Jamais de Mavis !

Vous êtes étrangère à notre ville, déclare soudain la vieille sorcière à voix basse. Vous ignorez tout des rites du vaudou, et cependant vous êtes environnée de sa puissance. Vous courez un danger, mon enfant, un grave danger ! Il y a des forces qui se liguent contre vous, des forces obscures qui cherchent à vous nuire !
 Vous êtes également environnée d’hommes. J’en vois un… il est grand, il est beau… c’est un brun… méfiez-vous de lui, mon enfant ! Il y en a un autre qui est un ami et vous devez lui faire confiance… Il y en a encore d’autres… Ils tourbillonnent dans l’ombre et je ne les distingue pas clairement… Il y a aussi des ennemis que vous prenez pour des amis et des amis que vous prenez pour des ennemis… mais surtout, un danger vous menace, un grand danger…

Je parle des gangs de malfaiteurs de tout acabit qui sévissent ici comme dans toute autre ville ; du fait de l’afflux des touristes pour le Mardi gras, c’est un vrai pays de cocagne pour les truands. Ils rappliquent donc – les pickpockets, les escrocs, les baratineurs, entraîneurs des boîtes pour touristes ; ils s’amènent avec leurs dés pipés, leurs jeux de cartes truqués, le tord-boyaux vendu au prix de la bonne gnôle, sans compter tous les trafiquants de drogue, enfin toute la séquelle !

Voyons, Johnny ! Puisque nous nous sommes toujours tout dit très franchement sous ce rapport, il y a une chose que je me fais un devoir de vous déclarer : en toute honnêteté, vous n’avez vous-même rien d’éblouissant. Vous n’êtes pas laid, bien sûr, encore que votre front se dégarnit si vite qu’on dirait la marée descendante à Coney Island. Il faut vous faire une raison, Johnny. Au fond, vous êtes une vraie cloche. Pas vilain garçon, d’accord, mais vous vous déplumez rapidement et…

Ah ! Ces hommes ! Ne m’en parlez pas ! Il y a des moments où je souhaiterais qu’ils n’existent pas ; seulement, tout de suite après, je me mets à imaginer ce que serait un univers exclusivement peuplé de femmes, et aussitôt je pardonne aux hommes bien des choses qu’on ne devrait pas leur pardonner – pas tout de suite, en tout cas !

Ça fait partie de la technique du caïd du « Kipage ». Quand il a envie de se débarrasser de quelqu’un, il commence toujours par lui envoyer une poupée. Un bon truc, du point de vue psychologique, Mavis. Un homme (comme une femme) terrorisé est beaucoup plus facile à tuer.