A travers le roman «
Dans le grand cercle du monde »,
Joseph Boyden nous livre une histoire incroyable dont je ne ressors pas indemne.
L'histoire se passe au début du 17ème siècle, au milieu des grands espaces canadiens. C'est l'époque du colonialisme, des premiers échanges commerciaux entre les blancs et les indiens, de l'arrivée des premiers missionnaires dans le but de convertir ces « sauvages » au christianisme. Avec le « gouverneur » de la nouvelle France,
Samuel de Champlain (qui sera fondateur de la ville de Québec), ont lieu les premières relations -notamment commerciales- entre les français et les Hurons-Wendats. Les Iroquois, eux, sont alliés aux anglais.
D'un chapitre à l'autre, trois personnages nous racontent les évènements de cette période : Christophe, missionnaire jésuite français, surnommé par les indiens « le Corbeau » (du fait de sa longue robe noire) qui vient de s'installer dans la tribu des Hurons ; Oiseau, un grand guerrier Huron et enfin, une jeune fille iroquoise Chute-de-neige et qui, lors d'un combat, a vu sa famille mourir et vient d'être capturée par Oiseau, qui en fera sa fille adoptive.
Par l'intermédiaire de ces trois personnages, nous découvrons l'histoire, les traditions, la culture des différentes tribus indiennes du Canada. Début du roman qui sonne presque déjà le glas de ces grandes tribus. Boyden en donnant le point de vue de trois personnages que tout oppose nous permet de comprendre sous tous les angles et dans sa globalité tout le contexte, les pensées et préjugés de chaque peuple. Et c'est sûrement cette vue d'ensemble qui fait la force du roman.
Christophe, hautain face à ces « sauvages » qui se promènent quasi nus dans leur village, leurs croyances impies et leur naïveté face aux « guérisseurs » (tout en maugréant qu'ils ne croient pas aussi facilement en Dieu, ou encore dit le « Grand Génie », les traditions ont la peau dure), leurs fainéantises lorsqu'ils s'arrêtent tout à coup de travailler pour discuter longuement, fumer la pipe ou encore horrifié par les tortures qu'ils infligent à leurs ennemis (même s'il n'oublie pas celles des inquisiteurs). Christophe, dans le but de les convertir, pour le salut de leur âme, va peu à peu apprendre leur langue. Et tout en restant critique devant certaines de leurs coutumes, il va en venir à être également impressionné par leur endurance physique, leur bravoure, les relations étroites qui existent entre eux.
Chute-de-neige, haineuse vis-à-vis de ce Wendat qui a tué sa famille, et notamment son père, désire dans les premiers mois venger leur mort. Mais comme Christophe, les mois passants, elle finit par s'intégrer dans ce village, notamment grâce à certaines femmes comme Dort-longtemps ou encore Petite Oie, la guérisseuse.
Oiseau, lui, a perdu sa femme qu'il chérissait tant et ses filles quelques années auparavant lors d'un combat. Adopter Chute-de-neige est un peu comme une vengeance. Mais l'adopter signifie aussi qu'il a le devoir de prendre soin d'elle. Il n'apprécie pas l'affront du Corbeau quand celui-ci refuse de fumer la pipe avec lui (signe des différences des cultures) et cela ne le gênerait pas que ce dernier se fasse tuer ou fait prisonnier par leurs ennemis. Histoire de se débarrasser de ce poids encombrant, d'autant plus lorsque ce dernier commence à faire quelques adeptes de son « Grand Génie ». Moqueur devant la tenue des jésuites, peu adéquate pour le lieu ou encore leur manque de virilité et de force physique, il n'en est pas moins impressionné que ce gringalet breton réussisse à apprendre leur langue et s'adapte à quelques coutumes indiennes.
Si Oiseau est respectueux des traditions de ces ancêtres et souhaite les conserver, il se sent tiraillé. L'obligation qu'ils soient forts et nombreux face aux Iroquois implique d'être alliés aux français, dont ils ont besoin notamment des fusils (bois brillant) qui les terrifient encore mais dont ils comprennent l'importance.
Il voit peu à peu le lourd prix que cela coûte. Plus qu'un troc amer, des changements inexorables s'opèrent et fragilisent son peuple. Ainsi, l'arrivée du « Peuple de fer » a amené aussi les maladies qui déciment les tribus, et l'alcool qui contamine les guerriers.
Les hurons vivent dans de grands villages contenant parfois des milliers d'âmes, dans des « maisons-longues ». Ils cultivent les trois soeurs (maïs, haricot et orgeat), font du troc avec d'autres tribus (peau, légumes, etc.), ils chassent cerfs et lapins. Ils croient en la présence d' « orenda » en chaque chose (cette force vitale qui existe selon eux dans les hommes mais aussi dans les arbres, les animaux,…). Tous les douze ans a lieu la ‘'cérémonie des morts'' où ils vont retrouver les membres de leur famille décédés pour les célébrer et pouvoir enfin les pleurer. Car d'ordinaire ils ne montrent pas leurs faiblesses, leurs larmes. Au contraire, ils doivent montrer tout leur courage et bravoure. Même lors des tortures les plus atroces infligées par leurs ennemis, qui peuvent durer des jours, ils ne doivent pas ciller, faiblir et encore moins supplier.
Ce roman confirme l'incroyable plume de
Joseph Boyden. Avec ces origines mêlées (irlandaises, écossaises et indiennes) et son inscription chez les jésuites alors qu'il était adolescent, on comprend que cette période puisse le toucher comme il a su nous toucher en nous la racontant.
Une plume (un peu indienne donc) capable de nous restituer tout un pan historique majeur, capable de représenter la vie de cette tribu, les physiques musculeux de ces hurons, ces magnifiques indiennes, la nature dont ils savaient célébrer la beauté et qu'ils respectaient ; capable aussi de nous faire comprendre avec horreur comment tout s'est déroulé, comment tout le mal s'est immiscé peu à peu pour détruire ces différentes tribus indiennes.
Comme sur leurs canoës, j'ai navigué d'émotions en frissons. Je souriais des moqueries des indiens devant les jésuites ou pour ces histoires d'amour, j'aimais ces divers personnages si attachants (Christophe*, Oiseau, Renard, Petite Oie, Porte-une-Hache, etc.), je tremblais durant ces rudes hivers lorsque les vivres viennent à manquer, j'étais glacée d'effroi face à toutes ces scènes de torture, difficilement soutenables pour mon coeur fragile, j'avais la nausée et les larmes devant cette implacable histoire…
Cette histoire nous ouvre un peu plus les yeux sur ce qui se passe encore aujourd'hui, un peu partout dans le monde, entre les différentes nations, comme peut-être depuis la nuit des temps. Est-ce un peu cela le grand cercle du monde ?
*Boyden s'est inspiré de la vie de Jean de Brébeuf, jésuite français, qui a vécu quinze ans chez les Hurons (mais si vous avez envie de lire ce roman, un conseil : ne consultez sa biographie qu'une fois avoir lu cette histoire)