Aucune destination de rêve n'est naturelle, toutes ne conservent leur beauté qu'à coups de chirurgie géographique. Mon regard glisse vers la plage noire d'Atuona. Peut-être qu'un jour, on inventera un moyen de colorer son sable en blanc.
...il y a une part de violence en nous, autant qu'il y a une part d'amour ?
On cesse d’aimer l’autre le jour où l’on cesse de l’admirer.
- Je crois que les hommes préhistoriques au néolithique se tatouaient déjà, bien avant nous. Mais nous, les Marquisiens, avons inventé le mot. Tatu. Et nulle part ailleurs, tu ne trouvais des dessins aussi raffinés...
- Vous savez ce qu'écrivait Melville ?
Elle laisse le temps que sa question fasse son petit effet. Avant de continuer.
- Herman Melville a écrit son premier best-seller aux Marquises. Le seul de son vivant, d'ailleurs. "Taïpi". Il disait que le véritable cannibale, c'est l'île, pas ses habitants, parce qu'elle dévore votre âme. Alors vous allez méditer là-dessus, les filles. Et me pondre un best-seller à me faire passer Jack London, Stevenson, et Pierre Loti pour des chroniqueurs de Lonely Planet. Un écrivain qui joue à cache-cache, un tueur géronticide en liberté sur l'île, ne venez pas me dire que vous n'êtes pas gâtées.
On cesse d'aimer l'autre le jour où l'on cesse de l'admirer.
Tanaé me fait rire avec ses légendes qui remontent à trois millénaires...
Avant de mourir, je voudrais...
Seul Yann semble ignorer de quoi il s’agit. Tanaé ne se fait pas prier pour lui expliquer.
— Le mana, mon garçon, c’est notre force intérieure. Elle est présente partout aux Marquises. Dans la terre, dans les arbres, les fleurs. Partout. C’est une puissance qui s’est accumulée depuis la nuit des temps, depuis que cette montagne est sortie tout droit de la mer. Mais va pas te faire de film, le mana, c’est pas un parfum, ou un air qu’on respire, ça se passe pas comme ça. Le mana est transmis par les ancêtres, on le reçoit ou pas. On le ressent ou pas (tout en empilant des assiettes, Tanaé se tourne vers l’écrivain).
Les livres sont plus dangereux qu'une arme à feu, se manipulent avec plus de précaution qu'un poison, les écrivains sont de terribles tueurs en série.