Citations sur Berthe Morisot : Le Secret de la femme en noir (55)
Ce qu’elle peint, c’est un monde idéal. Un monde dont elle rêve. Un monde serein et doux, préservé des duretés de la vie. Un monde féminin et comme à fleur de peau, concentré dans le bonheur des instants, dans le mirage d’une éphémère plénitude. Berthe Morisot ne peint pas ce qu’elle est, cette femme passionnée et combative, tendue vers un improbable et douloureux accomplissement. Elle peint ce qu’elle voudrait être : la femme paisible et détachée de tout, capable de se fondre dans le sourire d’un enfant, ou dans la caresse d’un rayon de lumière. Capable d’union, d’extase.
Sa propre vie lui pèse. Et il est probable que le bonheur - ce bonheur qu’elle sait si bien décrire - lui a toujours échappé.
Le noir de Manet, l'emblème de son style, c'est un noir qui brille et s'irise des autres couleur de sa palette ; ni funèbre ni sinistre, un noir dynamique et joyeux. Ardent, comme les yeux de Berthe --- la femme qui illustre le mieux la couleur qu'il préfère. p 93
Avec son caractère absolu, son goût de la perfection et sa recherche exaltée de la vérité, de l’harmonie, de la touche juste, Berthe Morisot apparaît comme un être que tend une volonté extrême. La vie ne cesse de la décevoir. Elle se déçoit plus souvent elle-même, incapable qu’elle est encore de transmettre ce qu’elle possède au fond de soi. Des trésors de sensibilité peinent à jaillir à la lumière. (..)
Au quotidien, elle exprime peu ses sentiments.
Par les couleurs et par le coup de pinceau, bien des Morisot des années 1880-1890, ceux qui représentent des cygnes blancs glissant à la surface d’un lac, ou les effets du vent dans une futaie au bord de l’eau, annoncent les dernières toiles de Monet - ces Nymphéas qu’il ne commencera à peindre qu’après sa mort mais dont elle aura elle-même, dans ses pastels et ses aquarelles, pressenti ou préfiguré les sensuelles abstractions. Le premier nénuphar, c’est elle : « un nénuphar blanc », aujourd’hui disparu, mais dont Stéphane Mallarmé et Claude Monet ont eu entre les mains un exemplaire. Un nénuphar au crayon de couleur, suggéré en quelques volutes à peine, simples et douces. Elle l’avait imaginé pour illustrer un poème en prose de son ami Mallarmé, ainsi intitulé dans le recueil du Tiroir de laque ; or, ce dernier a toujours raconté combien ce dessin avait fasciné Monet.
Degas sait voir le malheur, la détresse dans les yeux et les gestes de ceux qu'il peint, et il sait arracher aux femmes leurs secrets, violents ou délicats.
Aucune autre femme n’aura autant posé pour Edouard Manet que Berthe Morisot.
Berthe se caparaçonne et résiste aux pressions. À celles, d’abord, qu’exercent sur elle ses parents, sa mère en particulier. Ils ne rêvent que de la marier et, sans lui interdire de peindre, en assistant ses travaux, ils trouvent des prétextes pour tenter de la distraire, sinon la détourner tout à fait de l’art. Dans son milieu, on n’aime pas que les filles travaillent, et l’on ne reconnaît de féminité que dans le dilettantisme… et la maternité – la seule occupation à laquelle il soit décent de se donner à fond.
Gustave Courbet : "Fais ce que tu vois, ce que tu sens, ce que tu voudras."
Elle fait poser sa soeur debout devant son chevalet. La palette sur le bras, Berthe tient de la main droite un pinceau, aussi long et fin que ses doigts. Comme un sixième doigt. De la main gauche, un chiffon blanc et un bouquet de pinceaux de rechange. Elle a alors vingt-deux ans. Une belle gravité baigne cette figure de femme, distante, inaccessible, fermée sur un rêve. Edma ne montre aucune sécheresse, aucune intellectualité chez sa soeur.
Ce qu'elle a représenté, ce sonr les noces de Berthe avec la peinture. Une espèce de scène sacrée.
Les femmes ne sont pas jugées dignes de ces hautes responsabilités - même si certaines ont pu, ont su se glisser au milieu des hommes, sous la Couple, non à l'Académie des Beaux-Arts : elles ne sont que de rares exceptions à confirmer la quasi totale exclusion de leur sexe du monde hiérarchisé des Arts.