Lettre d'une mère à sa fille et d'une fille à sa mère. J'ai beaucoup aimé ce roman intimiste de Sarah Biaisini. Devenue mère à son tour, et plutôt tardivement, elle convoque ses souvenirs pour raconter son histoire à sa fille Anna. Et elle s'interroge « Chercheras-tu ces réponses-là, toi ma fille ? Vas-tu t'intéresser à tes grands-parents ? Avec plus de légèreté que moi j'espère. » Sarah, s'interroge sur quelle mère était la sienne, ou celle qu'elle aurait été avec elle si elles avaient eu le temps. Elle questionne aussi les rapports de sa mère avec la sienne, Magda. Son évocation de son lien à sa langue maternelle, l'allemand, est vraiment touchant. « Je ne parle pas l'allemand, je rejette cette langue… je ne veux pas l'apprendre. Avec qui la pratiquer aujourd'hui ? » Tout est dit. « « J'ai longtemps imaginé que l'allemand me reviendrait par enchantement. Mais non. Ma mère ne l'a jamais parlé avec moi. »
On sent la nécessité dans ce roman et c'est ce qui le rend juste et très touchant. Elle y exprime avec beaucoup de pudeur le manque de sa mère, qu'elle ressent vivement et douloureusement, malgré tout l'amour dont elle a été entourée, de son père et de ses grands-parents paternels, et surtout sa mamie Monique, et sa nourrice Nadou. «J'essaie doucement de dire qu'ils n'y peuvent rien, que je ne pouvais pas, malgré tout leur amour, échapper au manque, que les morts manquent, par définition. Ils sont omniprésents. » Il y est beaucoup question de transmission de l'histoire familiale, mais aussi de peur.
Sarah Biasini est animée par la peur, qu'elle couche sur le papier pour mieux l'enfermer, pour ne surtout pas la transmettre. Peur de la mort brutale, elle qui l'a connu si tôt dans sa vie, qui l'a privée d'une mère, et aussi d'un grand frère, peur de la perte. Il y a une économie de mots dans ce récit, beaucoup de recul (des années de psychanalyse) mais elle parvient à nous toucher au coeur. On sent en filigrane une jeune femme au caractère bien trempé, forte par la carapace qu'elle s'est construite et parce qu'elle regarde la réalité en face. Mais aussi tellement fragile et fragilisée par ce manque d'une mère, personnage public qu'elle a dû « partager » avec les autres alors qu'elle ne l'aurait voulu que pour elle. « J'ai remplacé ma mère par la force des choses », dit-elle.