C'est dans les années 1940 que les écrivains et amis
Jorge Luis Borges et
Adolfo Bioy Casares, tous deux grands amateurs d'énigmes policières, unirent leurs talents et écrivirent à quatre mains, sous le pseudonyme de H. Bustos Domecq, le recueil d'histoires «
Six problèmes pour Don Isidro Parodi ».
Le personnage principal, l'enquêteur Isidro Parodi, injustement accusé de meurtre et emprisonné depuis plus de vingt ans, a développé dans la solitude de sa cellule un sens aigu de la réflexion et de la déduction, si bien que son discernement et son flair implacables ont acquis une grande renommée dans tout Buenos-Aires.
Il n'est donc pas rare que les visiteurs se bousculent à la porte de la cellule 273 pour solliciter l'aide de Don Parodi afin de démêler l'écheveau complexe des fils emmêlés dans lesquels ils se sont retrouvés entortillés…
Posé, réfléchi, buvant son maté dans son petit bol bleu, Isidro Parodi écoutent les histoires criminelles et embrouillées des uns et des autres, pour, quelques jours plus tard, délivrer un diagnostic aussi brillant qu'imparable.
Borges et Casares semblent s'être infiniment amusés à la réalisation de ce recueil d'histoires policières qui se lit avant tout comme une gourmandise littéraire, un jeu de l'esprit dont on savoure les longues et belles phrases très construites, piquantes, réjouissantes et impeccablement maîtrisées.
Les auteurs nous montrent toute la maîtrise qu'ils ont de la langue et en jouent avec délectation : répliques, échanges, expressions, formules, jeux de mots…l'ensemble prenant une tournure très théâtrale avec de longues tirades déclamées de façon excessive, exubérante, qui font naître un comique de situation d'un bel effet, avec des personnages outranciers dignes de la Commedia Dell' Arte.
Ces personnages pittoresques, folkloriques, issus des diverses couches sociales de l'Argentine du début du siècle, sont volontairement caricaturés à l'extrême.
Les uns poseurs, guindés, affétés comme à la parade, les autres pontifiants, doctoraux, rengorgés comme des coqs en pattes, certains impétueux, charmeurs, badins, d'autres coquins, roués ou filous, mais tous férocement bavards, d'une loquacité à déprimer un orateur grec.
Tous ces personnages qu'on dirait tout droit sortis d'un vaudeville, ne se rendent bien évidemment pas compte de leur ridicule, et créent sans le vouloir une ambiance comique qui prête souvent à sourire.
De tous ces individus hauts en couleur, finalement seul Don Parodi semble être sain d'esprit. le seul à être emprisonné, semble être aussi le seul à garder la tête sur les épaules !
Davantage que les
enquêtes en elles-mêmes, c'est surtout la drôlerie des personnages et l'humour satirique qui s'en dégage qui font vraiment la saveur de ce recueil d'histoires. Recueil qui permet aux auteurs de se moquer sans en avoir l'air de leurs compatriotes argentins.
L'amateur d'énigmes policières n'y trouvera sans doute pas son compte mais l'amoureux des mots lui, pourra se délecter d'un style rétro, au charme délicieusement suranné.
Ce sera également l'occasion de découvrir les deux grands écrivains dans un autre registre, d'explorer une autre facette de leur personnalité, des hommes malicieux, plaisantins, qui jouent avec les mots et se jouent du politiquement correct tout en finesse et en délicatesse.
Borges et Casarès ont même poussé la plaisanterie jusqu'à inventer une biographie à leur auteur fictif H. Bustos Domesq et faire signer un « avant propos » du nom de l'un des éminents personnages qui vont voir le prisonnier-détective Parodi ! Avouons qu'on a rarement vu en littérature, un personnage du livre écrire et signer une introduction vantant les mérites d'un auteur lui aussi fictif !
S'ils ne nous donnent pas une grande leçon d'
enquêtes policières, les auteurs nous donnent en tous cas une belle leçon de style !