Définitivement, ce bouquin est une bonne découverte ! Des personnages complexes et attachants, une intrigue construite et bien pensée, des rebondissements étonnants… Il y a tous les atouts pour me plaire… ou presque.
Presque car, comme dans Mercy Thompson, j’ai relevé des incohérences qui m’ont parfois interpellée en plein milieu de ma lecture…
Par exemple, quand Seraphe et Tiër se rencontrent, la magie fait partie intégrante du quotidien : au front, des mages combattent avec les soldats, à l’est, on dit que les terres sont encore maudites par la grande guerre qui a eu lieu quelques six cents ans au part avant, les Voyageurs sont brûlés par superstition, etc. Mais vingt ans plus tard, tandis qu’ils sont installés à Reidern, c’est comme si la population l’avait reniée. Entre autre, leur tante prétend que les mages n’existent pas et que ce ne sont que des charlatans (mais venant d’elle, ça ne m’étonne pas). Seraphe, n’ayant jamais cherché à orienter ses petits vers leur nature Voyageuse, doit presque leur apprendre que la magie existe – tout juste savent-ils que les montagnes sont maudites.
Et le pire, c’est que lorsqu’ils réalisent que leur mère est capable d’allumer un feu dans sa main, que leur frère aîné peut se transformer en panthère, qu’il est hanté par une entité magique (le Gardien) et que chacun d’eux a un pouvoir très spécial, ils ne sont pas plus surpris que ça. Cinq minutes de surprise, et puis ouf ! ils s’en sont remis. Juste pour rire, j’ai essayé de me mettre à leur place, et je vous jure que même si je savais que la magie existe, si je voyais mon frère se transformer devant moi, je fais un bond de trois mètres et je ne me laisse décrocher des rideaux qu’au milieu de la nuit. Quand Tiër apprend qui est Hennëa, c’est pareil : il écarquille un peu les yeux et se rendort… Pourtant c’est LA révélation !
Se pose maintenant la question de ses origines. Tantôt l’histoire raconte qu’il a de vagues racines Voyageuses (surtout au début), et cela permet d’expliquer son don. Tantôt, il prétend n’avoir pas une goutte de sang Voyageur dans les veines (surtout à la fin). Le récit alterne entre ces deux versions (surtout au milieu), et nous, on ne sait pas quoi penser et on aimerait bien être fixé !
Il y a aussi des incohérences dans la relation entre Tiër et Seraphe. J’ai l’impression que l’auteure n’a pas maitrisé le fait que cela fait vingt ans qu’ils sont mariés, et par moment, on dirait de jeunes tourtereaux qui viennent de se déclarer. Ainsi, Seraphe se fourvoie complètement sur son mari : elle est convaincue qu’il ne l’aime pas et que c’est seulement sa culpabilité qui le pousse à être le meilleur époux et le meilleur père possible. D’ailleurs, elle ne lui a jamais dit qu’elle l’aimait alors que ça crève les yeux – et qu’en vingt ans, n’allez pas me faire croire qu’elle n’a jamais eu une occasion, jamais eu le courage ou qu’elle est trop enfoncée dans ses préjugés pour se tromper ! Au bout de vingt ans, on commence à connaître la personne par cœur, non ? Une fois, quand elle se blottit dans le lit contre Tiër, celui-ci n’ose pas lui dire que son coude s’enfonce dans ses côtes de peur qu’elle ne s’éloigne de lui – ce qu’il ne veut surtout pas. Mouais. Si c’était de jeunes gens éperdument amoureux, j’aurais bien voulu le croire, mais pas après vingt ans de mariage et trois enfants. Au bout d’un moment, on ne se gêne plus pour dire quand l’autre nous embête, on se connaît trop bien pour avoir besoin de se prendre avec des pincettes. Pour moi, c’est une relation un peu trop idéalisée et qui manque de réalisme.
Au niveau de la narration, j’ai trouvé que les phrases étaient inutilement alourdies par des tournures redondantes, comme dans Mercy Thompson. Ce doit donc être une particularité de l’auteure, et non du traducteur, qui n’est pas le même que celui de la série. Dommage… Je trouve que cela ralentit le rythme et gâche le style – qui, à par ce défaut, est très bien ! Le suspense est bien maitrisé, les personnages sont attachants, les révélations sont croustillantes, quelques pointes d’humour viennent ponctuer agréablement le récit… Mais parfois (et surtout dans le deuxième livre), Patricia Briggs s’appesantit trop sur des détails inutiles (comme quand la petite troupe voyage vers Colossaë et que Tiër, voulant parler à Jës, s’arrête pour l’attendre. L’auteure traine ce passage sur une page en décrivant chaque personne qui dépasse le père de famille et en introduisant pour certains un petit dialogue ! On n’en a rien à faire ! On veut juste savoir ce qu’il veut dire à Jës !). Plus on avance dans Serre de Corbeau, plus cela se ressent, au point que j’ai eu du mal avec la scène de bataille finale. Un de leurs alliés affronte le Ténébreux pour leur faire gagner du temps pour fuir, et eux, ils discutent pendant quatre pages ! Je pense qu’il aurait été bien d’élaguer un peu…
De même, Patricia Briggs a la mauvaise habitude de répéter les noms des personnages très – trop – régulièrement, alors que cela pourrait tout à fait être remplacé par « il », « elle », « son frère », « celui-ci répondit »… Encore une fois, cela gâche le style. C’est curieux parce que d’un côté elle écrit bien, de l’autre elle commet des « erreurs » (à défaut d’appeler ça autrement) qui ne sont pas de son niveau…
Je trouve aussi dommage qu’on n’en sache pas plus sur les pays limitrophes de l’Empire. On ne connaît rien, pas même leur nom ! Il ne peut pas y avoir juste un Empire dans tout ce monde, non ? Ou alors, il est sur une grosse île et n’a pas conscience des autres peuples. D’ailleurs où est la mer ? Elle n’apparaît même pas sur la carte… Cette carte qui est d’ailleurs incohérente parce que Reidern est censé être la dernière ville avant la bataille du Ténébreux, alors qu’on voit clairement que la capitale en est plus proche… Et c’est dommage qu’on n’ait pas d’échelle, car j’ai trouvé que la zone sur la carte était un peu petite pour être qualifié d’« Empire » (Reidern étant à quelques jours à cheval de Taïna). J'en déduis qu'on ne doit pas l’avoir en entier – puisque, de toute manière, on ne voit pas ses frontières. Mais Reidern est censé être un trou paumé loin de tout, le dernier bastion de civilisation avant les montagnes maudites, et aucune autre ville que celles qui sont situées sur la carte ne sont citées… Tout l’intérêt de cet Empire se situe-t-il donc dans sa partie Ouest ?
Je dirais donc que la principale faiblesse de ce livre est l’univers, qui est très substantiel. Outre les forêts montagnardes de Reidern et les différentes villes, on a peu de décors, peu de précisions géographiques. Peu de diversité. Par conséquent, on se représente difficilement le monde dans lequel ils évoluent.
Bref. Là, je mets largement en avant les défauts de l’histoire. Mais il faut maintenant que je parle de ses points forts ! Je dirai que le gros avantage de cette lecture sont les subtiles révélations qui parsèment le récit. Les personnages sont pleins de secrets, et au début, on en sait très très peu sur la magie, sur les lois qui régissent ce monde, sur les Voyageurs… Petit à petit, les réponses qui nous sont apportées changent notre regard sur plein de choses – notamment sur le passé de Seraphe, mais aussi sur Hennëa. En clair, le suspense est très bien maitrisé – en tout cas dans le tome 1 et le début du 2…
Les protagonistes sont attachants. Seraphe, bien qu’obligée de contrôler ses émotions à cause du fait qu’elle soit un Corbeau – et donc que sa magie puisse se révéler dévastatrice – a un caractère bouillonnant qui impose le respect à ses fistons et à son mari. Ce dernier sait se faire aimer de tout le monde (y compris du lecteur) grâce à son bon caractère et ses piques d’humour. Tiër, c’est un peu l’intouchable du groupe. Celui qu’on n’imagine pas mourir ou il manquerait quelque chose au bouquin. J’ai aussi aimé le caractère de l’Empereur, qui ne se prend pas tellement au sérieux et sait se faire petit quand il faut – notamment quand Seraphe se met en colère. Je l’ai trouvé humble, pour un chef d’État ; et ça, c’est rare. Presque trop, même, au point qu’il en devienne une exception qui pourrait manquer de crédibilité – quel Empereur accepterait de recevoir des ordres d’une fermière, toute Corbeau qu’elle soit ?
Au final, seule Alinath ne m’a pas du tout plu. Elle est l’incarnation de la méchante belle-sœur pour Seraphe : toujours en train de la chercher, de la rabaisser, de la provoquer au mépris du danger qu’elle pourrait représenter. Seraphe prend sur elle, et cette situation est pénible à lire. Quand elle craque, son bourreau reporte sur son dos la responsabilité des dégâts – histoire de compléter la liste de ses défauts. C’est donc une fille aigrie, sèche et parfaitement irritante. Un stéréotype digne de Cendrillon ! Cela évolue après, mais cette image, qui est notre première impression, est profondément ancrée en moi.
Mon coup de cœur, je l’ai eu pour Jës à cause de sa nature très mystérieuse… Son Ordre est le plus secret de tous, et à sa première apparition, j’avoue que je me suis posé plein de questions ! Quelle est la nature de sa malédiction ? En est-ce vraiment une ? Quel lien entretient-il avec le Roi de la Forêt ? Il est déchiré par une double conscience qui fait de lui un personnage torturé particulièrement craquant.
J’ai aussi beaucoup apprécié une chose : la vie de tous ces personnages est presque régie par une chance monstrueuse, mais contrairement aux héros lambdas, ils n’hésitent pas à se remettre en question. Comment se fait-il que TOUS les membres de la famille aient un Ordre alors que c’est si rare parmi les Voyageurs ? Comment la chance peut-elle leur sourire autant ? Au final, les questions qu’ils se posent revoient à la problématique du destin, des dieux et du hasard. Les Voyageurs estiment que les dieux sont morts lorsque le Traqueur est apparu dans le monde, mais Seraphe est bien obligée de penser que QUELQUE CHOSE manigance tout cela pour leur donner une chance de vaincre… À ce moment de la lecture, j’ai eu envie de sourire parce que, effectivement, il y a bien quelqu'un qui régit leur destinée : l’auteure !^^
Les règles qui concernent la magie sont complexes et originales. Ainsi, les Voyageurs ne sont pas les seuls à pouvoir l’employer, mais les sorciers solsentis (comme ils disent) sont limités par les rituels, les années d’étude, les potions… Ce n’est pas intuitif chez eux. Mais les Voyageurs ne sont pas non plus des êtres extrêmement puissants, leur magie se restreint en général à un domaine, lié à un Ordre – mais vous en saurez plus en lisant^^
En bref, ce bouquin me réconcilie avec Patricia Briggs, qui m’avait beaucoup déçue avec les deux derniers livres de Mercy Thompson. La seconde partie du deuxième tome aurait pu être plus dynamique, mais dans l’ensemble, c’est une lecture riche, qui divertit et qui fait du bien. Je me suis juste posée une question : pourquoi ce titre ? Le volume 1 s'appelle Aile de Corbeau, et le 2, Serre de Corbeau. Mais les autres Ordres sont très importants, aussi ! Pourquoi ne privilégier que celui-là ? Et surtout, quel rapport avec l'histoire ?
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