Quand
Franck Bouysse nous émerveille en nous contant une histoire dense, âpre et rugueuse en quatre-vingt-cinq pages, la lectrice que je suis se sent bien petite pour chroniquer cette pépite que j'avais conservée pour un moment de lecture que je voulais exceptionnel.
Le blues est une complainte vocale et instrumentale,dérivée des chants du travail des esclaves, caractérisée par la lenteur, la mélancolie traduisant la tristesse et le désespoir.
Le
vagabond est tout entier dans ces quelques lignes "Quelqu'un dit des mots, juste à côté, qui exprimaient des choses qu'on ne devrait plus voir de nos jours, et l'homme ne voulut ni ne put répondre, ni appeler une aide qu'il savait, de toute façon, ne pouvoir venir que de lui. Et ça depuis longtemps. Il avait désormais dépassé le stade de la douleur, sa joue frappée comme une pièce de monnaie antique, profil désordonné dans son désert à lui."
Cette homme joue du blues chaque soir dans un bar obscur rue des Martyrs à Limoges.
La plupart du temps il est trop épuisé par ce qui le ronge et l'alcool qu'il absorbe pour rejoindre un lit alors ce sont les pavés d'une ruelle qui lui servent de berceau.
Lorsqu'il joue sur sa guitare il semble possédé et ne jouer que pour une femme, une seule, l'unique mais existe-t-elle?
La journée, il est une ombre, transparent pour ceux qu'ils croisent comme pour lui-même, la nuit sa musique fait revivre ses fantômes quelques heures. La nuit sombre est sa seule lueur, et sur son malaise permanent il met des mots et des notes qu'il délivre à une femme : celle du présent ou celle du passé.
Ce
vagabond c'est un secret, sombre, triste, invisible, inaudible,qui se débat dans ses ténèbres, il ne peut s'habiller que de la nuit et du blues.
Toute sa vie il est resté "l'enfant qui attendait seul au fond de son lit que la femme revienne et lui dépose un baiser sur le front."
Franck Bouysse donne ses lettres de noblesse au roman noir, par une musique, par un décor, par un personnage fort.
Mais surtout par une écriture qui sait épouser chaque commotion pour provoquer chez le lecteur les émotions de base : joie,tristesse, peur, colère, dégoût et surprise.
Chaque mot, chaque métaphore, chaque comparaison sont autant de stimulis qui aiguillonnent le lecteur dans son coeur et dans sa chair.
Un très beau roman noir.
©Chantal Lafon de Litteratum Amor 17 décembre 2016