Citations sur Rhapsodie italienne (118)
Lorenzo est attablé avec son ami Alberto dans un café de la piazza Bra, face aux arènes, où se retrouvent les officiers anciens combattants. D'autres viennent les rejoindre. La discussion est animée. Car on sait que les Alliés, la France, l'Angleterre et surtout les Etats-Unis ne sont plus disposés à leur accorder ces terres (les terre irredenti), reprochant à l'italie d'avoir moins de sept cent mille morts contre plusieurs millions de morts pour les autres.
Ils font valoir que leur pays est entré tardivement dans la guerre et a, comme dit l'ambassadeur britannique, "attendu l'armistice pour déclencher la dernière offensive".
De toute manière, vous savez qu'aujourd'hui on ne démissionne plus. Ce serait un crime de lèse-majesté, si ce n'est de lèse-fascisme. Avec Mussolini, les démissions ne sont acceptées que lorsque personne ne les a données !
L'Allemagne nazie, avec cette folie des juifs, conclut-elle (Carmela), est comme un astre noir qui plane au-dessus de l'Italie fasciste qu'elle attire inexorablement à coup de chants des sirènes, de roulements de tambour et de claques dans le dos.
Elle est une femme double, triple même, et derrière la Carmela mondaine, sensuelle, charmante, la lectrice avertie, se dissimule la Cafonessa, rugueuse, sévère et implacable.
Un vrai traitre a besoin de trahir pour se sentir en accord avec lui-même. La fidélité est une amertume secrète qui pourrit sa vie. La loyauté, c'est du fiel saupoudré de sucre, le jour sa violation, ce qu'il ressent est un bonheur qui le paie de tout le reste. La trahison, c'est intime.
- C'est donc bien cela l'amour absolu. Rien ne 'arrête, ni le crime ni la nouvelle de la mort.
Carmela acquiesce.
Qui tient Gorizia tiendra Trieste. Il faut donc conquérir les sommets tout le long de l'Isouzo, occuper Gorizia et foncer du Trieste, grand port sur l'Adriatique et ville symbole des terre irredenti.
Elle danse Laura. Elle danse au Balajo, au Fernand, au Grégoire, le samedi soir et le dimanche après-midi sur les bords de la Marne. Elle s'amuse follement avec les camarades italiens mais aussi avec les Français. Car au mois de juillet 1936, la France est en fête. Le "Front popu" a gagné les élections, le camarade Blum est à Matignon, et même s'il est socialiste, Blum, c'est un camarade quand même, et un bon ! comme le répète toute la jeunesse ouvrière. Emilio, lui, est retourné en Italie. L'usine, il ne supportait pas. Mieux vaut le fascisme chez babbo et mamma que l'usine chez les Français.
Laura a refusé de le suivre. Tant pis pour Emilio.
Après une courte permission, le lieutenant Lorenzo Mori passe la soirée de Noël 1916 en compagnie du caporal Benito Mussolini, dans une tranchée face à la cote 144, en première ligne sur le Carso. Ils partagent un poulet rôti qu'un capitaine a apporté en le dissimulant sous son manteau. Dans le civil, le capitaine travaille au Popolo d'Italia et n'a pas voulu laisser passer la fête sans gratifier son directeur. Le leader interventionniste évoque les Noëls de son enfance, quand la civilisation n'était pas encore mécanisée et où il allait à la messe dans l'église de Predappio, avec les cierges allumés autour de l'autel et le berceau fleuri de l'Enfant-Jésus né dans la nuit. A midi, raconte-t-il, toute la famille dégustait les traditionnels et délicieux cappelletti de Romagne.
C'est une soirée intense et chaleureuse. Les canons se taisent des deux côtés. Il neige doucement. Plus tard, en évoquant ce Noël dans les tranchées, le Duce aura les larmes aux yeux.
Au bout d'un moment, Lorenzo, qui a compris le manège des deux mères, finit par lâcher :
_ Il paraît, mademoiselle, que je dois vous faire la conversation, sinon je manquerais à mes devoirs de fils à marier.
_ Ca tombe bien, réplique Virginia, car je n'ai aucune envie de mariage en tête, en tout cas, pas avec vous.
Il éclate de rire. Soudain, Virginia lui paraît sympathique.
_ Voilà un point commun. Je crois que nous allons nous entendre. Parlez-moi de vous, j'en ferai autant de mon côté, et nous nous quitterons bons amis dans l'idée de ne jamais nous revoir, au grand désespoir de nos mères.