Aucun humain n'emcombre mon champ de vision, je flotte à l'équateur et je suis à peu près sûr que la lune me fait un clin d'œil. Le reste du monde s'est effacé.
- Je vous ai préparé un petit Powerpoint avec des photos d'époque.
Sœur Margaret a 83 ans et elle pianote sur son PC à la vitesse du geek.
Pour rejoindre Christmas depuis Tarawa, il faut sortir du pays et passer par les Fidji. Imaginez un vol Paris-Marseille avec une escale à Varsovie.
Il y a des pays en voie de développement et des espèces en voie de disparition. La République des Kiribati est un pays en voie de disparition.
On peut tenter d'exercer une sorte de pensée magique pour oublier son imminence. Inutile, elle finit toujours par tomber sur le voyageur, la déprime de mi-séjour. Aux premiers kilomètres, on est porté par le mouvement, tout est neuf. Sans préavis, le mouvement se fige, on est absorbé par un trou d'air et on se regarde en train de pédaler dans le vide, loin des siens.
En voyage, tout est plus intense. Les moments de grâce comme ceux de désarroi.
En usant de généralités, on pourra affirmer qu'on rencontre aux Kiribati les gens les plus serviables et les moins efficaces du monde. On acceptera toujours de vous aider et on y parviendra rarement. Tout est facile, rien ne marche. C'est le charme et le drame de cette contrée.
Soyons honnêtes, le changement climatique n'est pas une thématique sexy. Il vient de temps en temps remplir une case dans les journaux télévisés, celle de la prophétie anxiogène. La menace écologique globale stimule notre propension à l'indignation - salauds de pollueurs - et tenaille notre mauvaise conscience - tiens, moi aussi je pollue. Elle active la culpabilité, posture en vogue en Occident travaillé à la fois par la honte de son passé colonial et par la masochisme hérité de sa culture chrétienne. On s'autoflagelle cinq minutes en songeant à la planète que nous laisserons à nos enfants, puis on va faire des courses. Tout bien pesé, je crois qu'on s'en fout. Autour des machines à café, on parle toujours de la météo, jamais du climat. C'est normal, les loyers sont intenables et nous n'aurons pas de retraite, alors il faut bien établir des priorités. Le futur, on verra ça demain.
Tarawa, future Atlantide, s'éloigne pour devenir un point anonyme dans l'horizon. Vue d'ici, elle évoque ces images de notre planète Terre, minuscule dans le grand vide de l'espace. Une perfection vulnérable, un paradis en sursis.
Ce n'est plus une carte postale, c'est un lieu où vivent des gens, des gens que je connais.
Le niveau de fatalisme semble proportionnel à celui de l'océan.