Les secrets de ma mère

"[...] Et les femmes sont toujours comme ça".
Qu'est-ce que vous voulez dire ?
Eh bien, toutes les femmes que je connais et qui ont quitté une relation à long terme dans la trentaine se sont déconnectées bien avant de le faire. Elles ont vécu tout le chagrin lorsqu'elles étaient encore avec leur partenaire. Elles ont joué tous les scénarios, ont traité leurs sentiments, si bien que lorsque la rupture s'est produite, elles se sont senties légères et libres. Les hommes le prennent plus mal. Ils font semblant de ne pas le faire, mais ils le font. Ils n'ont rien préparé.
C'est vrai. [...]."

Je n’éprouvais aucune sympathie envers moi-même. J’avais honte de mon immobilisme et de mon incompétence – -parce qu a dire vrai tout le monde a connu des pertes, des hontes, des pensées obsessionnelles, mais ces gens-là paraissent pourtant s’en sortir. Ils y parviennent, j’ignore comment – ils avancent, ils se fabriquent une vie bien à eux. Je ne m’en étais pas sortie, moi. J’étais captive du fantôme d’une femme, et d’un compagnon qui vivait dans son propre univers fantasmé, et je n’avais rien accompli dans ma vie. Je n’avais pas de Molly, je n’avais pas pléthore d’abonnés Instagram, ni de livre à mon nom, ni de femme avec qui habiter au bord de la mer.

C’était, semblait-il, un endroit de rêves, un endroit où les conséquences de la célébrité étaient grotesques. Des stars de cinéma à travers le siècle emportées par la drogue et l’alcool, victimes de l’humiliante obsolescence ou de l’hubris d’une
trop grande exposition médiatique. Le territoire de la course aux dollars, où la valeur
d’une actrice était estimée non pas à l’aune de son talent mais de ses cachets. Un mauvais film et tout s’effondre, avait dit Connie. J’espère franchement qu’on ne fera pas un mauvais film.

Son visage était placide comme un lac, sa chatte, une braise chaude. Mais son amour grandissait, la pressait vers le sol, il faisait naître des racines qui s’ancraient toujours plus profondément. Elle n’avait pas fait grand-chose depuis qu’elle était avec Connie, elle le savait. Elle avait désormais vingt-deux ans, et tout était encore blotti en elle.

L’art n’était pas la vérité, c’était un mensonge raconté pour dire la vérité. C’était ce qu’affirmait le professeur de dessin au Royal College of Art où elle était modèle vivant. Et la vérité revêtait des aspects différents. C’était une question d’angle, de l’endroit où on était placé qui donnait un point de vue différent selon ce qu’on avait besoin de voir. L’art, c’était être sans cesse à l’affût d’un élément auquel se raccrocher.

Connie était une femme charmeuse et ta mère était envoûtée. » Il posa le livre entre mes mains et tourna les talons pour retourner à la maison, vidant sur le sol rocailleux les restes de café au fond de nos tasses.

Les gens affirmaient toujours dormir mieux quand ils quittaient
la ville, mais je trouvais l’air cristallin et l’écho interminable du ressac presque physiquement perturbants car j’étais incapable de dissimuler mes états d’âme habituels de la même façon que je les dissimulais dans la stupeur des lumières clignotantes et des gaz d’échappement londoniens. Mon moi demeurait tapi sous les strates de Londres, caché parmi la multitude. Ici, en bord de mer, je me sentais nue.

Papa ne semblait pas comprendre que les choses aient pu en arriver là, alors qu’il avait été le témoin le plus proche et le plus ancien de mon existence. J’avais renoncé à me défendre mais je défendais encore Joe. Nous allions faire de Joerritos un véritable succès. Nous n’évoquions jamais Joerritos devant mon père. C’était un sujet quelque peu explosif.

Claire est loin d’être une marâtre. Elle comprend mon père et elle l’aime, c’est évident, mais en restant toujours fidèle à ses propres valeurs. C’est parce qu’elle a déjà été mariée, je pense. Elle a commis des erreurs et en a tiré les leçons, et je parie qu’elle a choisi un genre d’homme différent, cette fois-ci.

Mon père aimait l’océan. Il avait toujours aimé vivre près de l’eau et la Tamise avait fini par ne plus lui suffire. Joe et moi avions placé presque toutes nos économies dans l’entreprise de burritos de Joe, Joerritos, et quand ils nous avaient invités à passer les vacances dans leur chambre d’amis, nous avions accepté malgré les réserves de Joe. C’était une erreur sur le court terme, mais pas sur le long terme.