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Sarah Biasini (Autre)
EAN : 9782234090132
288 pages
Stock (06/01/2021)
3.62/5   193 notes
Résumé :
« Un matin de mai, le téléphone sonne, je réponds, "Bonjour, gendarmerie de Mantes-la-Jolie, la tombe de votre mère a été profanée dans la nuit". »


Une femme écrit à sa fille qui vient de naître. Elle lui parle de ses joies, ses peines, ses angoisses, et surtout d'une absence, celle de sa propre mère, Romy Schneider. Car cette mère n'est pas n'importe quelle femme. Il s'agit d'une grande star de cinéma, inoubliable pour tous ceux qui croisent... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (57) Voir plus Ajouter une critique
3,62

sur 193 notes
A quarante-trois ans, l'âge de Romy Schneider à sa mort, Sarah Biasini s'adresse à sa toute petite fille, encore en bas-âge, lui exprimant toute sa joie, mais aussi ses angoisses de jeune maman, elle dont la vie s'est construite sur l'absence et le manque.


C'est en quelque sorte d'un « vol » aggravé qu'est victime l'auteur, au plus profond de son être. Car non seulement la vie lui a ravi sa mère à l'âge le plus tendre, mais c'est une seconde dépossession qu'elle lui fait régulièrement subir, lorsqu'au vide laissé chez elle par la perte, répond un trop-plein médiatique destiné à abreuver des inconnus. Alors, lorsque lui naît une fille, dans cette vie où elle s'évertue à jeter une passerelle sur la béance de l'absence, une tempête se déchaîne dans la tête de la nouvelle maman. Saura-t-elle être la mère de sa fille, elle la fille qui a dû grandir sans mère ? Cessera-t-elle un jour de redouter des répliques au séisme qui lui a déjà tant pris ?


Nommée une fois seulement, l'ombre de la mère absente hante chaque page d'un récit par ailleurs placé sous l'égide des femmes et d'un amour maternel unissant indéfectiblement quatre générations féminines. Au désarroi et au manque de l'orpheline répond l'émouvante affection d'une grand-mère qui reste le principal point d'ancrage de la femme d'aujourd'hui.


Sarah Biasini s'exprime avec une sincérité simple et touchante. Et c'est avec émotion et sympathie que l'on accompagne son cheminement de jeune mère, saisie de l'urgence d'écrire à sa fille pour contrecarrer l'éphémérité et la fragilité de la vie.
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Toute la beauté du ciel est un énorme coup de coeur. Sarah Biasini nous fait partager des moments précieux de sa vie : son enfance, son désir d'être mère, sa maternité et son amour pour sa maman.
J'ai été émue par la photographie de couverture qui dévoile tout l'amour d'une maman pour sa petite fille et cette fusion si spéciale qui en découle.
La vie n'a pas épargnée notre auteure qui dès quatre ans et même avant avec la mort de son frère a compris que rien n'était jamais acquis ni définitif mais ces deux immenses vides sont devenus des présences de chaque instant. Et peut-être plus au moment de sa grossesse.
Sarah Biasini nous offre ses pensées, sa spontanéïté, cet amour pour sa fille qu'elle a du mal à partager, c'est une jeune maman dans laquelle nous pouvons nous reconnaître. Mais c'est aussi ce manque, cette conscience que tout est éphémère qui l'a poussé à écrire son histoire. Sa fille pourra plus tard le lire, comprendre sa maman, sa grand-mère et les « liens » qui les unissent. Elle y découvrira cette actrice lumineuse, au magnifique accent qu'était Romy Schneider dont un des films ( mon préféré) César et Rosalie lui a donné un de ses prénoms.
Quand j'ai lu cet histoire, j'ai eu l'impression que la maman de Sarah n'était pas loin car le bébé a été conçu entre la profanation de sa sépulture et la date anniversaire de son décès.
C'est une histoire écrite avec pudeur, franchise, on y découvre beaucoup de l'auteur des manques, de ses interrogations, son imagination galopante, son humour mais aussi sa famille si présente, si aimante qui a su lui donner le désir d'en fonder une à son tour. C'est un excellent moment de lecture avec quelques anecdotes sur Romy Schneider, ses films, quelques uns des acteurs et des réalisateurs qui l'ont côtoyée.
Merci aux éditions Stock pour leur confiance.
#Toute la beauté du ciel #NetGalleyFrance
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Profanation, procréation, promesse

Sarah Biasini a choisi d'écrire à sa fille pour lui raconter cette grand-mère qu'elle ne connaîtra jamais, pour lui parler de sa famille, et pour mettre fin à quelques rumeurs persistantes.

«Ce qui m'intéressait, c'était de raconter comment une famille se débrouille avec ses morts, comment on en parle à l'intérieur d'une famille. Quand je suis devenue mère, et c'est aussi valable pour les pères, on se pose la question de savoir quel enfant on a été, et comment on va assurer la stabilité et la sensibilité de son enfant. C'était le point de départ du livre». C'est ainsi que Sarah Biasini a expliqué dans l'émission «C à vous» les raisons qui l'ont poussée à écrire La Beauté du ciel. Une entreprise très difficile car, «quand la mort empêche de connaître quelqu'un, on ne cherche pas pour autant ce qu'on ignore. On le laisse en blanc. On tourne autour du sujet, de ce que l'on sait. Si peu soit-il.»
Sarah avait quatre ans quand sa mère est morte. La fillette va grandir auprès de son père, mais aussi et surtout auprès de ses grands-parents paternels. Sans oublier une nourrice à laquelle elle rend un bel hommage. Une famille qui va lui permettre de se construire malgré l'absence d'une mère qu'elle ne peut appeler autrement que «maman». S'il n'est pas occulté, le sujet n'est pas au centre de sa vie.
Et ce n'est qu'en 2017, alors qu'elle est devenue une femme et que sa carrière de comédienne est bien lancée, qu'elle a trouvé l'homme de sa vie, que deux événements vont la pousser aux confidences.
C'est à ce moment que la gendarmerie lui annonce que la tombe de Romy Schneider a été profanée. En se rendant au cimetière de Boissy-sans-Avoir, Sarah va en quelque sorte enterrer sa mère, elle qui n'avait pas assisté pas aux obsèques. À ce choc va suivre une bonne nouvelle, l'annonce de sa grossesse. Deux événements qu'elle va lier en se décidant à écrire.
Les amateurs de spiritisme trouverons déterminante la rencontre, lors d'une tournée à Marseille, où elle jouait une pièce de théâtre, avec une dame censée parler aux morts et qui entreprendra de déchiffrer tous ces signes qui se présentent à elle. «Je marche constamment sur ce fil qui nous lie, tendu mais incassable. La vie que tu m'as donnée, qui me reste. Une vie interrompue il y a trente-huit ans. Une autre qui commence aujourd'hui.» Et c'est à cette vie qu'elle va s'adresser pour lui expliquer dans quelle famille elle va grandir et qui est cette grand-mère qu'elle ne connaîtra jamais, mais dont elle va beaucoup entendre parler, notamment de personnes qui ne l'ont pas connue, mais qui voudront partager leur vérité. Et même si la plupart auront des intentions louables, ils fausseront l'image – la vraie – de cette femme exceptionnelle partie trop vite. Aux témoignages de son entourage, Sarah a voulu ajouter ceux des personnes qui ont fait un bout de chemin avec l'actrice. Elle a parlé à Michel Piccoli, Claude Sautet, Alain Delon, Philippe Noiret. Mais pas pour parler de cinéma. Pour parler de la femme et du souvenir, de la mort et du vide et des moyens de le combler.
Avec pudeur mais aussi avec force Sarah Biasini affiche ses convictions. Comme quand elle affirme haut et fort que rien ne permet d'affirmer que sa mère s'est suicidée. Ou quand elle explique combien elle déteste le film censé raconter sa mère en la filmant lors de son séjour à Quiberon. Il est vrai que ce portrait d'une femme triste et dépressive fausse complètement l'image d'une mère à la beauté du ciel. Cette même beauté du ciel transmise à sa fille. Car comme lui explique son mari, désormais Sarah ne sera plus la fille de sa mère, mais la mère de sa fille. Pour ma part, c'est cet héritage, cette image que je conserve en refermant le livre.


Lien : https://collectiondelivres.w..
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Pas besoin d'en dire beaucoup sur ce premier livre de Sarah Biasini "La beauté du ciel". Juste qu'il est tout simplement beau, émouvant, drôle parfois. Sorte de longue lettre d'une mère à sa fille, mère qui elle a très peu connu la sienne, icône du cinéma français admirée, vénérée de tous.

Livre sur la mort, l'amour, la filiation, tout simplement la vie qui continue envers et contre tout. Ecrit tout en douceur, avec retenue mais tout en franchise.

Sarah Biasini nous emporte tout simplement avec elle et nous nous glissons sur la pointe des pieds dans son histoire. Revivons avec elle sa mère qui manque tant au cinéma, et à nous, à moi si fan de Romy.

Un livre à lire tout simplement.
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C'est le genre épistolaire que choisit Sarah Biasini, pour s'adresser à sa petite Anna à naître. Une fille à laquelle elle se raconte, à travers ses peurs, ses doutes, ses douleurs, ses espoirs, en effleurant forcément le fait d'être la fille d'une mère, mais aussi celle de Romy Schneider. Quel terrible paradoxe que d'avoir si peu de souvenirs personnels de sa maman car cette dernière s'est éteinte trop tôt, laissant une enfant bien trop jeune et dans le même temps de vivre dans une société où tant de personnes ont un souvenir si précis de cette maman, mais dans son rôle d'actrice. Comment ne pas travestir le souvenir d'une mère en calant dessus les images de la comédienne ? Grandir avec l'absence mais grandir surtout en ne troquant pas des souvenirs réels avec des images tirées d'une fiction.
Sarah Biasini nous conte ses rencontres nécessaires avec ceux qui, côtoyant l'actrice, ont eu accès à une part d'intimité.

Mais si elle nous raconte comment elle a pu, malgré cette absence, se construire, entourée d'amour, l'épine de douleur ressurgit au moment d'être mère à son tour. Et je ne pense pas que ce soit l'absence de modèle qui la blesse, car sa grand mère courage, merveilleuse, a su pallier ce manque. Si n'importe quelle mère au monde a peur pour ses enfants, que peut-il en être pour celles qui ont déjà été frappées par le drame ? Comment ne pas trembler de façon irraisonnée pour son enfant quand on sait la fragilité d'une vie. Celle d'une mère et d'un frère emportés si jeunes. Si de n'avoir jamais été éprouvé par la vie procure une légèreté, voire un sentiment de toute puissance, ceux qui ont déjà été frappés par le chagrin savent bien, que l'on n'est pas à l'abri, qu'il faut si peu de temps pour perdre tant...

Si j'ai été dans un premier temps assez agacée par l'écriture, chétive et factuelle, j'ai tout pardonné à Sarah Biasini une fois lu ce passage :
"Ce matin, tu tombe de la table à langer. [...]
Le bruit sourd, mat, résonne dans mes oreilles. Je voudrais t'arracher à ses bras, dans lesquels tu as l'air si bien, persuadée, dans ma démesure, d'être la seule à pouvoir te soulager. Je me retiens heureusement mais je pars me frapper le visage dans le couloir. Me donner des claques pour que tu ne sois pas la seule à avoir mal, avoir plus mal que toi, t'enlever immédiatement la douleur, alors que tu ne pleures déjà plus. Parce que je m'en veux de n'avoir pas su t'éviter cette chute. Ton père est déjà malheureux. Il y aura tellement d'autres bosses, mais je vais jusque là.
À travers ta douleur, c'est la mienne que j'entends. J'ai l'impression que tu souffres plus que moi. Il n'en n'est rien. Je hurle, pas toi. Toi, tu découvres le monde. Moi, je le vis une deuxième fois. J'ai peur pour la deuxième fois."

Parce qu'elle nous livre sa douleur, crue, violente et ravageuse de n'avoir pas su protéger sa fille et de comprendre que, comme nous toutes, et malgré des trésors de prévoyance et de "balisage de terrain", elle en sera réduite elle aussi, à faire de son mieux...

Et si Sarah Biasini réprouve le choix de sa mère de s'être laissée filmer dans un documentaire, où elle livre sa profonde fatigue, donnant d'elle une image de femme abîmée et dévolue au désespoir, je ne peux m'empêcher en relisant ce passage ci-dessus, puissant de douleur, de penser à cette scène terrible ouvrant "L'important, c'est d'aimer".
Si l'écriture n'est pas vraiment au rendez-vous, il n'en reste pas moins que ce premier roman est très émouvant et rend hommage à celles qui restent filles de leur mère mais deviennent mères de leur fille, pour reprendre la très jolie formule de l'auteure elle-même.
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critiques presse (6)
Culturebox
10 février 2021
Son titre : La beauté du ciel (Éditions Stock). Un ouvrage libérateur, intime, personnel mais pas confidentiel.
Lire la critique sur le site : Culturebox
LeMonde
02 février 2021
L’actrice, fille de Romy Schneider, publie un livre dans lequel elle évoque la manière d’être mère quand on a été privée de la sienne à l’âge de 4 ans.
Lire la critique sur le site : LeMonde
LaLibreBelgique
29 janvier 2021
Sarah Biasini célèbre l’amour maternel. En s’adressant à sa fille de presque 3 ans.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
LeSoir
27 janvier 2021
Sarah Biasini écrit à sa fille qui vient de naître. Avec ses joies et ses angoisses de jeune maman et pleine d’une absence, celle de sa propre mère, actrice iconique. C’est bouleversant.
Lire la critique sur le site : LeSoir
Bibliobs
12 janvier 2021
A 43 ans, l'âge de Romy Schneider à sa mort, la comédienne Sarah Biasini signe son premier livre et balaie les rumeurs sur le suicide de sa mère et la relation amoureuse de sa grand-mère avec Hitler.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
LeParisienPresse
08 janvier 2021
Dans « la Beauté du ciel », la fille de Romy Schneider décrit son vertige de devenir mère, elle qui a perdu la sienne à l’âge de 4 ans et vient de donner naissance à une fille. Un ouvrage poignant.
Lire la critique sur le site : LeParisienPresse
Citations et extraits (96) Voir plus Ajouter une citation
INCIPIT
Dans trois semaines, tu seras née.
Le médecin a dit: date de conception 20 mai 2017, naissance 20 février 2018. Il a fait ses calculs sur la base des miens, sans oublier la marge d’erreur.
Donc, j’attends.
Ces neuf mois touchent à leur fin, et je touche moi-même, pour quelques fois encore, ce ventre rond.
Il me semble prêt à exploser tant ma peau s’étire sous l’effet des premières contractions, dites « d’entraînement », sans douleur. Tu peux arriver cette nuit, demain, comme dans dix, dans quinze ou dans vingt jours.
En attendant, je t’écris.

Il y a toujours un point de départ à l’histoire que l’on veut raconter. Un événement qui déclenche d’autres événements, petits et grands. Les voici dans l’ordre dans lequel ils me sont apparus pour certains, réapparus pour d’autres.
Le téléphone sonne, dimanche 1er mai 2017, aux environs de 10 heures. Gilles est parti au cinéma des Halles, pour la première séance de la journée, je ne me rappelle plus du film. J’ai hésité puis, finalement, ne l’ai pas accompagné.
Le téléphone continue de sonner, je ne décroche pas, je ne connais pas le numéro qui m’appelle ce matin-là. Un message est laissé mais je finis ce que je suis en train de faire, je ne sais plus quoi, la vaisselle sans doute.
Si, je le sais très bien, il n’y a pas de peut-être, je suis dans la cuisine, il fait beau d’ailleurs, je me souviens des rayons de soleil qui traversent largement l’appartement.
J’écoute enfin la boîte vocale.
« Bonjour, gendarmerie de Mantes-la-Jolie, chef d’escadron D. M., ne vous inquiétez pas (une précaution de ce genre), mais la tombe de votre mère a été profanée dans la nuit. » La fin du message est floue dans ma mémoire. Probablement l’usuel « vous pouvez me joindre à tel numéro », etc.
Je rappelle et tombe directement sur cette capitaine, elle m’a donné son numéro de portable personnel, c’est un jour férié, elle n’est pas censée travailler.
Sa voix, douce et perchée, contraste avec les faits qu’elle m’expose.
Ils s’y sont pris à coups de pied de biche pour desceller la pierre tombale du socle. Puis, les individus en question (j’imagine forcément deux personnes au moins, vu la taille de la pierre) l’ont fait glisser pour laisser une ouverture en biais d’une vingtaine de centimètres. La capitaine me rassure très vite : le cercueil n’a pas été atteint, puisqu’une dalle de béton, placée sous la pierre tombale, le protège. Ils n’ont pas été au-delà de cette dalle, recouverte d’eau, paraît-il, de toute l’humidité accumulée depuis trente-cinq ans. Je lui demande : « Qui a prévenu la gendarmerie ? » Un cycliste du dimanche qui passait par là (étrange de faire une halte dans un cimetière, bon). Toujours au téléphone, je continue de poser des questions : « Dans quel état la tombe a-t-elle été trouvée ? Est-ce qu’il y a beaucoup de dégâts, la pierre a-t-elle été fendue ? » Elle me rassure, non, il n’y a pas eu trop de casse, à part des pots de fleurs déplacés et un ou deux vases tombés au sol. Elle a pris une photo quand elle est arrivée sur les lieux, elle propose de me l’envoyer, j’accepte. Je vois la pierre descellée, l’espace entrouvert, le trou d’un noir vertigineux. Un espace insuffisant pour attraper quelque chose ou tomber dedans, comme s’ils n’avaient pas fini ce qu’ils étaient en train de faire, qu’ils s’étaient arrêtés en cours de route, déçus, repentants ou surpris par un bruit suspect.
Je finis par lui demander ce que je suis censée faire maintenant. Elle m’explique que la police scientifique intervient pour tenter de relever des empreintes et que le marbrier est là pour ressouder la pierre tombale à son socle.
« Est-ce que je dois venir ? »
« Si vous le souhaitez, bien sûr »
Le temps d’une seconde, j’envisage de rester chez moi, de ne pas bouger, de maintenir ce lieu éloigné de mes préoccupations, à distance. Je me reprends aussitôt, regrettant d’avoir hésité. Je lui dis au téléphone de m’attendre, je serai sur place dans deux heures. Elle patientera évidemment. Elle me demande d’être prudente sur la route, je pleure depuis le début de notre conversation.
Assise, accoudée à la table de la cuisine, je pense : encore un événement sordide. Qui peut vouloir faire une chose pareille ?
Je ne sais pas pourquoi je pleure autant. C’est presque trop, j’ai du mal à me calmer. Elle est déjà morte de toute façon. Ça ne peut pas être pire. Mais il faudrait quand même la laisser tranquille une bonne fois pour toutes. Même dans la mort, on vient l’abîmer. « Reposer en paix » ne pourrait pas être plus à propos.
J’essaie de joindre Gilles mais son téléphone ne vibre même pas, il l’a éteint puisqu’il est toujours au cinéma. Je laisse un message : « Rappelle-moi quand tu sors. » J’appelle ensuite mes grands-parents paternels pour les prévenir et emprunter leur voiture. Je suis déjà chez eux quand Gilles me rappelle et me demande de l’attendre, il insiste pour m’accompagner au cimetière. Ce n’est pas ma première envie mais je cède, poussée par le soulagement qu’expriment Monique et Bernard à l’idée que je n’y aille pas seule. Je voudrais partir sur-le-champ. Le soleil est toujours là.
Gilles conduit mais, après une pause dans une station-service pour demander notre chemin, je passe mes nerfs en prenant le volant.
Nous roulons. Il ne se passe pas grand-chose dans mon esprit à part une sidération qui gèle toute pensée. Je me concentre sur la route. Silence dans la voiture. Nous arrivons dans ce petit village perdu des Yvelines. Boissy-sans-Avoir.
Sans-Être non plus. Quel triste nom.
Je peine à retrouver le cimetière, j’y suis allée en tout et pour tout trois fois dans ma vie. Je n’ai nul besoin de ce genre de lieu pour penser aux morts. Pour me guider, je lève la tête et cherche le clocher de l’église. Je passe devant les grilles du cimetière, je vois un attroupement, c’est là. Je fais demi-tour et cherche une place. Je tente un pauvre créneau mais je commence à trembler. Mes bras et mes jambes me lâchent, ne remplissent plus leur fonction. « Descends, je vais garer la voiture », me dit Gilles.
Je sors, le groupe devant le cimetière m’a vue arriver (on ne peut pas dire que la circulation est dense dans le village), ils me reconnaissent. Je vois leurs visages puis leurs corps se tourner vers moi pour m’accueillir. Je m’avance, lentement, j’attends que Gilles me suive. Il voulait m’attendre dans la voiture, j’ai refusé. Il garde néanmoins la bonne distance, celle du Ne te préoccupe pas de moi, fais ce que tu as à faire, je suis là si tu as besoin de moi.
La capitaine, en civil, enceinte, cela me revient maintenant (de son deuxième, elle me le dira plus tard), est assistée d’un policier, lui en uniforme.
Le marbrier est là aussi. L’entreprise de ce tailleur de pierre est familiale, il a repris, avec son frère jumeau, l’activité de leur père à qui l’on avait fait appel en 1982, au décès de ma mère.
Nous sommes, ces jumeaux et moi, la génération suivante, nous reprenons le flambeau. Le maire du village est là aussi, le même qu’il y a trente-cinq ans.
Nous sommes toujours devant la grille du cimetière, Gilles un peu en retrait, derrière moi, respectueux. Je n’arrête pas de tripoter l’anse de mon sac de ma main gauche. Je m’en fais la remarque sur l’instant. Je canalise mon émotion dans cette main qui s’agite, qui a besoin de serrer quelque chose, de se contracter pour se distraire du chagrin.
J’ai la gorge étranglée, heureusement je n’ai rien à dire, je les écoute m’exposer à nouveau les faits. Je me concentre sur la douceur de chacun de ces regards sur moi, gonflés d’empathie et de compassion. Je dois rester digne et contenir le tremblement de mon menton. Il y a quelques minutes, j’ai réussi à sortir de la voiture, je suis maintenant debout, je m’attache au sol qui me porte.
Ils parlent longuement. Nous restons longtemps devant ces grilles, loin du lieu du crime, de l’effraction, pour se préserver, me préserver.
Ils retardent le moment de m’emmener devant la tombe.
Enfin, nous passons la grille. Tout le monde baisse la tête, moi avec eux.
Une centaine de tombes, petit village, petit cimetière. Le bruit des graviers sous nos pas. Qu’est-ce que je fais là ?
À cette heure-ci, j’aurais rejoint Gilles à la sortie du cinéma, nous devrions être en train de déjeuner tranquillement, en terrasse, rue Montorgueil par exemple.
Je lève le regard quelques secondes pour visualiser l’emplacement de la tombe. Cet endroit qui pique les yeux. Que je ne veux pas voir.
Ils ont tout remis en ordre pour mon arrivée, tout a repris sa place, comme au jour de l’enterrement (j’imagine, je n’y étais pas). Je remarque le passage de la police scientifique, il reste des traces de leur produit vert fluorescent sur les côtés de la pierre tombale et sur les vases. J’ai l’impression d’être dans une mauvaise série policière. Les marbriers ont rescellé la pierre. Les fleurs, en bouquets ou en pots, sont indemnes.
La tombe est intacte, tout le monde a fait son travail, maintenant je dois faire le mien. Mon chéquier est dans la poche arrière gauche de mon jean. Je suis prête à payer, à régler mes comptes avec le passé, comme on dit si bien. Je fais mon devoir de fille. Je m’occupe de ma mère, je range sa mort à l’endroit où l’on a dû la laisser.
Je regarde la tombe sans la regarder. Elle me rappelle qu’elle a été vivante mais qu’elle ne l’est plus. Les deux états s’opposent et l’un met l’autre en exergue. Elle était vivante mais elle est morte mais elle était vivante mais elle est morte mais elle était…
Je ne veux pas penser que c’est ma mère, la moitié de qui j’étais à la naissance, une partie de mon histoire, qui est là, sous la terre.
Il y a mon frère aussi là-dessous. Enterrés ensemble.
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« Romy Schneider était vraie. Plus vraie que ses rôles parfois. Par le mystère du talent mais aussi par l’obstination à ne jamais mentir, à ne jamais tricher. Une star est un mirage. Elle est une star mais un jour, ayant connu des tours de valse, des coups de cœur, des bonheurs lumineux comme son sourire, des rencontres fulgurantes et des chagrins insupportables, un jour, Romy cessa d’être un mirage pour devenir un miroir, celui où se reflètent les joies et les peines du plus grand nombre. Mieux qu’une star. » (Michel Piccoli)
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Tout le monde peut dire le nom de ma mère. Tout le monde la connaît ou a entendu parler d’elle. Surtout ceux qui ont entre quarante et quatre-vingts ans aujourd’hui. Les moins de vingt ans, ça ne leur dit rien, sauf s’ils ont grandi en regardant les Sissi à la télévision, pendant les vacances de Noël, s’ils ont des parents cinéphiles, amoureux des films de Claude Sautet.
Ma mère est inoubliable. Pour son travail d’actrice, pour les hommes qu’elle a aimés, pour la mort tragique de son premier enfant, son fils David, mon demi-frère, mon frère un point c’est tout. À peine un an avant sa mort à elle.
Personne ne veut oublier ma mère, à part moi. Tout le monde veut y penser, sauf moi. Personne ne pleurera autant que moi si je me mets à y penser.

On me parle d’elle en disant son nom au lieu de dire « ta mère », « votre mère ». Comme si je n’étais pas là, devant eux. Je ne comprends pas ce qu’ils disent. Je ne les écoute déjà plus. De qui parlent-ils ? Son nom ne m’intéresse pas, il n’y a que ma mère qui m’intéresse.
Combien de fois ai-je répondu « non » quand, dans la rue, des gens que je ne connaissais pas me demandaient si j’étais sa fille. Je voulais la paix. Éviter les questions, la gêne, les regards appuyés, disproportionnés, trop proches. Je ne sais pas gérer ces situations. À l’impudeur des inconnus, j’oppose une froideur. Je stoppe net, non ce n’est pas moi. Que répondre à leurs « Je l’aimais tellement ». Je n’arrive pas à partager leur amour pour elle, leur manque d’elle. Mon amour et mon vide me semblent mille fois supérieurs. Je ne suis pas la bonne interlocutrice pour eux. J’en suis désolée.
Parfois je réponds « oui ». Je suis de meilleure humeur, j’entends une douceur, un respect plus grand. Je sens que, même si je parle, le silence suivra.
Tout est toujours affaire de rencontres. Et de distance.
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La mort est devenue fertile. Elle produit une somme de choses incroyables pour ceux qui restent. L'engrais des vivants. Autant de petits signes éparpillés. Il n'y a pas trente-six manières de voir les choses. Soit tu suis les morts, soit tu restes en vie. J'ai bien fait d'attendre, tu es arrivée. Ne crois pas que je veuille coller une charge supplémentaire sur tes frêles épaules. Tu ne me dois rie et je te dois tout. A qui je parle ? A vous deux en même temps.
page 251.
Dernier paragraphe du livre. Sarah s'adresse à sa mère, Romy et à sa petite fille, un bébé; Fort belle conclusion !
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Je ne veux pas penser que c'est ma mère, la moitié de qui j'étais à la naissance, une partie de mon histoire, qui est là, sous la terre.
Il y a mon frère aussi là-dessous. Enterrés ensemble.
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