Vent d'Est, vent d'Ouest

Elle s'anima soudain. Ses lèvres se retroussèrent jusqu'à ce que sa bouche si pleine de mépris parut un être vivant.

Des cinq frères de mon mari, aucun n’avait de fils. Si donc mon enfant était un garçon, il prendrait le rang après le frère ainé, dans la famille et dans le clan, et serait l’héritier des biens. Oh ! c’est le chagrin d’une mère de ne pouvoir conserver son fils pendant les premiers jours, si brefs ! Trop tôt, il est appelé à prendre sa place dans la grande vie de famille. Mo fils sera à moi si peu de temps. Oh ! Kwan-Yin, protégez mon petit enfant !

A peine la procession funèbre avait-elle franchi le grand portail que les concubines commençaient déjà à se quereller entre elles, à qui aurait la préséance. Chacune voulait remplacer ma mère comme Première Epouse, et désirait revêtir les vêtements rouges, objets de convoitise, interdits aux concubines. Elles aspiraient aussi au privilège de franchir, après leur mort, le seuil du grand portail, car vous savez que le cercueil d’une concubine ne doit passer que par une sortie latérale. Toutes ces folles s’ornèrent de plus belle, espérant attirer les regards de mon père.

Prenons patience, fis-je ; Le jour arrivera bien où l’auguste mère se laissera fléchir. Aussitôt son visage se durcit : « Je n’ai rien fait de mal, dit-elle, d’une voix basse et contenue. Ce n’est pas un péché que de s’aimer et s’épouser ? Son père est le seul ami que je possède dans cette maison. Il me témoigne de la bonté, et j’en ai besoin, je vous assure ! je crois que je ne pourrai pas rester dans cette prison. »

Comment l’étrangère pourrait-elle jamais espérer devenir l’une de nous ? Mais les paroles de mon frère firent naître une idée dans mon esprit. « Désire-t-elle retourner parmi les siens ? » demandais-je avec empressement. J’entrevoyais là une solution ; si elle partait mon frère cesserait de penser à elle, et reviendrai à son devoir. Mais je n’oublierais pas le regard fulgurant qu’il me lança dans son courroux. « Si elle part, je la suis, dit-il avec une soudaine violence ; et si elle meurt ici dans ma maison, je cesserai à jamais d’être le fils de mes parents ! »

Je m’aperçois que cette jeune femme n’admet ni lois, nui contrainte ; elle doit être surveillée ; ne me parle plus d’elle.

Une lettre de ma mère. Elle était adressée à mon frère en l’invitant de retourner chez lui. Elle ne prendrait aucune mesure au sujet de l’étrangère. La décision finale n’était pas de son ressort ; elle appartenait à notre père et aux hommes du clan. En attendant mon frère pouvait l’emmener avec lui ; elle habiterait dans les cours extérieures car il serait malséant qu’elle se mêlât aux concubines et aux enfants. La lettre ne disait rien de plus.

Mais qu’est cela ? Vous n’avez donc rien fait pour le protéger des dieux ? Quelle négligence ! Et elle appela une esclave : « apportez-moi un boucle d’oreille en or et une aiguille », s’écria-t-elle. J’avais déjà pensé que j’aurais dû percer l’oreille gauche de mon fils et y pendre un anneau d’or afin de tromper les dieux et leur faire croire que l’enfant est une fille dont il n’avait cure. C’est un ancien rite qui écarte d’un premier-né une mort prématurée.

Madame Liu la suivit du regard, une douce pitié se peignait sur son visage. « C’est très dur pour tout le monde, répéta-t-elle ; Cela marche-t-il bien entre eux deux ? je répondis simplement : « Il y a de l’amour entre mon frère et elle, mais ma mère se meurt de sa déception. »Madame Liu soupira : Je sais ; Ah ! oui, je vois cela souvent. Ce sont des jours cruels pour les vieux ; aucun compromis n’est possible entre eux et les jeunes ; ils sont aussi nettement divisés que si un couperet neuf avait tranché la branche d’un arbre.

Wang Da-ma, la fidèle servante, me raconta qu’écoutant derrière le rideau, elle entendit brusquement voler des propos irrités, de ces mots qu’on ne doit pas prononcer entre mère et fils, comme de rapides coups de tonnerre dans le ciel. Wang Da-ma prétend que mon frère montra de la patience jusqu’à ce que ma mère l’eût menacé de le déshérité. Il répondit alors amèrement. Il s’était élancé ensuite en maudissant ses ancêtres.