Personne n'apprend à dire qu'il ne sait ni lire ni écrire.Cela ne s'apprend pas. Cela se tient dans une profondeur qui n'a pas de structure, pas de jour.
Quand il parvint à lire une phrase entière sans hésiter, et qu’il ressentit l’émotion brutale de la comprendre, il fut envahi par le désir violent de renommer le monde depuis ses débuts. Il éprouvait ce lien étrange avec une terre nouvelle, fondu dans un même combat, dans un même âge. Le bonheur tournait et il tournait avec lui. Chaque lettre dans sa bouche prenait la résonnance d’une promesse.
Car, comme des femmes, Octavio n’avait jamais connu des mots autre chose que leur onde effacée, l’habitude qu’ils disparaissent aussitôt, sortis de sa bouche, comme des coups d’épée dans l’eau. Mais il découvrait à présent qu’il pouvait en conserver la trace, mélangeant le nom des choses et les choses de l’amour. Il gravait, d’un seul trait, à la fois le désir et son empreinte. Assoiffé d’apprendre comme on a soif d’aimer, il ne se lassait pas de confondre les deux alphabets. Le temps qu’ils passaient ensemble avait quelque chose d’illisible.
Tout n'était que musique et vacarme, brume et soleil.
L’un remplissait son imagination, l’autre dépeuplait son vide.
Le voyage d'Octavio de Miguel Bonnefoy - Augustin Trapenard du 05/01 : "Un petit Cervantès qui aurait bouffé du Garcia Marquez".
http://www.canalplus.fr/c-divertissement/c-le-grand-journal/pid7491-augustin-trapenard.html?vid=1192901
Dans sa marche, il avait pour le monde un dévouement presque poétique. Certains parlaient d’un géant né d’un torrent, d’autres d’un esclave arraché à la liberté. Quand on lui demandait, il répondait qu’il venait de la terre.
Il faisait partie de ces hommes qui, comme les arbres, ne peuvent que mourir debout.
Sa peau prit une couleur de sable, comme si on l'avait taillée dans un bloc de quartz. Aux hommes, il ne racontait jamais son histoire. Il évitait la compagnie des bavards, préférant celle des perdrix et des ramiers, dans l'ombre vaste des samanes. À l'aube, il marchait dans les rues en quête d'un bonheur. Au crépuscule, il se traînait jusqu'à un abri que la charité lui avait offert. Il avait cette attitude recueillie, désœuvrée. La nuit, il ne rêvait pas.
Ici, on parlait du banditisme avec respect, comme d'un art, ou bien d'un métier délicat.