Citations sur Le Grimoire au rubis, Cycle 1, Tome 2 : Le sortilège du.. (15)
Ce printemps-là, il se passa d'étranges phénomènes dans plusieurs officines douteuses ou laboratoires secrets de la bonne ville de Paris. Oh, rien de franchement extraordinaire, mais il y eut des fulgurances dans l'ombre des miroirs magiques, des frémissements dans l'eau mêlée d'encre des écuelles divinatoires, des bouillonnements dans quelques chaudrons.
Et pour cela, qu’y avait-il de plus efficace que de vendre des drogues et des élixirs à qui en a le plus besoin : les femmes ? La clientèle de Bathilde s’était formée tout naturellement, car cette forte nature était sage-femme. Son air sérieux, sa toilette nette, sa jeunesse et sa blondeur même faisaient illusion. Dame Bathilde n’était pas une sage-femme comme les autres. Non seulement, elle aidait aux accouchements, mais elle savait procurer à ses clientes des philtres pour séduire les hommes ou des préparations pour se venger d’une rivale en l’enlaidissant. ...
Nous ne parvenons pas à localiser l’ouvrage, continua le vieillard, en dépit de tous nos efforts et de l’invocation au démon Anael. Pourtant, tous les signes indiquent nettement que le grimoire au rubis est revenu au moment où son auteur, le mage Magnus Gurhaval, mourait.
Et au lieu de finir sa phrase, elle cracha de mépris sur le sol de terre battue. Le chat plissa le nez et dressa ses moustaches.
Dans cette échoppe aux volets soigneusement clos, livres et parchemins se disputaient la place avec des pots ébréchés, des trépieds boiteux et des cornues douteuses, sous une épaisse poussière. Quatre personnes étaient réunies autour d’un petit feu qui éclairait à peine leurs visages. Il y avait là un homme jeune, les traits tombants et mous évoquant une pâte à pain avant la cuisson ; une femme maigre et âgée, qui caressait un chat aux yeux jaunes ; une grande femme plantureuse, blonde, joufflue, aux bras musculeux croisés sur la poitrine ; et enfin un vieillard chenu, enveloppé d’une houppelande informe.
Le lendemain même, un jeune homme vêtu d’une chemise resplendissante de blancheur sous son bliaut bleu, ses chausses lie-de-vin apparaissant un peu en haut de ses guêtres de cuir, se présenta au poste de garde du palais de l’île de la Cité. Il avait une aumônière à la ceinture et tenait ostensiblement en main un rebec et son archet. Il annonça :
— Je suis Bertoul Beaurebec, musicien au service personnel de noble demoiselle Blanche de Vauluisant.
Le chef des gardes le regarda de haut en bas, puis de bas en haut.
— Entrez, dit-il. La demoiselle vous attendait. Elle a recommandé qu’on vous fasse aussitôt conduire à elle.
Blanche poussa alors un soupir de soulagement à faire trembler les murs du palais, qui déclencha une vague de petits rires complices dans l’assistance.
Épouser un tel homme ? Devoir se soumettre à lui pour toujours ? Devoir lui abandonner le domaine de Vauluisant, qui lui venait de sa mère et sur lequel ses frères n’avaient aucun droit ? Ah ! non, l’idée même en était insupportable.
Si insupportable que la jeune Blanche, sans attendre que son destin soit scellé, avait enfermé dans un grand sac de toile toutes ses affaires : ses bijoux, quelques vêtements et ses précieuses plantes médicinales. Elle s’était déguisée en paysanne et, par un souterrain oublié, s’était enfuie du château le jour même de ses noces.
Blanche de Vauluisant, fermement poussée dans le dos par sa marraine, s’avança de quelques pas et tomba à genoux, les mains pressées l’une contre l’autre, l’air désemparé. Sa robe de soie verte s’étala en rond autour d’elle comme le calice d’une fleur. Elle entendit des murmures incompréhensibles et se sentit rosir jusqu’à la racine des cheveux.
« Ah, se dit-elle, perdant complètement ses moyens, je dois être écarlate. Que vont-ils tous penser ? Je suis ridicule. Muette et ridicule. »
— Ta supplique, Blanche, murmura derrière elle sa marraine, aussi discrètement que possible mais d’un ton impatient. Ta supplique au roi, voyons…
« Le roi. Mon Dieu, c’est lui qui est juste devant moi, et moi qui suis si empruntée, si godiche. Le roi ! »
— Sire, intervint enfin la voix de sa marraine, que Blanche entendait dans une sorte de brouillard, voici ma chère filleule Blanche de Vauluisant, qui n’est arrivée de son domaine que depuis trois semaines. Elle voudrait vous assurer de sa fidélité et vous adresser une supplique.
— Je suis heureux de vous voir parmi nous à la cour, demoiselle de Vauluisant, dit une voix claire et jeune au-dessus d’elle, et je serai également heureux d’examiner votre prière.
Blanche osa alors, tête toujours baissée, relever un peu le regard sous ses longs cils noirs. Sur une estrade couverte de tapis, un jeune homme à peine plus vieux qu’elle – il devait avoir environ seize ans – était installé sur la plus belle cathèdre qu’elle eût jamais vue, aux sculptures les plus fines et les plus habiles, rehaussée d’or et de pierreries. Le trône royal. À côté de lui, sur une autre cathèdre presque semblable, une femme d’une cinquantaine d’années trônait également, brune, ferme, altière.
« Notre roi Louis, se dit la jeune fille en retrouvant ses esprits. Et la reine Blanche… »
— Eh bien, Blanche ! souffla encore dans son dos sa marraine, d’un ton exaspéré.
Elle ravala sa salive et se lança.
— Sire, grand merci de votre bonté. Comme vous l’a dit ma chère marraine Tiphaine de Fontegrive, j’ai nom Blanche de Vauluisant et j’arrive de mon domaine pour me présenter à vous, vous assurer de ma fidélité de vassale et… et vous soumettre une requête.
Il est revenu… Le grimoire est revenu… Celui dont on avait perdu la trace depuis cinquante ans… Le grimoire au rubis est revenu…