J'ai hoché la tête sans rien ajouter, surtout ne pas trahir mon ignorance.
Attendre. Pressentir avec effroi et exaltation qu’on en espère autant qu’au premier jour, que la fièvre ne se guérit pas, qu’on est une chandelle fondue, que le pouvoir a toujours été et sera toujours du côté des autres, que rien, ni le temps, ni les enfants, ni les briques qu’on a farouchement empilées n’ont d’effet sur le sombre désir de dire oui à cet homme absent depuis si longtemps. (p. 37)
Il y aurait une douceur dans l'idée que sa maison continue à vivre à l'extérieur de soi, comme une extension, une promesse renouvelée, malgré les épreuves et les échecs, un sens donné tout à coup à la douleur.
Je ne sais pas encore que je suis chez lui. J'aurai-peut-être dû le deviner. Y avait-il un indice dans cette assiette au fond de l'évier, le couteau posé sur l'assiette,le beurre et la confiture sur le couteau? Les cheveux de Francis s'emmenaient-ils sur le peigne dans la salle de bain ?
Il n'est pas de disposition plus triste que d'être triste quand personne d'autre ne l'est.
Nos peines, elles peuvent devenir notre force...
Mais ces versions de nous n’existent plus.
N’est-ce pas d’une éclatante évidence? Est-il encore possible que ce soit lui, mon amour torrentiel? Ses cheveux grisonnants mais surtout clairsemés- en fait, pas tant clairsemés que duveteux, une tragi-comédie qui arrive aux hommes vieillissants, les faisant ressembler pendant un temps à des canetons, inoffensifs comme de la barbe à papa- ses cheveux changés, en tout cas, et puis les vêtements, ceux-là mêmes qu’il aimait à l’époque, mais qui désormais lui donnent un air tristounet, ce Francis réel, en somme, que vient-il faire dans mes délires? N’est-il pas aussi ridicule que moi dans mon costume de matrone dépressive?
N’a-t-il pas, autant que moi, douloureusement honte?
Ne sommes-nous pas les tristes, tristes clowns d’un sketch éculé? (p. 205)
Ce qui est étrange, c’est que j’ai beaucoup parlé à Francis, dans ma tête, depuis quinze ans. Il a assisté à la résolution de plus d’un conflit intérieur. (p. 205)
Nous avions d'abord partagé un été d'attente et de rendez-vous, et je ne sais pas, de l'attente ou des rendez-vous, ce qui m'avait semblé le plus délicieux.
Quand on en parle, les choses deviennent réelles, et révèlent leur ridicule.