Question posée à un déporté rescapé qui devint rabbin après trois ans de camp : "Où était Dieu à Auschwitz ?"
Réponse : "Où était l'homme ?"
Être libéré ne signifie pas être libre. Je réalisais mal que j’avais un fil à la patte, lien qui s’allongerait au fur et à mesure de ma marche vers la normalité. Mais il était là, invisible, impalpable, me ramenant sans cesse à des flashes incontrôlables.
Bois vite, je ne peux pas rester là.
La boisson est à peine tiède, mais le goût sucré en fait une offrande unique.
Et foudre accumulée depuis des jours, le tonnerre caché dans les planches, l'orage qui couvait chez chacun, la peur refoulée, l'angoisse mal maîtrisée, les vagues de la mer lorsqu'elles cassent leurs amarres, les vents d'hiver lorsqu'ils sortent du Pôle, les amours des parents et des enfants menacés, la tendresse des couples, la haine et l'idiotie, le courage et la folie, tout a explosé, tout à jailli des tonneaux débondés. L'Océan a vidé ses eaux comme des milliards de seaux géants se déversant d'un même jet, la montagne a balancé ses moraines et ses glaciers comme un gamin furieux qui brise ce qu'il possède, la terre s'est fendue exhibant ses entrailles de feu, les raz de marée ont hissé leurs tempêtes, les torrents ont quitté leurs conduites forcées pour s'écrouler là, dans un commandement sec formulé par un SS.
Un rescapé n’est qu’une apparence, une illusion à face humaine, qui continue à baiser, à manger, à travailler, à penser. Comme une dent dévitalisée. Elle est morte et continue sa fonction, mordre, dévorer, mais à l’intérieur c’est creux, vide…
Les amours éclatent, les haines s’achèvent, les amitiés se brisent. Chacun n’est plus qu’un atome de solitude cherchant un repère de vie, un jalon d’espoir.
Elle était, avec son sourire, son regard bienveillant, sa langue que je comprenais, tout ce qu’un homme pouvait espérer, la tendresse, l’amour, la vie. Tout ce que seule une femme peut offrir. Elle était une femme. C’est tout.
Avec quoi voulez-vous vivre lorsque, bourse plate et bon appétit, on salive en passant devant les étals des marchés ?
Le fait d’être déshabillé ajoutait encore à l’humiliation quotidienne. Rien de surprenant si, à la Gestapo, les hommes étaient presque toujours nus au moment des interrogatoires. Dans ce cas, la nudité contribue à désarmer plus rapidement.
La faim est en effet une formidable gomme qui efface tout ce qui vous entoure et vous empêche de regarder en vous-même, de vous souvenir de la veille, d’imaginer le lendemain et d’évoquer ceux que vous avez aimés.
On ne sort pas d’une vie d’homme lambda pour plonger, vivant et réveillé, dans un cauchemar sans une période d’adaptation. Et l’équation est simple : s’adapter ou mourir. Pas d’autre issue.