Ce petit livre, 91 pages, est constitué de 9 textes courts, textes qui trouvent en eux une liaison, tout parle ici d'amour, de silence, d'écriture, de lecture, de vie. On dénonce ici la société matérialiste, routinière, aveugle, aveugle de l'amour, plate et on écoute la voix de l'écriture, de la lecture, des songes, la voix de l'amour et de la vie. Tout est poésie dans ses lignes, un envoûtement paisible, qui peut aussi bousculer, comme à travers le texte « Vie souterraine », où l'on y trouve mélancolie, tristesse mêlées à l'amour. Une profondeur d'écriture dans sa justesse, sa simplicité, la force des mots, des choses, la réalité de nos vies. Notre impuissance face aux sentiments qui nous dominent, la grandeur de l'amour. Savoir lâcher prise, écouter le silence.
Tout est assemblage de toute une vie, de toutes ses nuances, l'innocence de l'enfance, la joie, la tristesse, le quotidien, la société où l'on court, où l'on ne sait s'arrêter, se poser, où l'on est fatigué ; entrer dans le silence, partager l'amour, le perdre, trouver la mélancolie. La force de la lecture, de cette voix, la force de l'inutilité de ces rêveries, de cette fuite.
J'ai aimé ce livre même si j'ai mis un peu de temps à y entrer. Etait-ce parce que mon esprit était perturbé par des évènements extérieurs et sans lien avec cette lecture, ou était-ce parce que je n'ai pas tout de suite saisi… je ne sais pas. Je sais que j'ai été envoûtée quand j'ai lu « regarde-moi, regarde-moi ». J'ai lu ensuite comme on dévale une montagne, comme on navigue à grande vitesse sur une rivière et qu'on savoure chaque respiration, chaque souffle, chaque odeur et chaque frisson. Celui que j'ai beaucoup aimé aussi c'est « Terre promise », et « Vie souterraine » m'a marquée, touchée comme exprimé précédemment. Pour faire cet article j'ai relu tous les textes et surtout les premiers que j'ai pu apprécié à leur juste valeur cette fois-ci.
Christian Bobin a une écriture qui me transporte, qui chante dans ma tête, sa poésie est belle, ses mots justes et vrais.
Mon approche des 9 textes :
- Une histoire dont personne ne voulait : Un manuscrit oublié pendant 5 ans. Il y est question d'une histoire écrite par une femme, sa douleur. Mais au moment où elle a écrit ce livre, personne n'en veut alors elle renonce : « Elle est presque guérie. Presque: dans sa douleur elle a trouvé le chant. Et la souffrance est passée dans l'offrande du livre, mais cette offrande personne n'en veut. » C'est alors que 5 ans après quelqu'un reçoit ce manuscrit envoyé par un autre qu'elle. Il nous raconte alors cet écrit, ce qu'il a ressenti, son histoire. Ils échangent des correspondances, il y retrouve cette même écriture, cette vérité. Et un beau jour il apprend qu'elle est enfin publiée.
- Et qu'on le laisse en paix : Il nous parle ici d'amour, en évoquant Perceval, et sa quête du graal. Il nous parle de cette course folle après quelque chose, quelque chose qu'on ne sait même pas définir, cette course perpétuelle, cette société où l'on court toujours, où l'on est sans cesse fatigués, fatigués de courir. « D'emblée dans la vie la fatigue touche aux deux portes sacrées : l'amour, le sommeil. L'amour qu'elle use comme de l'eau sur la pierre. le sommeil qu'elle entasse comme de l'eau sur de l'eau. La fatigue est la barbarie du sommeil dans l'amour, l'incendie du sommeil sur des hectares d'amour. La fatigue est comme une mauvaise mère, comme une mère qui ne se lève plus la nuit pour nous réjouir de sa voix, pour nous combler de ses bras ». Il nous parle du lâcher prise, de cette fatigue alors qui enfin s'évanouit dans la contemplation de l'amour, lorsqu'on s'arrête de courir.
- Faiblesse des anges : Il s'agit ici de l'écriture, de la naissance d'un livre, en prenant référence Racine Iphigénie, puis de la lecture, de ce qui est vrai dans l'histoire et de ce qui n'est pas, de l'inutilité de le savoir, seul l'apaisement de la lecture suffit. « le lecteur et l'auteur avancent en même temps dans l'éther des passions. » Il s'agit de la force de l'écriture sur le lecteur. « Il y a un abîme ouvert par ces phrases, par leur résonance en vous, comme une pierre dans le puits d'âme, comme une lumière qui vous porte d'un seul coup à l'obscur de vous-même. le vertige vient lentement, d'une page à l'autre;(…) ». Et il nous parle à travers cette histoire à nouveau de l'amour, l'amour d'un couple, la trahison, la réaction, les traces sur le couple, l'unisson.
- Regarde-moi, regarde-moi : La passion d'une petite fille pour le cheval blanc qu'elle monte chaque dimanche et sa peine de devoir le quitter à chaque fois pour son cours de piano. Cette question de pourquoi s'éloigner de ce qui est soi en faisant des choses qu'on n'aime pas, pourquoi ne pas se contenter de ce que l'on aime. Et le plaisir ici tous les dimanches pour lui d'aller la voir faire son cheval et elle heureuse qu'il soit là. « Partout l'appel, partout l'impatience de la gloire d'être aimé, reconnu, partout cette langueur de l'exil et cette faim d'une vraie demeure – les yeux d'un autre. Regarde-moi, regarde-moi ». Et ce souvenir qui sera toujours présent même quand le cheval ne sera plus, que ces dimanches ne seront plus. « C'est une histoire éternelle ».
- Terre promise : Deux types d'homme, celui de la société, qui vit, court, travail, sans cesse, l'homme d'affaires, « L'homme livide c'est l'homme social, c'est l'homme utile, persuadé de son utilité (…) » et celui qui écrit, qui lit, le rêveur « inutile celui-là. merveilleusement inutile. (…) il n'ajoute rien au monde : il le quitte. » Pasternak avec le docteur Jivago ici référencé. La lecture c'est le voyage à travers les lignes, l'histoire, un voyage immobile, d'où « il faut sortir pour retourner dans le monde ». « C'est difficile d'aller de l'inutile, la lecture, à l'utile, le mensonge; ». La fièvre de la lecture, la fièvre de l'amour, similaires et « une fatigue qui repose« .
- Vie souterraine : La vie d'une mère au foyer, qui écrit le soir venu après le coucher des enfants. Une fuite de sa vie routinière, qui la fatigue, faite de souffrance mais qu'elle aime, les enfants. L'amour d'une mère dévouée. Une mère qui retrouve sa plume lorsqu'elle est seule, cela lui appartient, elle écrit et elle lit, beaucoup. » Je lis pour faire sa place à la douleur. Je lis pour voir, pour bien voir – mieux que dans la vie – l'étincelante douleur de vivre. Je ne lis pas pour être consolée, puisque je suis inconsolable. Je le lis pas pour comprendre puisqu'il n'y a rien à comprendre. Je lis pour voir la vie en souffrance dans ma vie – simplement voir. »
- Va Jonas, je t'attends : Des lotissements, des maisons, les vies rangées, des vies calculées, des vies sans folie, des vies sans vigueur, et deux fillettes qui partent dans les terrains vagues, à travers le vent fort, très fort. Une référence à la Bible avec Jonas qui est parti prévenir des habitants que leur village serait bientôt détruit et ses habitants, croyants à cela décident d'arrêter toutes leurs activités et « descendent dans la rue pour rejoindre la vie sans lendemain, c'est-à-dire la grâce de vivre, c'est-à-dire dieu. » Les fillettes sur une terre abandonnée, les visages étincelants, lumineux et un Dieu qui s'incline.
- L'entretien : La voix des livres, la voix de l'écriture, ce qu'elle nous dit, tout le mal qu'elle met en lumière, la voix noire : « voilà ce qu'il en est de vos intelligences, de vos printemps, de vos croyances. Voilà ce qu'il en est de vos principes, de vos musées, de vos discours. Sous vos santés, beaucoup de ruines. Sous vos couples beaucoup de haines. Sous vos fortunes, tellement de meurtres.(…) cette voix(…) elle est juste, d'une justesse d'enfance, d'une justesse d'avant la nuit, d'avant l'âge malfaisant de vivre en société. » Et l'entretien du journaliste et de l'écrivain. le journaliste lassé de tant de noirceur jusqu'à une question et LA phrase.
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Une petite robe de fête : L'attente, l'attente de l'amour et sa grandeur. « Il n'y a pas de connaissance en dehors de l'amour. Il n'y a dans l'amour que de l'inconnaissable. » Se sentir vivant dans l'amour, la maladie de l'amour, celle qui donne la fièvre. Puis l'absence, le départ de l'autre qui laisse place au silence.
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