Sa peau prit une couleur de sable, comme si on l'avait taillée dans le quartz. Aux hommes, il ne racontait jamais son histoire. Il évitait la compagnie des bavards, préférant celle des perdrix et des ramiers, dans l'ombre vaste des samanes.
Il pensa à Venezuela. Il pensa que la littérature ne pouvait pas ressembler à cette image éloignée des femmes. La littérature devait tenir la plume comme une épée, mêlée à l’immense et tumultueuse communauté des hommes, dans une lutte obstinée pour défendre le droit de nommer, pétrie dans la même glaise, dans la même fange, dans la même absurdité que ceux qui la servent. Elle devait avoir les cheveux détachés, de l’héroïsme et des déchirures, une machette à la ceinture ou une escopette à l’épaule. La littérature devait aussi bien représenter ceux qui ne la lisent pas, pour exister comme l’air et comme l’eau, et toujours autrement. (p.58)
Les illettrés reviennent du silence comme les malades de la peste, dit Alberto Perezzo devant Octavio en regardant le drapeau par la fenêtre. Ils ne cessent de montrer leurs blessures
Ce n'est pas de vivre dans la misère qui le rendait misérable, mais de ne pas pouvoir la décrire. P23
Ce grand livre avait été fermé pendant mille ans. Comme la pierre, il avait résisté au temps. La littérature était donc une pierre.
On peut défier les hypothèques et avoir sa propre maison, expliqua soudain l'homme sans se présenter. il suffit d'avoir la terre.
Don Octavio ne garda de cette séparation d'autre saveur que celle de la sève et du songe. Il se deamnda si l'enfant avait été une apparition et, au fond de lui, il perçut l'amère beauté d'un monde qu'il ne devait jamais parvenir à comprendre.
Ce n'est pas de vivre dans la misère qui rend misérable, mais de ne pas pouvoir la décrire.
Ainsi à Campareno, l'écriture n'était pas née de l'homme. Elle était née de cette nature sans raison, où rien ne vient empêcher la soif tropicale de grandir, de s'étendre, de s'élargir dans une ivresse sans mesure. Elle était née de cette frénésie, qui fait plier le genou à toutes les abondances, à toutes les démesures. Elle était née de l'odeur de l'océan, de la silhouette imposante du pic de la Hilaria, elle était née ici dans la cordillère côtière du Vénézuela, dans les sourdes forêts de San Esteban.
La journée était claire, sans l'encre d'un nuage.