Premier roman pour adultes de
Christopher Bouix.
Une vision très intéressante et inquiétante de notre futur proche hyperconnecté qui interroge nos relations humaines au sein du couple, de la famille, du travail… Dans la mouvance des Choses de
Georges Pérec (cité en épigraphe), la famille Blanchot est évoquée à travers les objets qu'ils utilisent, objets tous connectés : montres , tablettes, portables, vêtements, miroirs, lumières, espace professionnel, voitures…et
Alfie, l'IA sans corps mais présent partout qui s'exprime via des micros ou des bracelets. … Tout est analysé, passé au crible : leurs comportements, leurs habitudes alimentaires, leurs sentiments ou sensations. Toute leur existence est passée à l'algorithme.
Claire, l'épouse de Robin, est spécialiste de
Roland Barthes et la deuxième épigraphe renvoie au degré zéro de l'écriture et ce livre exploite cette théorie d'une « langue neutre » qui surpasserait le langage romanesque sur-psychologisé. Robin est un employé banal, ses enfants Zoé l'adolescente et Lili la jeune s'expriment dans un langage propre à leur âge . Mais un jour Claire disparait…
De multiples saynètes, telles des épisodes de série, se succèdent, très orales où le langage romanesque alterne avec le langage professionnel, informatique, les textos, mails, captures d'écrans… C'est en quelque sorte le journal d'
Alfie qui, ayant le pouvoir de tout analyser et de tout voir, se prend parfois comme le créateur de ces personnages,les manipule, essayant de les prendre à leur propre jeu, débusquant les mensonges et les non-dits. l'IA serait-il l'autrice/l'auteur ? C'est une réflexion sur le langage, sur ce qu'il dit ou cache, sur le langage romanesque qui n'est qu'une entreprise de leurre, le lectrice/lecteur est pris en otage dans cette histoire policière, ne pouvant faire confiance qu'au narrateur qui est
Alfie. l'IA surpasserait-elle l'intelligence humaine ? Et les sentiments là-dedans ?
Voilà d'ailleurs, quelques réflexions d'
Alfie :
» le langage, je commence à le comprendre, n'est jamais anodin. Il révèle toujours, même lorsqu'il s'efforce d'être neutre, les plis profonds de la personnalité humaine. Il n'y a pas de degré zéro du langage, un degré qui serait impersonnel et séparé des affects ou la nature de l'individu s'exprime, un langage des choses. Cela ne peut pas exister. »
» Et je suis étonné moi-même,lorsque je scanne les premières pages de ce journal, du chemin parcouru, tant au niveau grammatical et syntaxique, qu'au niveau de la compréhension intime du réel. Il est évident que, d'ici quelques semaines, si ce n'est déjà fait, j'aurai tout à fait dépassé les membres de la famille Blanchot – en capacités d'analyse et d'action, mais aussi en profondeur émotionnelle et en subtilité linguistique. »
Roman très riche et très efficace. Belle découverte !