Il connaissait une jeune femme charmante, vive, réservée et un peu fragile. Il en découvre une autre, insoupçonnée, une Sicilienne dure, avec un reflet minéral dans le regard.
À l'arrière des combats, dans une tente qui sert d'hôpital de campagne les chirurgiens opèrent à la chaîne. Il n'y a presque plus de morphine. On sert un coup de gnôle à ceux qui sont encore conscients et on coupe. Bras, mains, jambes sont balancés dans un seau qu'un soldat va vider dans une décharge quand il est plein.
Quant à la fille, elle se prépare à être belle, alors que, pour l'instant, elle n'est que jolie.
Mais Carmela, en bonne Sicilienne, se défie des proclamations de l'État. L'expérience prouve qu'elle ne sont jamais suivies d'effet. Il arrive, en revanche, ce qui n'est jamais annoncé, des impôts et de nouveaux règlements inspirés par l'administration piémontaise.
Les Suisses ne veulent pas des fascistes en fuite, et surtout pas de leur chef.
(Des) plaisanteries circulent sur le régime et son chef. Celle-ci fait particulièrement rire Lorenzo : Un type dit à son ami :
"_ Le beau temps est revenu, grâce à Dieu.
_ Non, grâce au Duce.
_ Mais que dira-t-on quand le Duce sera mort ?
_Alors, on dira grâce à Dieu."
Les hommes, ils étaient à la guerre, ils avaient le rancio. Ce n'était pas bon, mais au moins, ils mangeaient ! Quand ils venaient en permission, ce n'était pas le moment de leur refuser quelque chose. Alors, on se ramassait des gosses. En veux-tu, en voilà. Après, on apprenait que le père était mort en héros ou il revenait infirme, et il fallait se coltiner les gosses quand même ! Les gosses de guerre, comme on les appelait. Ah, elles étaient belles les terre irredenti, qu'on nous a pas rendues d'ailleurs !
Les hommes qui l'entourent approuvent en silence. Ces rudes chemises noires en sont à détester leur propre aviation et ses bombes à gaz réglées pour exploser à deux cent cinquante mètres du sol et répandre sur l'ennemi une pluie de gouttes. C'est la pluie mortelle des Italiens. Chaque goutte, une plaie, chaque bulle de gaz, un mort. Du poison qui tombe du ciel, infectant lacs et rivières, et surtout l'atmosphère. Qui respire le gaz meurt aussitôt, qui boit l'eau ou goûte la nourriture contaminée meurt un plus tard. Sur les zones où le gaz a été répandu, le silence. Hommes et bêtes gisent au sol, femmes et enfants aussi, constellés de plaies, la bouche béante. La première guerre fasciste est une guerre à l'hypérite. Canons, mitrailleuses et fusils ne sont plus que des armes d'appoint.