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François Bizot, ethnologue spécialisé dans l'étude du bouddhisme et de la civilisation khmère, avait dans un précédent ouvrage, le Portail, raconté comment en octobre 1971, en pleine guerre civile, il avait été arrêté au Cambodge par des miliciens khmers alors qu'il effectuait des recherches sur le bouddhisme. Soupçonné d'être un agent de la CIA, il était condamné à mort et conduit dans un sinistre centre de détention dont le chef est un certain Douch, un jeune homme de 27 ans. Détenu durant 3 mois, il doit sa libération à ce dernier alors que tous ses compagnons de voyage seront exécutés.
En 2009 François Bizot est appelé à témoigner lors du procès de son ancien tortionnaire arrêté en 1990. Dans le Silence du Bourreau, François Bizot aborde avec lucidité cette période et propose une réflexion sur cet homme, un révolutionnaire devenu bourreau. L'hypothèse menée par François Bizot est que derrière chaque tortionnaire existe aussi une part d'humanité. Un bourreau est avant tout un homme et l'auteur cherche ce moment clé qui le fait commettre des actes qualifiés de « monstrueux ».
La réflexion est passionnante mais le style reste difficile. Il m'a fallu relire certains passages plusieurs fois pour retrouver la trame de l'histoire. Néanmoins je suis allée jusqu'au bout.
Ouvrage captivant dont je recommande la lecture.
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« Derrière le masque du monstre il faut s'efforcer de voir l'être humain. »
Ayant lu l'été dernier le portail, et l'ayant apprécié, j'avais naturellement envie de m'intéresser d'un peu plus près à ce qu'avait à nous dire François Bizot à ce même sujet.
Si le portail relatait son vécu au Cambodge, ici, nous sommes dans le registre de la réflexion, du questionnement.
Il y a eu quelque chose de dérangeant à lire ce livre, pour l'ambiguïté qui ressort des propos de son auteur.
François Bizot, qui fut retenu au Cambodge, quelques moins en 1979, et libéré sous "l'influence favorable" de celui qui fut jugé, il y a peu pour actes de torture et de barbarie, et considéré comme responsable de milliers de mort. Douch a été le bourreau, mais aussi celui qui l'a libéré. Si l'auteur peut faire preuve d'empathie, il ‘y a aucun dédouanement de sa part.
Comment faire la part des choses ? Comment devient-on une figure du mal absolu alors qu'on a été un homme lettré, éduqué ?
Il est difficile à entendre qu'un homme puisse être ni tout à fait bon, ni tout à fait mauvais. Il est difficile à concevoir qu'en chaque bourreau, persiste une part d'humanité.
C'est à cela que François Bizot s'attèle dans cet ouvrage, fort bien écrit et documenté. Sa réflexion s'articule autour de 5 chapitres repentant chacun une période historique déterminante. La lecture n'en est pas aisée ; j'ose dire que ce n'est pas un ouvrage grand public, et qu'il est préférable d'en avoir lu auparavant le Portail pour bien s'imprégner de ce dont il est question.



Lien : http://leblogdemimipinson.bl..
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Comment peut' on survivre quand on a échappé au pire ? Comment peut on être un libérateur pour les uns et un bourreau pour les autres, comment peut on tenter de comprendre les faits d'hommes, qui deviennent des bourreaux ? Sont-ils encore des hommes ou y a-t-il des situations et des circonstances qui peuvent expliquer ces actes ?
Après avoir écrit « le portail », François BIZOT revient sur ce qu'il a vécu au Cambodge mais aussi sur ces questionnements personnels par rapport aux comportements des hommes. Il donne d'ailleurs des exemples de ses propres comportements, lors de son enfance et adolescence.
Comment un homme peut il devenir un bourreau pour les uns et une homme « bon » pour d'autres ?
François BIZOT a rencontré Douch au début du pouvoir des khmers rouges. Il fut arrêté par les khmers rouges et incarcéré dans un camp, son gardien était Douch. C'est Douch qui le gardait prisonnier mais c'est lui aussi qui l'a libéré et ainsi sauvé de la mort.
Puis Douch est devenu le directeur bourreau de la sinistre et célèbre prison M21.
L'homme qui l'avait libéré et lui a sauvé la vie est devenu l'un des bourreaux les plus effroyables du 20e siècle.
François BIZOT est appelé à témoigner lors du procès de Douch en 2009.
Il nous décrit alors avec tact et délicatesse ses doutes, ses questionnements.
Sans jamais être donneur de leçons, il décrit et tente de comprendre comment un homme reste tout de même un homme, même quand il a été un bourreau.
Le silence du bourreau est un témoignage poignant.

A ré-écouter l'émission « hors champs »de Laure Adler et de sa rencontre avec François Bizot,
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Résumé personnel

François Bizot a été incarcéré par les Khmers rouges et relâché peu de temps après par le responsable du camp : Douch.
Il va découvrir ensuite que son "libérateur" à torturé et tué directement et indirectement un très grand nombre de personnes.
Il témoigne à son procès.

Avis

Hélas...

Je n'ai pas lu son précédent livre "Le Portail" qui raconte plus en détail son incarcération. "Le portail" semblerait être plus "récit" que le silence du bourreau.
J'ai ressenti clairement le besoin de lire "le Portail" avant ce roman.

Le silence...

Ce livre n'est pas l'histoire de François Bizot au quotidien, mais le livre d'un écrivain qui prend de la hauteur. Mais attention "hauteur" est sans doute un terme malpropre. Il ne s'éloigne pas des faits, de la réalité.
Au contraire il semble plonger à la fois au plus profond de lui pour trouver parfois des ponts, des points communs entre lui et son bourreau, et en même temps trouver et retrouver chez L'Homme ces mêmes traits.

Parfois des détails, des phrases, des situations transpercent le roman comme s'ils remontaient à la surface.
Mais la plupart du temps, l'auteur brandit à la fois un miroir et à la fois le visage de Douch pour se regarder lui même.

C'est un point très remarquable : comment un homme condamné, qui a vu ses amis disparaître, son pays (d'adoption) ravagé peut t'il ne pas juger son bourreau comme un monstre sans humanité sans excuse.
Très éloigné de la situation vécue il est difficile de juger, de mesurer...mais le silence du bourreau nous explique, nous relate et au final arrive à nous emmener vers son identification, son empathie profonde pour tout être humain.
Il est vrai cependant que devant des cas plus proches et plus contemporains, je ne pense pas arriver à prendre le même chemin et encore moins aux mêmes conclusions que François Bizot.
Réussir à voir l'humanité et la monstruosité en l'Homme n'est pas un chemin facile.

Style

Très bien écrit ! Des phrases que l'on sent écrite par quelqu'un de cultivé et de simple à la fois.

Bémol

Mon seul bémol : ne pas avoir lu "Le Portail" avant (ou vu les reportages) peut être frustrant car parfois certains éléments (dialogues, situations) ne sont qu'évoquées sans élément tangibles (Dans ce livre).

Ressources

Le post scriptum du livre (1/3 du roman) nous donne un accès direct à quelques témoignages comme : La déposition de François Bizot au tribunal (PDF)
Lien : http://travels-notes.blogspo..
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Avec ce livre, François Bizot, anthropologue, spécialiste de l'Asie du Sud-est, revient sur son emprisonnement au Cambodge en 1971 par les khmers rouges qu'il avait déjà évoqué dans le portail sorti en 2000 (un livre que je pensais lire avant celui-ci mais je n'ai pas eu le temps).

Ici, il tente d'analyser en profondeur Douch, responsable du centre S21 où plus de 15 000 personnes furent emprisonnées et torturées, alors que son procès se tient et qu'il est appelé à témoigner. Cet homme travaillait en 1971 au camps où Bizot était emprisonné, ils avaient noué une relation particulière faite de confidences et c'est grâce à cet homme persuadé de son innocence (Françoit Bizot était à l'époque soupçonné d'être un membre de la CIA) qu'il a été libéré et non tué. C'est donc à ce bourreau qu'il doit la vie.

C'est un livre difficile à lire parce qu'il dit des choses pas simples à entendre, par exemple que ce bourreau est aussi un être humain, alors qu'on serait tenté de le voir comme un monstre parce que c'est plus « acceptable ».

Avec ce livre, Bizot interroge l'âme et ce qu'elle peut avoir de plus sombre, avec une très belle écriture, intelligente et parfois complexe.

On trouve également dans ce document une lettre de Douch envoyé à l'auteur et qui réagit à la lecture du Portail et la retranscription du témoignage de l'auteur au procès.

Un témoignage donc exceptionnel sur cette période et sur l'un des protagonistes les plus importants de cette tragédie (et le seul à être emprisonné à ce jour, le procès d'autres responsables du régime étant toujours en cours, l'un d'eux vient d'ailleurs tout juste de décéder). Un document à conseiller par contre à ceux qui connaissent déjà l'histoire tragique du Cambodge, pas à ceux qui souhaitent la découvrir.

Un livre qui fait froid dans le dos…
Lien : http://delphinesbooksandmore..
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François Bizot, ethnologue français en mission au Cambodge, a été fait prisonnier par les Khmers rouges en 1971.
Son geôlier s'appelle Douch. Il parle français car il a étudié en France. Les 2 hommes ont presque le même âge (28 et 30 ans). Finalement F Bizot sera relâché au bout de 3 mois, mais pas ses 2 collègues cambodgiens.

Pour suivre la chronologie de ce livre qui va de 1963 à 2011, il convient de se remémorer quelques dates et événements :

De 1971 à 1975, le régime des Khmers Rouge mis en place par Pol Pot sévit au Cambodge. Douch est le directeur du centre de détention et torture de Tuol Sleng (S.21) à Phnom Penh et est responsable de plus de 12 000 morts. Au total 1,7 millions de cambodgiens meurent en 4 ans (Déportation, massacre, torture, famine, maladie ...) soit un quart de la population.

1988 - François Bizot visite le centre de Torture S.21, et reconnait Douch, sur une photo.
1999 - Douch est retrouvé et inculpé de génocide.
2001 - François Bizot écrit ses souvenirs de détention au camp M.13 dans « le Portail », 30 ans après les faits.
2003 - L'auteur rencontre Douch en prison.
2010 - F Bizot témoigne au procès. Il écrit ce livre « le silence du bourreau ».
Douch sera condamné à 30 ans de prison (alors que 40 ans étaient demandés).
2011 - En appel, les avocats de Douch demandent son acquittement.

En parallèle de l'histoire officielle, F Bizot a fait parvenir son livre ‘Le Portail' à Douch et a été autorisé à le rencontrer. Il existe entre les deux hommes une relation complexe et contradictoire (Douch n'ayant pas fait exécuter son prisonnier). Syndrome de Stockholm ?
Cependant F Bizot reste lucide face à tant de monstruosité. Il s'interroge sur le Mal et essaie de voir l'humain derrière le bourreau, car si l'on considère que les tortionnaires sont des êtres humains ordinaires (et non pas des monstres) il devient possible de les juger.
Poursuivant sa réflexion et son analyse, l'auteur examine ses propres mauvaises actions qu'il n'arrive pas à oublier (en 1963, étant donné qu'il ne pouvait pas l'emmener en voyage, il tue lui-même sa petite fennec Sarah, qu'il avait apprivoisée et qu'il aimait tant …).

Tout homme, à un moment donné pourrait-il devenir un meurtrier ?
---
Le Cambodge est de nouveau d'actualité, car Douch est le dernier khmer rouge vivant à être jugé, et il vient de faire appel (jugement en février 2012).

En librairie et sur les écrans :
« L'élimination» Roman de Rithy Panh et Christophe Bataille – éditions Grasset 2011.
« Duch, le maître des forges de l'enfer » film documentaire du cinéaste Rithy Panh.
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En ce moment, je n'ai pas de chance dans mes lectures. Après mon abandon de Chez les heureux du monde d'Edith Wharton, j'abandonne cette lecture-ci, mais pour des raisons totalement différentes.
Revenons sur les raisons qui m'ont fait choisir ce livre : je ne connais les Khmers rouges que de nom, ces deux mots accolés synonymes d'un pays entier dont la population a connu la terreur. Alors lorsqu'on me propose le témoignage d'un français qui s'est retrouvé dans un camp et qui a pu en réchapper, je me suis dit que cela pouvait être intéressant.
Intéressant, le livre de François Bizot l'est indubitablement. Il mène ici une vraie réflexion sur ce qui fait un bourreau, sur le mal et sa banalité, pourtant si caractéristique de la nature humaine. L'auteur ose montrer qu'un bourreau est avant tout un homme et il cherche ce moment clé qui fait basculer toute une vie. Pourquoi Douch aura-t-il été pour lui un sauveur alors qu'il en aura tué tant d'autres ? Comment se peut-il que la fille de François Bizot regarde Douch en pensant qu'elle n'aurait jamais revu son père s'il n'avait pas été là, alors que tant d'autres rêvent que cet homme n'ait jamais existé pour que leur propre père soit encore en vie ? La scène d'ouverture du livre est d'ailleurs très éclairante : le jeune François ne sait que faire de sa chienne suite au décès de son père et choisit de la tuer, alors qu'il l'adorait. Il aura lui aussi été bourreau et c'est bien parce qu'il endosse ensuite le rôle de victime dans les camps des Khmers rouges qu'il peut se permettre de poser ces questions que tout le monde se posent mais qui ne sont pas politiquement correctes. Trop souvent on se limite à refuser le monstre, à ne pas chercher à comprendre. Mais comprendre n'est pas synonyme de pardonner. Comprendre peut être une recherche nécessaire pour continuer à vivre.
Le problème de ce livre est le style terriblement complexe, ardu, difficile, dans lequel la réflexion philosophique perd souvent le lecteur. On se débat avec ce texte, on relit plusieurs fois une même phrase. Difficile de retrouver dans ce récit, plus proche d'un essai, la trame de l'histoire qui nous guide. J'ai fini par laisser tomber cette réflexion philosophique donc, et j'ai eu la curiosité d'aller voir à la fin, où j'ai trouvé les annexes, beaucoup plus claires, qui expliquent bien les faits.

Lien : http://nourrituresentoutgenr..
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Un livre qui nous interroge sur nous même. Sous fond de massacre Khmer, le bourreau prend le visage de Douch, la question en suspend est pourquoi cet homme est il devenu ce qu'il est? F.Bizot explique l'analyse qui l'a poussé à juger de son point de vue et du point de vue de la société un bourreau des temps modernes.
Ce livre pousse à la réflexion et en aucun cas à excuser les gestes d'un ou des hommes.
Ce livre est un livre d'actualité qui n'a aussi pas d'époque. le fait que F.Bizot puisse avoir cette relation si spéciale avec Douch (le Portail) donne du relief aux propos énoncés dans le livre, cela n'est pas une fiction.
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Comment peut' on survivre quand on a échappé au pire ? Comment peut on être un libérateur pour les uns et un bourreau pour les autres, comment peut on tenter de comprendre les faits d'hommes, qui deviennent des bourreaux ? Sont-ils encore des hommes ou y a-t-il des situations et des circonstances qui peuvent expliquer ces actes ?
Après avoir écrit « le portail », François BIZOT revient sur ce qu'il a vécu au Cambodge mais aussi sur ces questionnements personnels par rapport aux comportements des hommes. Il donne d'ailleurs des exemples de ses propres comportements, lors de son enfance et adolescence.
Comment un homme peut il devenir un bourreau pour les uns et une homme « bon » pour d'autres ?
François BIZOT a rencontré Douch au début du pouvoir des khmers rouges. Il fut arrêté par les khmers rouges et incarcéré dans un camp, son gardien était Douch. C'est Douch qui le gardait prisonnier mais c'est lui aussi qui l'a libéré et ainsi sauvé de la mort.
Puis Douch est devenu le directeur bourreau de la sinistre et célèbre prison M21.
L'homme qui l'avait libéré et lui a sauvé la vie est devenu l'un des bourreaux les plus effroyables du 20e siècle.
François BIZOT est appelé à témoigner lors du procès de Douch en 2009.
Il nous décrit alors avec tact et délicatesse ses doutes, ses questionnements.
Sans jamais être donneur de leçons, il décrit et tente de comprendre comment un homme reste tout de même un homme, même quand il a été un bourreau.
Le silence du bourreau est un témoignage poignant.

A ré-écouter l'émission « hors champs »de Laure Adler et de sa rencontre avec François Bizot,
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François Bizot est le témoin-survivant qui a écrit l'excellent ouvrage de témoignage « le portail », suite à son incarcération entre le 10 octobre et le 25 décembre 1971, dans le camp d'extermination Communiste Khmer Rouge M.13. Dans ce premier ouvrage, il décortiquait sa confrontation intellectuelle et psychologique avec son bourreau, Douch. Douch étant devenu, lors du Génocide Cambodgien par les Khmers Rouges, entre le 17 avril 1975 et 1979, le tortionnaire-exterminateur de milliers de victimes dans le Centre de Torture de Tuol Sleng (S.21), un ancien lycée, à Phnom-Penh.

Dans ce nouveau récit, François Bizot approfondie encore davantage l'analyse de sa complexe relation avec son bourreau Douch, voulant s'efforcer de voir derrière le masque du monstre, du bourreau, celui de l'homme, de l'être humain. Douch était à cette époque totalement Idéologisé et enfermé dans un système de Terreur (le régime Totalitaire Communiste Khmer Rouge) dont il avait lui-même excessivement peur. François Bizot nous explique qu'à cette époque, Douch n'avait déjà plus aucune possibilité de faire marche arrière, non seulement par peur d'être exécuté à son tour, mais également dans le cadre de ses engagements par rapport à son groupe.
La contradiction que François Bizot assume pleinement réside dans le fait, qu'en parallèle, l'auteur reconnaît, bien évidemment, la TOTALE et INFINIE responsabilité de Douch dans l'horreur de ses crimes innombrables.

François Bizot se compare à travers ses quelques « mauvaises actions » (comme entre autres : le meurtre « sauvage » de sa chienne Sarah, qu'il adorait pourtant) dans son existence, avec la démarche exterminatrice de son bourreau Douch. En effet, François Bizot est persuadé qu'un être humain, suivant les circonstances de son existence, peut devenir potentiellement bourreau ou victime. Cette pensée ne le quitte plus depuis sa tragique expérience dans le camp M.13.
François Bizot décrit également cette étrange dépendance, voire cet attachement que la victime entretient parfois vis-à-vis de son bourreau, ce que l'on nomme aujourd'hui le « syndrome de Stockholm ».

De plus, il reste hanté par la mort de ses deux compagnons d'infortune, Lay et Son, alors que lui a eu le « privilège » d'avoir survécu à cette tragédie (page 55) :

« Je hais ce moment de mon existence sans lequel j'aurais pu vivre serein, et avec suffisamment d'aplomb pour continuer à juger mes semblables. Quand nous nous sommes dit au revoir, d'un dernier signe de loin, le spectacle que je donnais de moi-même devenait si piteux que pendant un instant j'ai vraiment voulu croire, comme eux-mêmes en étaient convaincus sans me le dire, que ce départ, sous le couvert de ma libération, était bien mon dernier voyage, que je marchais à mon tour vers une mort imminente. »

En 1988, François Bizot visita l'horrible Centre de Torture que fut S.21, et reconnu à cette occasion, Douch, sur une photo.
Douch ne fut arrêté qu'en 1999. François Bizot ressentit alors le besoin viscéral d'écrire son premier ouvrage de témoignage « le portail », en 2000.
En 2003, l'auteur fut autorisé a rencontré Douch.

Une annexe passionnante figure à la fin de cet ouvrage fondamental. Celle-ci retrace la déposition partielle que François Bizot fit les 8 et 9 avril 2009, à Phnom-Penh devant les Chambres extraordinaires au sein des Tribunaux Cambodgiens, lors du Procès de Douch, notamment.
Cette déposition est particulièrement intéressante, puisque François Biot exprime avec une très grande honnêteté et sincérité, son positionnement contradictoire vis-à-vis de Douch.
Je laisse donc les paragraphes de fin à l'auteur. Ces citations sont donc extraites de sa déposition devant la Cour Pénale Internationale, car rien ne peut remplacer : sa sensibilité extrême, sa puissante intelligence, sa très profonde grandeur d'âme, sa terrible expérience, ainsi que son sens aigu de…, l'Humanisme (pages 208 et 209) :

« Je dois dire que ma rencontre avec Douch a marqué mon destin et toute ma réflexion, comme tout ce que je suis aujourd'hui, pour une raison simple ; et tragique. C'est que je dois désormais m'arranger comme je peux avec une donnée double, dont les deux aspects se contredisent atrocement en moi : d'une part un homme qui a été le porteur, le bras armé, d'une tuerie étatisée, et gros de tant d'horreurs commises que je ne peux pas imaginer me mettre aujourd'hui à sa place ; d'autre part celle d'un jeune homme dans lequel j'avoue que j'ai peur de pouvoir me reconnaître, qui a engagé son existence et son coeur en faveur de la révolution, pour un but dont la grandeur cautionnait dès lors l'idée que le crime n'était pas seulement légitime mais qu'il était méritoire ; comme dans toutes les guerres.
(…) Mon existence m'a amené à côtoyer l'un et l'autre des deux aspects de l'homme en même temps, et je ne peux pas me débarrasser de la pensée que ce qui a été perpétré par Douch aurait pu l'être par beaucoup d'autre. En voulant réfléchir à cela, il ne s'agit pas de minimiser un seul instant la portée, la profondeur, l'abomination du crime qui est le sien. »

Plus loin dans sa déposition, François Bizot précise encore davantage sa pensée : démontrant que pour percevoir et dénoncer l'ampleur de la monstruosité des Crimes d'un homme, il faut le présenter et le considérer comme un être humain « ordinaire », plutôt que comme un monstre qui serait parfaitement étranger à notre humanité (pages 226 et 227) :

« Ce que je veux dire par là, c'est que, pour prendre la mesure de l'abomination du bourreau et de son action – vous venez de citer le nom de Nuon Chea, ou celui de l'accusé -, je dis qu'il faut réhabiliter l'humanité qui l'habite. Si nous en faisons un monstre à part, dans lequel nous ne sommes pas en mesure de nous reconnaître, en tant qu'être humain, non pas en tant que ce qu'il a pu faire mais en tant qu'être humain, l'horreur de son action me semble nous échapper dans une certaine mesure. Alors que si nous considérons qu'il est un homme avec les mêmes capacités que nous-mêmes, nous sommes effrayés, au-delà de cette espèce de ségrégation qu'il faudrait faire entre les uns qui seraient capables de tuer et puis nous qui n'en sommes pas capables. Je crains malheureusement qu'on ait une compréhension plus effrayante du bourreau, quand on prend sa mesure humaine.
D'autre part, essayer de comprendre ce n'est pas vouloir pardonner. Il n'y a me semble-t-il aucun pardon possible. Au nom de qui peut-on pardonner. Au nom de ceux qui sont morts ? Je ne le pense pas. Et l'horreur de ce qui a été fait au Cambodge, qui n'est pas exclusive malheureusement à ce pauvre pays, c'est une horreur sans fond, et le cri des victimes doit être entendu sans jamais penser qu'il puisse être excessif. Les mots les plus durs qu'on peut avoir contre l'accusé sont des mots qui ne seront jamais assez durs. Il ne s'agit pas de vouloir pardonner ce qui a été fait. Il s'agit, dans ma démarche, qui n'a aucune raison d'être celle des victimes, d'essayer de comprendre le drame universel qui s'est joué ici, dans les forêts du Cambodge ; comme dans d'autres pays, ou à d'autres moments de notre histoire. Même l'histoire la plus récente. »

Confer également d'autres ouvrages aussi passionnants sur le même thème, de :
– Kèn Khun de la dictature des Khmers rouges à l'occupation vietnamienne ;
Thierry Cruvellierle maître des aveux ;
François Bizotle Portail ;
– Malay Phcar Une enfance en enfer : Cambodge, 17 avril 1975 – 8 mars 1980 ;
– François Ponchaud Cambodge année zéro ;
– Claire Ly Revenue de l'enfer : Quatre ans dans les camps des Khmers rouges ;
– Sam Rainsy Des racines dans la pierre ;
– Pin Yathay Tu vivras, mon fils ;
– Philip Short Pol Pot : Anatomie d'un cauchemar.
Lien : https://totalitarismes.wordp..
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