Elle consacre tout son argent de poche à l'achat de livres, elle en rapporte de nouveaux chaque fin de semaine, sans compter ceux qu'elle emprunte à la bibliothèque. Que faire , mon Dieu, pour abattre ces remparts de papier qu'elle dresse contre nous ? (...)
La vérité, c'est que Virginie nous fuit, elle se réfugie dans ses fictions pour mieux nous échapper et proclamer son absence. (p. 56)
Mais de vraie conversation animée par le désir de se comprendre, d'établir des liens, point jamais. Ce décryptage progressif et si nécessaire du monde qu'interdisait le laconisme familial, la fille , très tôt, est allée le chercher dans les livres. Petit à petit, elle s'est enthousiasmée d'une famille d'élection constituée des écrivains qu'elle aimait ou admirait. Un auteur représentait pour elle beaucoup plus qu'un nom, un style ou un univers: c'était une voix qui s'adressait à elle sur le ton de la confidence, lui faisant part de son expérience de la joie ou de la douleur et levait parfois le voile sur ce qui lui demeurait opaque. Elle était à à cet âge, si altérée d'échanges qu'entre les pages du livre élu elle fixait des rendez-vous illicites et délicieux à son auteur, lequel devenait alors un interlocuteur privilégié, un ami, un mentor, un maître à penser. (p. 183-184)
La frugalité est une vertu cardinale des morts et des femmes esseulées.
Il vient de tomber sur la définition de -casus belli- qu'il se souvient d'avoir enseignée en cours d'histoire à ses élèves de terminale. Il la lit : - Acte de nature à provoquer une déclaration de guerre, à déclencher les hostilités entre deux états. Cf. Larousse.
Il demeure là, à contempler la phrase signalée jadis par le coup de crayon rouge: elle lui donne à réfléchir. Il a beaucoup aimé l'histoire, il en connaît tous les dessous et les ressorts. (...)
Charles Douhet est en train de découvrir que l'histoire d'une famille peut se rapporter , se comparer- toutes proportions gardées- à l'histoire d'une nation. Tout se joue alors à l'échelle privée et de manière feutrée, mais tout y est: tensions, rapports de force, camouflage des informations, conflits, ruptures, tyrannie, soumission, rébellion. Au sein de chaque famille, à tout moment, peut survenir le -casus belli.- (p. 164-165)
Il est bon de retrouver Louis car il sait donner l'illusion que sa vie n'est qu'attente d'elle et joie de la revoir. Il sait ouvrir ses bras en même temps que sa porte et dire : Entre, ma jolie. Et elle croit alors ce qu'aucun homme n'a réussi à lui faire croire : qu'elle est jolie.
Il y a des gens, comme ça, qui ne sont jamais satisfaits de leur sort et qui se rêvent une origine ou un destin au-dessus de leur cul.
N'est-il pas curieux de se consacrer au "rajeunissement" ou à la réhabilitation des objets en voie de déchéance quand on est soi-même frappé par la limite d'âge et, pour cette raison, invité à sortir des cadres de la société active ?
Elle dit à sa belle-soeur ou à sa voisine, bref à tout partenaire de bonne volonté et disposée à l'écouter: Virginie ne s'ennuie jamais, elle a son imagination. Comme on dirait d'une clocharde: Elle n'est pas si misérable, elle a son magot dans la doublure de sa pelure.
Car penser peut s'avérer dangereux, l'amener à des constats désagréables, le pousser dans des impasses dont il ne sait plus comment sortir. Il a mis au point une stratégie d'évitement très efficace qui lui permet de museler le travail de son esprit alors même que ses mains s'activent.
Pourtant, il faut de l'or pour survivre, l'or d'un regard, d'un geste, d'une parole, il faut le pardon, absolument. (p. 29)