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Critiques filtrées sur 3 étoiles  
Voici donc le volet applicatif du traité d'épistémologie de l'auteur, intitulé : L'Empire des croyances. D'une lecture plus aisée, cet essai qui a certainement rencontré un plus vaste lectorat que l'autre s'appuie sur l'actualité – le complotisme, la révolution du marché cognitif instaurée par Internet et aussi, ad abundantiam, les arguments de ceux qui sont appelés avec condescendance (voire mépris) « les militants précautionnistes » : lanceurs d'alertes soucieux des risques climatiques, des OGM, du nucléaire, de telle ou telle autre application scientifico-industrielle, sans oublier les dénonciateurs de la « vague de suicides » chez France Télécom – autant que sur de vieilles (tirées du volume cité) ou nouvelles erreurs logiques, statistiques, et autres limites culturelles et cognitives commentées afin de démontrer l'avancée des croyances fallacieuses qui, dans cet ouvrage, se présentent davantage comme des actes d'accusation, notamment contre le corps professionnel des journalistes, coupable de les divulguer.
Longtemps en lisant j'ai ressenti le malaise qui me saisit lorsque, superficiellement convaincu par les arguments avancés, je suis néanmoins persuadé que je n'y adhère pas en profondeur, et je m'efforce de trouver la cause de mon insatisfaction, jusqu'à parvenir à échafauder mon propre contre-argumentaire.
Voyons d'abord la ligne argumentative du livre :
- Chapitre Ier : « Lorsque plus, c'est moins : massification de l'information et avarice mentale » - il y est question de la révolution du marché cognitif, du « biais de confirmation » qui s'apparente, pour moi, au conformisme, et sont introduits deux contenus très intéressants (cf. cit. infra) : la notion d' « avarice intellectuelle » et le « théorème de la crédulité intellectuelle ».
- Chapitre II : « Pourquoi Internet s'allie-t-il avec des idées douteuses ? » - dans la question de la concurrence entre croyance et connaissance sur Internet, sont introduites deux notions intéressantes : « le paradoxe d'Olson » qui met en cause les motivations respectives des tenants des croyances et des connaissances, et les « produits Fort » ou « millefeuilles argumentatifs », concernant la construction des théories des complots par accumulation et mutualisation d'arguments donc chacun est relativement faible, mais qui se renforcent par effet cumulatif.
- Chapitre III : « La concurrence sert le vrai, trop de concurrence le dessert » - il y est question surtout de la critique des médias, soumis au célèbre « dilemme du prisonnier » dans leur décision, à prendre en temps trop limité, de transmettre ou non une information insuffisamment vérifiée. le chapitre se termine par une intéressante « courbe de fiabilité de l'information/concurrence ».
- Chapitre IV : « La matrice du mal : un danger démocratique » - la question qui se pose est d'une grande gravité : la méthode démocratique est-elle ou non adéquate à atteindre l'intérêt général ? Dans la plupart du chapitre l'auteur semble répondre par la négative, au risque de passer pour un anti-démocrate (accusation qu'il rejette), et il détaille les cas où le « théorème de Condorcet » qui prédit que le nombre et la diversité des votants priment sur leur compétence s'avère défaillant. Cette démonstration assez articulée, qui commence par le « triumvirat démocratique » (cf. cit.) en inscrivant le problème épistémologique dans l'ontologie même de la démocratie, se conclut par la notion de « démocratie des crédules », voisine de la « démagogie cognitive » et du populisme.
- Chapitre V : « Que faire ? de la démocratie des crédules à celle de la connaissance » - in extremis, l'auteur « sauve » la démocratie mais non pas simplement par l'instruction, car celle-ci n'est pas un antidote à la crédulité, mais par un type d'instruction particulier, fondé sur la méthode critique, ainsi que, pour les journalistes, sur l'institution d'un organe déontologique entre pairs chargé de la sanction des fautes graves (fake news), et enfin sur une esquisse très vague et imprécise de « nouvelle forme de communication scientifique ».

Mes objections : je précise qu'elles concernent et qu'elles se sont développées à partir du Chapitre III : les exemples de croyances – contenus de crédulités, les deux deviennent ici interchangeables – glissent, à partir de ce chapitre et majoritairement, du complotisme farfelu et autres superstitions abracadabrantes, aux arguments des « lanceurs d'alertes », des militants globalement opposés au système économique dominant, dédaigneusement qualifiés de « précautionnistes ». Un considérable biais idéologique ne saurait échapper à personne. Mais je me suis demandé d'où pouvait venir, outre qu'idéologiquement, cette présence systématique d'une « croyance » de l'auteur. À noter que je ne remet pas en question de la validité de chacun des exemples, mais je me suis demandé : « Pourquoi opposer de façon manichéenne les arguments des militants (de gauche) avec la science et la statistique ? ». C'est presque la même question que pose Mona Chollet dans son : La Tyrannie de la réalité lorsqu'elle demande pourquoi la réalité est-elle toujours présentée comme étant « de droite » ? La réponse a fini par m'apparaître en ces termes : les conditions matérielles de la production et diffusion des croyances, ainsi que des connaissances qui leur sont opposées, ne sont jamais évoquées. On comprend la motivation des militants, que l'on peut approuver ou réprouver. On est d'accord sur les biais épistémologiques qui peuvent s'en ensuivre, en fonction du public. Mais, de la même manière, n'existe-t-il pas des motivations contraires chez les détendeurs des intérêts capitalistes qui s'exercent, ô combien puissamment, dans la création et diffusion d'autres croyances ? Car enfin, la propriété des médias ne peut pas être complètement ignorée, surtout dans le paysage médiatique français... L'identité socio-économique, (la connivence fréquente) entre pouvoir politique et médias est un phénomène trop abondamment étudié en sociologie pour être complètement, souverainement ignoré dans ce volume. Comment négliger, de surcroît, que de plus en plus, avec le désengagement financier public des instituts de recherche, il est aberrant de faire l'hypothèse d'une production scientifique indépendante du système économique et du pouvoir, dont la méthode serait le gage absolu de la vérité et d'une connaissance impartiale, à opposer au populisme et à la crédulité des croyances contestataires.
Les apports de la pensée critique, balayés d'un revers de main et de façon véritablement caricaturale dans deux phrases à la p. 290, qui plus est sur le thème de l'instruction des jeunes, finissent par être justement les révélateurs de la faiblesse de toute la démonstration. Car eux seuls, et non les banales, mesquins et vacillants remèdes suggérés au ch. V, fournissent le bâtiment imposant qui fortifie la démocratie, lequel permet, certes en en montrant les insuffisances actuelles, de ne pas jeter, comme le bébé avec l'eau du bain, ce formidable système de gouvernement dont les attaques hélas si actuelles, fréquentes et répétées constituent précisément la caractéristique principale du populisme et de la crédulité politique...


Cit. :

« […] notre "avarice cognitive" […] nous conduit souvent à endosser des croyances douteuses mais relativement convaincantes parce que nous n'avons pas, sur nombre de sujets, la motivation pour devenir des individus connaissants. C'est que si les connaissances méthodiques produisent souvent un effet cognitif supérieur aux propositions seulement "satisfaisantes" que sont les croyances, elles impliquent un coût d'investissement plus important. La probabilité de chances d'endosser celles-là est dépendante de la facilité à rencontrer celles-ci. » (p. 42)

« Ce théorème ["théorème de la crédulité informationnelle"] peut donc s'énoncer en sa forme la plus simplifiée ainsi : plus le nombre d'informations non sélectionnées sera important dans un espace social, plus la crédulité se propagera. » (p. 48)

« […] la démocratie souffre d'un mal génétique qui ne peut se révéler que sous certaines conditions technologiques : un mal matriciel qui, tapi dans l'ombre de l'histoire, attendait pour surgir qu'une certaine révolution s'opère sur le marché cognitif. […] "J'ai le droit de savoir, j'ai le droit de dire, j'ai le droit de décider" : ces dispositions ont paru incantatoires jusqu'à ce que nos prothèses technologiques leur donnent corps et fassent advenir "la démocratie des crédules". » (p. 219)

« Le véritable esprit critique, celui qui nous aide à contrarier l'aliénation que représentent parfois les suggestions de notre intuition, ne peut s'acquérir qu'à force d'exercices persévérants. Ce travail si nécessaire à l'avènement d'une démocratie de la connaissance ne peut donc se faire qu'en y insistant tout au long du temps éducatif […] et dans toutes les matières, dès que possible. Il faut creuser le sillon de la pensée méthodique pour que chacun soit en mesure de se méfier de ses propres intuitions, d'identifier les situations où il est nécessaire de suspendre son jugement, d'investir de l'énergie et du temps plutôt que d'endosser une solution qui paraît acceptable : en un mot, de dompter l'avare cognitif qui est en nous tous. » (p. 314)
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Gérald Bronner sort cette année « Apocalypse cognitive » qui a fait ici (https://aoc.media/opinion/2021/04/08/le-biais-bronner-ou-la-reductio-ad-cerebrum/) l'objet d'une intéressante dissection. Ce fut l'occasion pour moi de ressortir « La démocratie des crédules ». Un pas avant l'Apocalypse cognitive, le ton est ici plus modéré et Bronner affirme moins sa théorie sur le déterminisme cognitif rétrograde dont souffrirait l'homme. La date de publication de l'ouvrage (2013) joue peut-être également en faveur d'une certaine modération du propos.


A l'époque, il était encore relativement légitime de déclarer que « nous ne semblons pas au bord d'une guerre civile », et de déplorer que malgré tout, « dans tous les domaines, la contestation de l'autorité, de la parole officielle, et la méfiance dans les conclusions des experts sont tangibles. » Cette autorité et ces experts ne seront bien sûr pas définis puisque Bronner estime sans doute en faire partie, lui qui est invité sur de nombreux plateaux télévisés au titre d'expert prodiguant une juste parole sur notre monde. Depuis plus d'un an, les faits nous prouvent cependant que la contestation de l'autorité est beaucoup plus faible que les chiens de garde ne l'estimaient, alors même que la situation est tangiblement plus critique qu'en 2013.


Totalement piégé dans le discours techno-capitaliste, ne témoignant pas une seule fois de la moindre distance critique à son égard – ce qui est regrettable lorsqu'on prétend brasser de la sociologie – Gérald Bronner oppose les « croyances » à « la science et à la connaissance », ces deux derniers termes semblant, par la magie de la conjonction grammaticale, se résoudre en une stricte équivalence, la science devenant alors la connaissance, et la connaissance ne pouvant être que scientifique. Ainsi, la science dans l'assentiment qu'elle confère à l'extension du domaine techno-capitaliste n'est pas une seule fois remise en question, devenant elle-même une religion. Sans doute Gérald Bronner estime-t-il lui-même être un scientifique, ne serait-ce que dans le champ de la science molle.


Plus loin, nous croyons nous enfoncer encore davantage dans le rêve lorsque nous constatons que le droit de savoir, le droit de dire et le droit de décider, ces dispositions démocratiques qui « ont paru incantatoires jusqu'à ce que nos prothèses technologiques leur donnent corps » (remercions donc la technologie), conduisirent une fois accomplis à l'avènement de la « démocratie des crédules ». La définition de la démocratie est ainsi allègrement renversée par Gérald Bronner. Déclarant que le démos a toujours été un crétin ne demandant qu'à être guidé par quelques êtres d'exception, et déplorant que par son mauvais usage des techniques de l'information, le démos tende désormais un peu trop à remettre en question le discours dominant, Gérald Bronner insinue que la véritable démocratie n'est pas le pouvoir du peuple mais le pouvoir sur le peuple. Sans doute Gérald considère-t-il qu'il ne fait pas partie de ce peuple.


Finalement, comme dans « Apocalypse cognitive », Gérald Bronner nous révèle sa croyance scientifique : si les technologies créent le chaos dans notre monde, ce n'est pas de leur faute (l'outil est neutre) : c'est parce que l'homme a progressé plus lentement que les outils dont il peut désormais disposer. Ainsi part-il en couilles quand certains joujoux trop sophistiqués sont placés entre ses mains. Partir en couilles c'est-à-dire : transformer les objets conçus pour le divertissement et la transmission de la doxa dominante en menaces pour le pouvoir. Bref : Gérald Bronner ne critique jamais l'outil en lui-même, conçu comme inéluctable, ni les nécessités internes au marché qui créent la course au développement techno-industriel, mais le bas peuple lorsqu'il ne se sert pas uniquement des outils pour témoigner toujours davantage de son asservissement.


Eh ouais.
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Ayant parfois vu Gérald Bronner invité dans des émissions télévisées, j'ai voulu lire un de ses ouvrages.
Celui-ci date de 2013. C'est un ouvrage copieux, qui n'est pas de la vulgarisation.
Il parle de massification de l'information, de biais cognitifs, de concurrence entre connaissance et croyance.
Il décrit la construction des théories complotistes par accumulation et mutualisation d'arguments qui se renforcent alors qu'ils sont faibles pris individuellement.
Il critique la concurrence des médias, qui les oblige à donner une information de façon précipitée, sans vérification.
Une notion m'a particulièrement intéressée, c'est la "taille de l'échantillon", souvent négligée : si on obtient 10 fois 6 au lancer de dés, faut-il y voir un signe ? ou simplement savoir combien de centaines de fois on l'a lancé avant d'obtenir ce résultat ?
La profane que je suis n'aura peut-être pas tiré tous les enseignements de ce livre, mais il permet d'ouvrir les yeux sur le traitement de l'information, que ce soit sur les médias traditionnels ou Internet.
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Connaissant déjà Gerald Bronner et sa pensée, je n'ai pas appris énormément de choses dans cet ouvrage. Je suis cependant toujours en accord avec ce qu'il dit : bien qu'ils soient très nombreux les arguments des conspirationnistes sont faibles.
Bien que le livre permet, comme souvent, d'approfondir les choses, les différentes vidéos de Gerald Bronner qui sont en accès libre peuvent suffire à comprendre la pensée de l'auteur.
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