Cette trame de temps qui s’approchent, bifurquent, se coupent ou s’ignorent pendant des siècles, embrasse toutes les possibilités. Nous n’existons pas dans la majorité de ces temps ; dans quelques-uns vous existez et moi pas ; dans d’autres, moi, et pas vous ; dans d’autres, tous les deux. Dans celui-ci, que m’accorde un hasard favorable, vous êtes arrivé chez moi ; dans un autre, en traversant le jardin, vous m’avez trouvé mort ; dans un autre, je dis ces mêmes paroles, mais je suis une erreur, un fantôme.
(Le jardin aux sentiers qui bifurquent)
Le vent avait cessé, comme dans un tableau.
Dans Tlön les choses se dédoublent ; elles ont aussi une propension à s'effacer et à perdre leurs détails quand les gens les oublient.
Le présent est indéfini, le futur n’a de réalité qu’en tant qu’espoir présent, le passé n’a de réalité qu’en tant que souvenir présent.
Le jardin aux sentiers qui bifurquent
Je me rappelai aussi cette nuit qui se trouve au milieu des Mille et Une Nuits, quand la reine Schéhérazade (par une distraction magique du copiste) se met à raconter textuellement l'histoire des Mille et Une Nuits, au risque d'arriver de nouveau à la nuit pendant laquelle elle la raconte, et ainsi à l'infini.
Parler, c'est tomber dans la tautologie.
Il doit exister un livre qui est la clé et le résumé parfait de tous les autres : il y a un bibliothécaire qui a pris connaissance de ce livre et qui est semblable à un dieu.
Ce que fait un homme c'est comme si tous les hommes le faisaient. Il n'est donc pas injuste qu'une désobéissance dans un jardin ait pu contaminer l'humanité; il n'est donc pas injuste que le crucifiement d'un seul juif ait suffi à la sauver.
Tel que relevé pour : https://filsdelapensee.ch/
(...) il mit sa valise dans le filet. Quand les voitures démarrèrent, il l'ouvrit et en tira, après quelques hésitations, le premier tome des Mille et Une Nuits. Voyager avec ce livre si étroitement lié à l'histoire de son malheur, était une affirmation que ce malheur était maintenant annulé et un défi joyeux et secret aux forces maintenant désappointées du mal.
Des deux côtés du train, la cité se diluait en faubourgs. Cette vision, puis celle de jardins et de villas, retardèrent le début de sa lecture. La vérité est que Dahlmann lut peu. La montagne de pierre d'aimant et le génie qui jura de tuer son bienfaiteur étaient assurément merveilleux, mais pas beaucoup plus que la lumière du matin et le simple fait d'exister.
[Un] penseur observa que tous les livres, quelque divers qu'ils soient, comportent des éléments égaux : l'espace, le point, la virgule, les vingt-deux lettres de l'alphabet. Il fit également état d'un fait que tous les voyageurs ont confirmé : il n'y a pas, dans la vaste Bibliothèque, deux livres identiques. De ces prémisses incontroversables il déduisit que la Bibliothèque est totale, et que ses étagères consignent toutes les combinaisons possibles des vingt et quelques symboles orthographiques (nombre, quoique très vaste, non infini), c'est-à-dire tout ce qu'il est possible d'exprimer, dans toutes les langues. Tout : l'histoire minutieuse de l'avenir, les autobiographies des archanges, le catalogue fidèle de la Bibliothèque, des milliers et des milliers de catalogues mensongers, la démonstration de la fausseté de ces catalogues, la démonstration de la fausseté du catalogue véritable, l'évangile gnostique de Basilide, le commentaire de cet évangile, le commentaire du commentaire de cet évangile, le récit véridique de ta mort, la traduction de chaque livre en toutes les langues, les interpolations de chaque livre dans tous les livres.
(La Bibliothèque de Babel)