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214 pages
CIACO Louvain la Neuve (01/01/1989)
5/5   1 notes
Résumé :
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Août 1914
Ces jours-ci, la plage est morne, quasi déserte. Bien sûr, on n’explique pas les événements aux enfants de cinq ans. Ils guettent les mots, les mots étranges, et ils entendent tout.
«Des uhlans à Ostende? Déjà?». Je ne comprends rien. Je sens tout. La vie change. Avec ma bonne, je pénètre dans la villa abandonnée de nos voisins: des langes, des linges traînent partout: la fuite.
Le lendemain, notre famille s’entasse dans un fiacre et débarque dans un Ostende déjà enténébré. Sur nos deux malles (l’une d’elles, existe encore), mon père a eu le temps de peindre deux énormes écus noir-blanc- rouge, — nos couleurs, — afin que rien ne se perde dans la ruée des quais. Nous avons dormi chez des cousins, les Pieters, et puis, vint la longue, lon­gue attente du Koningin Wilhelmina.
Nous serons des «réfugiés» durant près de trois ans, accueillis à Bexhill-on-sea, délicieuse villette voisine d’Eastborne, un paradis dans mes souvenirs.
La guerre? J’ignore tout de l’événement. Parmi les sacs, les cordages, je m’amuse follement avec un marin hollandais. Quinze jours encore, et ce bateau sautera sur une mine.
J’ai un souvenir poignant du débarquement à Folkestone. La nuit gris- noir ; la passerelle étroite; la mer qui clapote au-dessous... Le frisson magi­que de la peur. Cette chambre mansardée où je dors près de maman. Le cœur serré. Ce qui me rassure? Le tic-tac du réveil de nickel qui m’assure que le monde reste identique à lui-même et me confie : « Dors. Ils sont tous là». Ce réveil accompagnera ma jeunesse et produit encore aujourd’hui ce même tic-tac insolent, magnifique, répétant que rien, rien ne changera jamais, que ceux qui m’aiment me veillent...
Ils sont tous morts, et cet être miraculeux, ce réveil frappe toujours les secondes de la même éternité. Que la vie féroce nous aime! Que nous aimons la vie...
Bexhill, une ville de conte pour enfants. Un parc aux plates-bandes ourlées de gueules-de-lion et de plumets d’Australie. Un étang où les canes pondent des œufs lourds et jaunes que ma menotte va saisir au fond de l’eau froide. Les enfants anglais ne détruisent pas les fleurs des parcs publics. J’aime ces enfants; Jane la brunette dont je tâtais à l’aveuglette
les boucles au cours des party où l’on éteint toutes les lumières; Jimmy Russel, ses taches de rousseur...
J’avais un casque de cheveux médiéval. Mrs Newcomb, notre hôtesse, me peignait trop longtemps, assis sur ses genoux maigres. Elle respirait le bel enfant. Et l’enfant a horreur d’être humé comme une fleur. Pauvre Mrs Newcomb, squelettique, coiffée d’une perruque pharaonique!
C’est devant la porte de mon école que je connus la honte pour la pre­mière fois, que je sentis le froid du bannissement. J’étais un gamin agité, bavard et trouble-classe. On me rejetait souvent au trottoir. Un crayon à l’aniline bleuissait lentement la flaque ; je me laissai fasciner par cet ennuagement violacé. J’évitai ainsi les regards désapprobateurs des vieux hom­mes qui se plaisaient à sermonner l’enfant puni. Si les vieillards savaient comme l’enfant les voit !
La peur était un de mes délices. J’allais au cinéma suivre les épisodes d’un film combien raciste : Clutching Hands où les «mauvais» étaient tous chinois...
Des Anglais, j’avais appris la langue comme un buvard prend l’encre, sans m’en douter. Ma première communion (1915) fut l’occasion d’un événe­ ment intérieur d’une intensité plus jamais vécue: je sus, comme on sait que le soleil surgit des nues, que Dieu m’avait aimé, et cette empreinte de tendresse devait survivre à toutes les turpitudes de ma vie. Dieu m’a aimé; cela suffit.
Une pâtisserie offrait des petits pots de crème dont le goût m’obséda au point, — j’avais six ans, — que je volai la piécette nécessaire dans le porte-monnaie de maman. Jamais je n’aurais osé l’avouer au confesseur. J’eus un grand dégoût de ce geste. Ce fut peut-être l’origine de mon sens de l’honnêteté. Curieusement, la luxure me choque peu chez mes frères ; je trouve plutôt ridicule cet appétit dont on a tiré tant de drames assez absur­des. Cependant que le vol me révulse; j’estime immonde l’homme qui se glisse dans le logis d’autrui; j’éprouve pour le cambrioleur la sévérité des vieux rois nègres. Le pilori, au moins!
Bexhill, champs de blue-bells, talus au printemps tout dorés de prime­ vères ; vieux arbres chevelus des avenues ; magasins-potinières (six pence bazar: tout au même prix; que de plaisirs!). Mon enfance anglaise est une image divine au fond de ma mémoire.
Très longtemps, tout malicieux que je fusse et touche-à-tout, je fus un enfant absolument pur, passé ma treizième année. Merveilleusement igno­ rant de mon corps. D’où cette vie de rêve, très concrète, d’une gaîté de petit animal.
On rira, mais j ’ai souvent rêvé que je redevenais heureux aux moëlles, parce que redevenu impubère...
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Pauvres gosses étions-nous, surpris par l’irruption de la puberté! Plu­sieurs mois d’été, en cinquième latine, je portai mon manteau pour ne pas tra­hir ma soudaine déformation éventuelle! Et quand, pressé par mes parents venus lui demander d’intervenir, un Jésuite m’exposa le plan divin de la pro­ création, ce ne fut qu’une rumeur confuse bourdonnant aux oreilles.
Années brûlantes; plaisirs furtifs et torturants; fantasmes d’irréelles beautés. La jeune-fille de marbre du square Marguerite, la hanche un peu ployée, me poignait de désir triste. Jeune écolier, images et statues me frap­ paient beaucoup, mais nullement les fillettes de chair qui me semblaient assez sottes.
A quatorze ans, ma vraie vie était secrète. Je n’avais pour confident que mon vicaire. Il me donnait une amitié brûlante. Un jour de confession, il s’agenouilla brusquement, sans un mot, devant moi. Il me lavait l’esprit ; je me relevais absous, frémissant de nouveauté.
En ces années 20, encore pudiques, les nudités me captivaient excessi­ vement, d’autant que mon père arrachait les pages de livres pourtant luxueux où s’étalaient de grasses déesses, les Néréides, les sylphides peu voilées. Le piment du péché relevait l’assez morne fumet de la «chair» jusqu’à susciter l’attente de délices suraigües. Cependant, les quelques expériences où, après la rhétorique, ces rêveries tentèrent de s’appliquer furent sinistres.
J’avais grandi pour aimer totalement. La pauvre mécanique sexuelle isolée de la tendresse n’est qu’une âpre singerie. C’est d’ailleurs sans attrait que je menai ces brèves aventures, par mimétisme garçonnier, et sans doute aussi, pour échapper à mon foyer calme et clos.
Un soir, un groupe théâtral d’amateurs me convoqua. J’y rencontrai une jeune fille piquante, vive. Elle est encore ma femme. Toute ma vie s’orienta dans le sens d’une créativité exubérante.
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Mon amour du beau papier serait-il héréditaire ?
Mon père ramenait souvent du Ministère des fiches de couleurs vives qui me faisaient sauter le coeur.
A cinq ans, le 17 mai 1914, je fus heurté par un tramway, rue du Noyer. Evanoui, la cuisse gauche brisée, j'ouvris les yeux, sur la table d'une pharmacie, au coin des rues du Beffroi et du Noyer. Un policier géant à capote flottante, frère du policier de Quick et Flupke, veillait de haut sur mon retour de conscience.
Ton père, qu'est-ce qu'il fait ?
Marchand de papier ...
Il était fonctionnaire au Service des lois étrangères.

A six ans, toujours pour l'amour des beaux papiers, ma chambre se transforma (peu de temps) en études de notaire. Le legs d'un cousin m'orienta vers des joies liturgiques.
Quel jeu plus captivant que celui qui vous autorise les bougies, le vin,
le service d'une soeurette comme enfant de choeur, sans oublier le port d'une mignonne chasuble de soie, le maniement du calice et des burettes d'étain, légués par le cousin. Grisant !
Trente ans plus tard, tant de gestes pieux n'empêchèrent pas la scène odieuse que je fis à ma femme pour avoir mis à la poubelle les débris de ma chasuble. J'étais attachés au x restes de mes joies, au point d'emporter dans mes bagages de jeune marié, le petit canon qui tirait des obus de bois ! don d'un Saint Nicolas de 1919. Peu me pardonnent d'avoir été le plus heureux des gamins de ville. Faute de prairies, je courais sur les toits...
De ce papier que je n'aimais que glissant ou pulpeux, comme journaliste je noircis des rames. Quand en 1929 sortit mon premier recueil, "Les Monastiques", écrit dans la fièvre après mon aventure de la Trappe, je palpai et humai les Hollandes et les Japon avec tendresse.
Déjà collégien, l'arrivée hebdomadaire de "La Jeunesse", fondé par Edouard Ned, me jetait dans la délectation de la vue, des doigts, de l'odorat. Depuis ma treizième année, j'ai écrit tous les jours articles ou poèmes. Mais si le papier carbone n'avait été inventé, n'aurais-je tant rempli de pages pour mes amis ? (...)
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L’homme normal
Le saint ignore sa sainteté. Le prince oublie sa noblesse. Le bel homme ne se sait pas beau. Le génie ne s*ébouriffe pas les cheveux devant la glace. L'homme normal ne saurait croire au mérite de l ’être.
Mon père exaltait l’aurea mediocritas. Je m'en scandalisais, friand d'héroïsme. Il excellait dans l'heureuse moyenne, jouait (un peu) du piano, peignait sans prétention, collectionnait sans fièvre,
goûtait de tout, n'abusait de rien.
Par sa modestie, l'homme normal assure le repos du pouvoir. Sa
naïveté politique conditionne la stabilité des régimes. Ses vertus modérées permettent d'évoquer une moralité publique.
Son enfance ignore le vol, la délinquance; les éducateurs spécia­ lisés ne sont pas pour lui. Sa jeunesse se dispense des juges, des pri­ sons, des passions stupides et violentes. Adulte, il élève lui-même ses enfants, laissant aux autres de se faire offrir par l'Etat des crèches à mille francs par jour. Comme il ne force nulle serrure, n'enlève aucunefemme, ne détruit ni le sommeil de ses voisins, ni les cabines téléphoniques, les frais de police ne le concernent pas.
L'hommenormalfaittoutletravaildelaterre.Deplus, ilpaie les pots cassés par les citoyens agités, revendicatifs, ivrognes et tordus.
Décorons l'homme normal.
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Pauvres gosses étions-nous, surpris par l’irruption de la puberté! Plu­ sieurs mois d’été, en cinquième latine, je portai mon manteau pour ne pas tra­ hir ma soudaine déformation éventuelle! Et quand, pressé par mes parents venus lui demander d’intervenir, un Jésuite m’exposa le plan divin de la pro­ création, ce ne fut qu’une rumeur confuse bourdonnant aux oreilles.
Années brûlantes; plaisirs furtifs et torturants; fantasmes d’irréelles beautés. La jeune-fille de marbre du square Marguerite, la hanche un peu ployée, me poignait de désir triste. Jeune écolier, images et statues me frap­ paient beaucoup, mais nullement les fillettes de chair qui me semblaient assez sottes.
A quatorze ans, ma vraie vie était secrète. Je n’avais pour confident que mon vicaire. Il me donnait une amitié brûlante. Un jour de confession, il s’agenouilla brusquement, sans un mot, devant moi. Il me lavait l’esprit ; je me relevais absous, frémissant de nouveauté.
En ces années 20, encore pudiques, les nudités me captivaient excessi­ vement, d’autant que mon père arrachait les pages de livres pourtant luxueux où s’étalaient de grasses déesses, les Néréides, les sylphides peu voilées. Le piment du péché relevait l’assez morne fumet de la «chair» jusqu’à susciter l’attente de délices suraigües. Cependant, les quelques expériences où, après la rhétorique, ces rêveries tentèrent de s’appliquer furent sinistres.
J’avais grandi pour aimer totalement. La pauvre mécanique sexuelle isolée de la tendresse n’est qu’une âpre singerie. C’est d’ailleurs sans attrait que je menai ces brèves aventures, par mimétisme garçonnier, et sans doute aussi, pour échapper à mon foyer calme et clos.
Un soir, un groupe théâtral d’amateurs me convoqua. J’y rencontrai une jeune fille piquante, vive. Elle est encore ma femme. Toute ma vie s’orienta dans le sens d’une créativité exubérante.
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