De temps en temps, j'aime me perdre dans une lecture légère, où je glisse lentement dans cette atmosphère plus frivole, comme ce recueil de nouvelles,
Mon cher mari de Rumena Bužarovska, glané avec un autre roman,
Mon mari de
Maud Ventura, c'était la journée littéraire des conjoints, un hasard de la destinée, sachant le caractère assez contraire des deux livres. La féminité dans ces portraits d'épouses est le tableau acerbe d'une auteure sans concession épousant la gent féminine moderne de cette société en manque de repère, laissant la femme dans cet écho perdu d'une
Simone de Beauvoir déchu, cette empreinte Manichéenne est un cocktail à l'eau de Javel qui terni sans modération cette femme-épouse se diluant dans le mirage conventionnel de la femme culturellement liée à sa terre macédonienne avec cette attraction de la culture fantasque du modèle à l'américaine, stéréotypé par la série Desperate Housewives, comme le souligne pertinemment et aussi habillement par marketing, le quatrième de couverture avec cette critique du journal
Le Figaro littéraire d'Astrid de Larminat.
« Une sorte de Desperate Housewives à la sauce balkanique, très décapante, avec un sens raffiné du grotesque. »
Je n'ai pas fait de recherche sur l'auteur de ce livre, j'avais juste envie de lire sans réfléchir pleinement et le laisser bercer par la légèreté des petites nouvelles, avec cette lecture fluide, avec ce soupçon que j'adore, ce ton assez décalé, voire sarcastique, coulant quelquefois dans le burlesque, voir la parodie, oeuvrant souvent dans la bêtise humaine contemporaine, celle de l'absurde, comme ce mouvement littéraire philosophique opposant
Albert Camus et
Jean-Paul Sartre, Rumena Bužarovska sera plus aérienne pour un livre divertissant et agréable, livrant une part de son pays à travers ces personnages, et des dialogues savoureux sur les racines de ce peuple Macédonien, déformant leurs défauts par moquerie sentimentale et une amertume d'un mal du pays.
J'ai été surpris par le genre de l'auteure, une femme, je n'ai pas cette culture pour connaitre la féminité du prénom Rumena, j'ai lu tout le livre en pensant qu'un homme se mettait dans la peau des épouses, spoliant légèrement leurs pensées, avec ce stéréotype masculin sur les femmes et ce côté patriarcal dominant. Comme j'ai été naïf, ces nouvelles étaient le fruit défendu d'une autrice ; une femme sait au mieux raconter une femme, percer ces failles et avec cette ironie d'autodérision. Rumena Bužarovska est née à Skopje en Macédoine du Nord, sa capitale, enseignant la littérature américaine à la faculté de philologie de Skopje, elle est adepte de la nouvelle,
Mon mari (Mojot maž, édition Blesok-2014, 2ᵉ édition Ili-Ili -2015) est le troisième recueil des quatre qu'elle a édités, le premier Griffonnages (Čkrtki, édition Ili-Ili- 2007), Dent de sagesse (Osmica, édition Blesok-2010), Je vais nulle part (Ne odam nikade, édition Ili Ili-2018), on peut souligner son penchant pour la littérature américaine, faisant une étude sur l'humour dans la littérature américaine et macédonienne à travers le prisme de la nouvelle (édition Blesok-2012). C'est ma première aventure avec la littérature macédonienne, m'ouvrant vers des horizons lointains des Balkans, d'ailleurs en ce moment en parallèle, je suis dans la lecture d'un roman yougoslave, le pont sur la Drina, narrant l'histoire autour de cet édifice, construit sur une commande du grand vizir Mehmed pacha Sokolović, par l'architecte Sinan à la fin du XVIe siècle pour franchir le fleuve sauvage et incontrôlable de la Drina.
Que vais-je pouvoir dire de plus sur ces nouvelles, aux nombres de dix, de longueurs inégales, qui toutes ont comme narratrice une femme mariée, exposant un fait ou son mari est souvent l'acteur principal, la femme a souvent un rôle qui ne la met pas beaucoup en valeur, elle aime être dans la dérision, voir quelquefois être l'électron libre qui échappe à toute raison, c'est souvent savoureux. Explorons plus en détail toutes ces nouvelles.
Mon mari, le poète est la première nouvelle, une petite mise en bouche amusante, la narratrice est une épouse fanée par le temps, mélancolique d'un mari poète sans talent, l'ayant séduite par la verve de sa poésie sans saveur, désormais, elle s'ouvre à lui comme ces femmes indésirables que son mari est réduit à conquérir par la médiocrité de sa prose, cette épouse attend la formule magique pour se donner à son mari, ce sésame qui la rend indésirable comme les maitresses de son mari. La soupe, plus longue comme nouvelle, aborde l'infidélité d'une femme comme l'était sa mère, est une histoire vraiment cocasse, l'appétit sexuel de la femme est continuellement vorace, au détriment des enfants, pourrait être la morale de cette histoire ! L'adultère est la troisième nouvelle, l'infidélité d'un mari à travers la femme qui tente de le confondre de diverse manière, avec la complicité d'une voisine, un vrai Vaudeville, avec une chute à la
Tex Avery incroyable, surtout l'image finale qui se dessine dans mon esprit. Les gènes, la quatrième nouvelle est assez longue, le mari est au centre de cette intrigue à travers de son fils ainé qui a quatre ans au début de l'histoire, plus dense à décrire, ce mari comble les défauts de son enfant par l'hérédité utérin des gènes, la situation gênante du jeune albanais enfermé par cet enfant à l'école, aborde le côté stigmatisant de ce pays envers cette population, un racisme culturel profond, son fils Neno, vole, ment, frappe son petit frère et par procuration terrorise un petit Albanais dans son école pour l'enfermer dans une pièce, ce père sera confronté à son passé pour comprendre et ne pas avoir ce déni envers cet enfant, encore une histoire de gènes, comme le titre de cette nouvelle, moins drôle, mais piquante quelquefois. Un nid vide est une nouvelle, la cinquième la plus absurde, se dessine sur mes lèvres ce petit sourire qui m'a accompagné tout le long de cette lecture tout en écrivant ces lignes, cette épouse alcoolique, s'invente un don artistique dans la peinture qui la rend désagréable et amusante, elle se perd dans des distorsions des événements pour les rendre à son avantage et avoir une réalité de schizophrène, elle accuse son mari d'être alcoolique, l'enseignante de dessin de sa fille d'avoir mal noté un dessin de nature morte, sachant que c'est elle qui la fait, soupçonne sa nièce de comploter avec son mari, pour enfin entendre de leurs bouches qu'elle est alcoolique et n'a aucun talent pour la peinture, mais aura-t-elle la présence d'esprit de se mettre en question, la vérité est souvent une mélodie qui s'évapore dans l'oubli du mensonge. Un homme d'habitude, cette nouvelle assez courte, narre la vie d'une femme d'ambassadeur qui s'ennuie du quotidien pour palabrer dans les bras d'un acteur de théâtre qu'elle fantasme à en devenir possessive, hystérique pour basculer dans une folie grotesque. On aime cette femme descendre dans l'absurdité de ces émotions et de la mise en scène qu'elle invente pour cet amant irréel. Père, est la huitième nouvelle, une mère accouche et n'arrive pas à créer des liens avec son fils, son père au contraire tisse ce lien toute suite pour devenir un père-mère à la fois, complice à cet enfant, ce papa joue et lui apprend des jeux bruyants, sachant qu'ils habitent dans un appartement, ce vacarme donne la migraine à sa mère et un soir alerte une voisine qui vient gentiment demander à cette femme-mère de faire attention au vacarme avec une courtoisie bienveillante, soudain tout bascule, pour le plaisir du lecteur. Samedi, cinq heures de l'après-midi est l'antépénultième nouvelle, elle est surprenante, un couple d'un certain âge vive seul, leurs enfants sont partis, lui est un gentleman aux yeux de sa femme, un jour, ils vont rendre visite à un ancien prétendant de sa femme veuf sans enfant, puis il les laisse seuls pendant une heure puis revient chercher sa femme, et ce rituel dure depuis un an, tous les samedis à cinq heures, il dépose sa femme chez cet homme durant une heure et revient la chercher sans savoir et lui demander ce qu'il se passe entre eux, une nouvelle rafraichissante. Lilé, l'avant-dernière nouvelle est la plus détestable par la médiocrité du rôle de la mère envers sa fille, Lilé, qui n'est pas franchement joli, qui n'a pas l'affection de sa mère, Lilé est lente et fragile, portant les boucles d'oreilles de sa grand-mère maternelle, lui donnant une touche de féminité, puis l'incident, un bocal d'aïvar, du confit de poivron tombe sur la petite tête fragile de Lilé, et la non-réaction de la mère, n'ayant pas cette attitude de bienveillance, celle de protéger le fruit de ces entrailles, laisse la petite souffrir en silence lui disant « Boum boum » tout en se tenant la tête, juste des petits pleurnichements, pour une tragédie qui n'effleure pas sa mère, l'attentisme couplé à une impassibilité à cet instinct maternel, cette femme fuit ce côté mère, celui de femme d'une épouse, pour se soustraire à la réalité qui l'environne. La dernière nouvelle, le 8 mars, la plus longue, vient clore ce recueil de belle manière, toujours dans cet humour, se découpe en deux actes, le premier, banale, conversation assez stéréotypée sur les valeurs familiales pour une femme, d'être mariée assez rapidement. Puis le deuxième acte, une femme tente de se persuader que son collègue pourrait devenir un amant d'un soir sous l'effet de l'alcool et lorsqu'une intoxication alimentaire d'un foie grillé dégrise la situation et l'idyllique devient fade et trompeur.
Un bon moment de détente dans cette lecture où la femme est en dans la folie douce de ses sentiments à travers des maris de second rôle et des scénarios souvent décalés, où de l'émotion se distille quelquefois.