait pas lu, mais il ne sait clairement pas trop quoi en dire et n'est pas certain d'en comprendre l'intérêt, vu qu'il n'y est jamais vraiment question de religion. Aussi dit-il "amen" un peu facilement, même à des auteurs aux romans très âpres et sanguinaires, comme Louis Boussenard ou Louis Noir, dont il ne se risque même pas à citer un titre.
Contre toute attente, l'abbé Louis Bethléem ne se répand pas en de trop longues invectives sur les auteurs à proscrire. Beaucoup sont expédiés en quelques mots certes assez verts (et très sévères), mais pour lui, il n'y a pas matière à débat. Il ne faut pas les lire, voilà tout !...
Ses vrais boucs émissaires, ce sont en fait les auteurs chrétiens, mais de gauche : Anatole France, auquel il consacre deux longues pages, lui apparaît comme le Diable incarné, bien que l'on chercherait pourtant en vain dans la prose de l'académicien la moindre odeur de soufre. le seul tort d'Anatole France, c'est d'être un ardent défenseur du divorce, s'appuyant sur sa propre expérience narrée dans son roman « le Lys Rouge », lequel a brisé ce tabou ancestral qui a gâché tant de ménages excédés par leur incompatibilité. Pareillement, l'abbé Bethléem étrille violemment George Sand, dont il reconnaît du bout des lèvres la beauté de ses classiques écrits pour la jeunesse, mais à laquelle il ne pardonne pas ses sympathies pour le socialisme.
Car hélas, il faut bien le reconnaître, l'abbé Louis Bethléem serait un benêt éminemment sympathique, s'il n'émaillait ponctuellement ses considérations littéraires avec des propos aigres sur les Juifs, les Francs-Maçons, les homosexuels sodomites, etc, etc… - ce qui en dit long sur ses tendances politiques.
Alors, me demanderez-vous, pourquoi lire et acheter « Romans à Lire & Romans à Proscrire » de cette espèce de vieille baderne intolérante ? Parce que, comme on l'aura compris, si la vision de Bethléem apparait aujourd'hui grotesque, son travail de classification est quasiment exhaustif, et tout lecteur curieux de connaître les auteurs méconnus ou oubliés du XIXème siècle, trouvera dans cet ouvrage un guide littéraire "dyslexique", qui reste tout à fait instructif, pourvu que l'on inverse totalement l'ordre des chapitres : les auteurs à proscrire sont en fait ceux qu'il faut lire (on trouve d'ailleurs, parmi les proscrits de l'abbé, la quasi-totalité des plus grands noms de la littérature française : Balzac, Zola, Hugo, Flaubert, Stendhal, etc… ), et les auteurs à lire sont en fait ceux qu'il faut proscrire (comme nullités paroissiales, encore qu'on trouve parmi eux quelques plumes attendrissantes comme Henry Gréville ou Emile Souvestre). de toute façon, une liste des auteurs par ordre alphabétique à la fin de l'ouvrage permet de ne pas avoir à se demander dans quelle partie se trouve un écrivain au sujet duquel on cherche des informations. Dans sa composition, l'ouvrage est réellement très pratique, et à ma connaissance, il n'existe pas d'autres guides littéraires aussi complets sur les auteurs du XIXème siècle.
Gonflé à bloc par son succès, l'abbé Louis Bethléem se rendit coupable, vers la fin de sa vie, de saisies et d'autodafés, sur la devanture de kiosques à journaux, de publications jugées licencieuses. Il existe plusieurs photos de lui, posant crânement devant un kiosque, foulant aux pieds des journaux honnis face à un kiosquier médusé. En guise de représailles, le groupe surréaliste, André Breton et Robert Desnos en tête, fit une descente à l'Église Saint-Sulpice à Paris, et y brisa à terre plusieurs statues représentant des saints. le clergé fit alors comprendre à l'abbé Louis Bethléem qu'il valait mieux qu'il prenne bien moins à coeur sa juste cause, dans l'intérêt même de l'Eglise. Et ce fut ainsi que se termina la dernière croisade...
L'abbé Bethléem nous a quittés en août 1940, deux mois après le début de l'Occupation, sans doute en se disant que, désormais entre les mains du Maréchal Pétain, la morale chrétienne serait bien défendue en France…
Au soir de leur vie, certains pécheurs se repentent quelquefois. Les hommes d'église, eux, ne le font jamais.
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