Le récit historique dominant vise à remplacer le clivage social par un prétendu ‘clivage national'
« Identité française », « France éternelle », « Exception française », sans oublier les soit-disant « racines » ou « nos ancêtres les gaulois » et autres constructions mythiques ne rendant pas compte des contradictions qui innervent une construction sociale comme un État ou une Nation.
Ce lissage de la réalité, outre qu'il sert des intérêts bien particuliers, invente une image fixe, hors du temps, et se relève lourde de danger, d'exclusion, de racisme. Aux uns, totalement inventés, s'opposeraient les autres, forcément étrangers. Nous sommes loin d'une citoyenneté ouverte.
Avec une grande rigueur,
Saïd Bouamama va déconstruire un à un les mythes d'une France à la fois éternelle et exceptionnelle. En interrogeant l'identité, l'auteur souligne les deux paradigmes qui s'affrontent « celui d'une constitution essentialiste de la nation et celui d'une construction sociale et historique de la nation ».
Les points abordés dans l'ouvrage soulignent les leitmotiv des inventeurs d'une histoire sans histoire, d'un hors de la réalité : « Recherche d'une essence éternelle, négation de l'histoire comme production du fonctionnement social et de ses contradictions d'intérêts ; hantise de l'altérité, de la diversité et de l'hétérogénéité au profit d'une vision précise et uniforme du souhaitable ; comparaison hiérarchisant les nations au niveau international et les groupes sociaux dans les pays, conduisant à une mission de civilisation à l'égard des autres peuples et de moralisation des pauvres et des dominés au sein de la nation française. »
Si « Aujourd'hui, ce qui se met en scène comme étant la France n'est en réalité qu'une certaine lecture occultant des France réelles et toujours dominées », il est possible de compléter ce que dit l'auteur en ajoutant que cette fausse réalité couvre des crimes bien réels.
Je souligne les pages sur les Lumières, circonscrites à l'homme blanc et qu'avec notre vocabulaire actuel, nous qualifierions de Lumières sexistes, de Lumières racistes, ou pour les plus optimistes de Lumières à éclairage insuffisant, défectueux.
A l'opposé d'une éternité sans classe, ni sexe, ni couleur, dans un très beau chapitre « La commune de Paris à l'assaut du ciel »,
Saïd Bouamama montre que les communard-e-s ne faisaient pas clivage entre français/étranger mais adoptèrent une « conception de la nation fondée sur le ‘vivre ensemble' ». Des hautes responsabilités furent conférées à des militants de nationalités étrangères. Oui la république sociale avait la démocratie comme passion. A l'inverse Paris reste défiguré par une basilique, à Montmartre, hymne revanchard de l'Église, de l'Armée et des biens pensants qui massacrèrent celles et ceux qui partirent à l'assaut du ciel.
Voici donc un livre à mettre entre toutes les mains, à commencer dans celles de ceux qui confondent la république et la république sociale, les droits de l'homme et les droits des êtres humains, qui valorisent les mythes et oublient le point de vue des dominé-e-s.
C'est à la fois une belle déconstruction, un questionnement toujours social « La question raciale est une question éminemment sociale », un rappel sur la place de la politique « Nous ne sommes pas libérés de la nécessité de choisir, de réfléchir et de nous positionner » et un refus d'abdiquer « L'erreur ici consisterait, selon nous, au prétexte d'éviter la dérive du ‘chauvinisme de l'universel', à renoncer au projet universaliste ».