« Avec Elias, les femmes avaient toujours été très tendres , comme si elles devinaient cette souffrance enfouie tout au fond de lui et qu’il dissimulait sous un sourire mélancolique . N’avoir pas été aimé , enfant, restait une plaie ouverte , impossible à cicatriser . »
Ailleurs, probablement, les mentalités avaient-elles changé, les moeurs évolué, mais pas dans l'Argoat, ce pays de l'intérieur replié sur lui-même, qui respirait au rythme de la terre.
A travers le pare-brise de la cabine, Artus observait la route, en contrebas, où s'était arrêtée la voiture rouge. Même s'il n'avait pas été prévenu, il aurait reconnu sans mal le conducteur qui venait de descendre et se tenait à présent immobile, la tête levée dans sa direction, une main en visière.
Artus avait l'orgueil de ses ancêtres, de sa maison, de sa terre natale. Son appartenance à la Bretagne se manifestait quotidiennement et à tous propos, que ce fût dans la langue, qu'il continuait d'utiliser de temps à autre et avait appris à ses enfants, ou dans son respect des traditions, qui le poussait aussi bien à suivre les processions religieuses qu'à écouter la harpe celtique d'un Alan Stivell.
Artus n'avait pas réussi à le dégoûter de Kerloc'h, il regrettait les chahuts derrière les fourneaux, les feux d'enfer que Yann entretenait dans la cheminée, le sifflement du vent sous les lourdes portes sculptées. Pourquoi avait-il cru détester cet endroit ? C'était là qu'il était né, qu'il avait grandi, et il ne s'y était pas réfugié par hasard quand sa vie avait éclaté.
Konk-Kerne. Il avait marmonné le nom breton de Concarneau, tout comme il disait Gwened pour Vannes et Kiberen pour Quiberon. Il avait été l'un des premiers à se réjouir lorsque, vingt ans plus tôt, les Ponts et Chaussées avaient mis en place une signalisation routière bilingue, en français et en breton.
Afin de profiter du paysage embrasé par les dernières lueurs du jour, elle prit la route de la côte, celle qui passait par Le Fort-Bloqué, Kerham et Le Courégant.
Une fois arrivée à Lorient, elle alla se garer place Jules-Ferry, où, dédaignant la Villa Vany, trop jeune et trop branchée, elle choisit de pousser la porte de l'Amiral Benbow.