Vania Tchmotanov est un pickpocket qui a appris son métier en prison où on l'a envoyé pour avoir volé du levain dans cette URSS qui manque de tout. Voler du levain, ça aurait pu être presque pardonné, même si c'est le pain du peuple qu'il vole. En revanche, sa ressemblance frappante avec le camarade Vladimir Oulianov, c'est impardonnable ! Un vulgaire voleur ne peut pas ressembler au grand
Lénine, père de la nation. Il en prendra pour dix ans. Mais les portefeuilles commencent à l'ennuyer, ça ne rapporte pas assez, ils sont souvent assez vides et c'est trop facile. Il suffit simplement de se glisser dans les longues files d'attente à l'entrée des magasins, aussi vides que les poches. Vania a l'idée d'un gros coup alors qu'il s'est glissé dans la file d'attente du Mausolée de la Place Rouge : il va voler la tête de
Lénine, il pourra en tirer des millions s'il la vend à Rockefeller (et tant pis si Rockefeller est mort il y a plus de trente ans, il n'est de toute façon pas au courant). Son larcin va déclencher une série de catastrophes et de décisions absurdes.
La première des décisions est d'opposer le secret absolu autour du Mausolée. Et pour cacher l'odieux vol de la tête de
Lénine, le Gouvernement choisit de faire appel à un acteur. Il jouera son meilleur rôle, celui de l'illustre mort. Et il n'a guère d'autre choix que d'accepter. Il se substitue à la royale momie et se met dans le rôle grandiose de
Lénine. Mais sa moustache le trahit : il éternue devant un parterre de petites gens du peuple, convaincu d'avoir assisté au miracle suprême :
Lénine est ressuscité ! Se sachant perdu, l'acteur joue son va-tout et annonce au peuple médusé qu'il est revenu, torturé par l'inachèvement de son grand oeuvre, pour guider les prolétaires et faire tomber la bureaucratie. de quoi faire trembler le Politburo… le peuple, lui, que l'on a habitué à vénérer une momie comme une idole, ne remet guère en cause le miracle, pire, il abat ceux qui en doutent.
Lénine est capable de tout, même de revenir de la mort !
La situation vire à l'émeute. Dans les faubourgs où Vania s'est réfugié pour retrouver sa compagne, le petit peuple le prend pour le grand
Lénine. Pas le choix pour le voleur, il se moule dans ce rôle providentiel, promettant des lendemains qui chantent, mais d'abord, c'est la vodka et le saucisson qui coulent à flots, de quoi calmer une foule affamée. Au moins pour quelques jours. Car quand les réserves sont à sec, et que le peuple gronde, Vania s'enfuira, la Révolution, très peu pour lui. Pendant ce temps, le Gouvernement décide d'organiser une grande assemblée de sosies pour trouver le prochain
Lénine qui trônera fièrement dans son Mausolée. Vania sera raflé pour participer à cette grand-messe, qui réunit des milliers de personnes :
Lénine a beau être Unique, beaucoup de monde lui ressemble.
La tête de
Lénine est une satire politique écrite dans les années 70, alors que le régime se préparait à fêter le centenaire de la naissance de
Lénine. Elle dénonce l'idolâtrie organisée par le système soviétique autour de la figure fondatrice de l'URSS. Une propagande absurde pour cacher la misère et tenir un peuple qui manque de tout, et en premier lieu de libertés. En prenant comme point de départ le vol d'une tête,
Nicolas Bokov s'amuse à imaginer les conséquences ubuesques qu'il aura sur les autorités, montrant toute la machinerie d'un État policier, de la paranoïa de ses membres, du ridicule de son discours officiel, de sa désinformation systémique et de son obsession du secret, au moins aussi importante que celle du « suicide » de ses hauts responsables. La caricature est outrancière, poussée à l'extrême mais plutôt savoureuse dans son ensemble.
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