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Un jeune couple de Londoniens chassés de leur quartier populaire par l'insécurité décide de changer de mode de vie en achetant une petite ferme «un croft » dans une île au nord de l'Ecosse afin d'y fonder une famille et de vivre de leur production.
Face à la dureté de la vie insulaire et le rejet des autochtones le mari baissera rapidement les bras. Seule, la narratrice s'accrochera à son bout de terre contre vent et marée, l'expression convenant tout à fait.
S'agissant du récit de la vie de l'auteure on ne peut que saluer son extrême courage compte tenu du nombre impensable de difficultés auxquelles elle a dû faire face. C'est remarquablement bien écrit, bien traduit et bien présenté car le livre comporte plusieurs photos qui rendent la narration encore plus concrète. Beaucoup de poésie dans les descriptions parfaitement maîtrisées . A aucun moment je n'ai décroché dans ce livre captivant.
Chapeau bas encore une fois pour son courage et on ne peut que lui souhaiter un avenir plus paisible en parfaite harmonie avec son environnement.
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Il en est de certaines lectures qui tout doucement s'instillent en vous, vous emporte insidieusement sans que vous en rendiez forcément compte, distille en vous quelque chose d'indéfinissable et qui vous porte vers une réflexion tout aussi vertigineuse que bienfaitrice.
Et bien "Je suis une île" est de celles-là.

D'abord, une pensée toute particulière pour HordeDuContrevent qui par sa somptueuse critique de cet ouvrage a su éveiller ma curiosité quant à cette auteure, cette maison d'édition dont le credo est de mettre "à l'honneur des autrices contemporaines. À travers leurs textes elles nous disent leur vie de femme, leur relation à la nature ou à notre société. Elles écrivent pour changer le monde, pour le comprendre, pour nous faire rêver." J'ajouterai dans le cas présent nous renvoie également à nous-mêmes.
Et me sortir de ma zone de confort, au propre comme au figuré

2 livres me sont revenus en mémoire, lors de l'avancée au fil des pages que je prenais le temps de lire pour m'en imprégner
- Un effondrement d'Alexandre Duyck ;
- Tomber sept fois, se relever huit de Philippe Labro.

Peut-être est-ce aussi car ce roman provoque une sorte d'effet miroir qui ne peut laisser indifférents certains....

Car au risque de ma lancer dans des assonances, plusieurs adjectifs me viennent à l'esprit à l'évocation de l'histoire de Tamsin Calidas :
Expérience, accoutumance, vigilance, puissance, transparence, violence, persistance, résonance, et résilience.

Expérience car "C'est toujours pendant une forme de traversée, le passage d'un espace à un autre, que votre coeur s'ouvre et que tous vos rêves commencent." Et expérience car la lecture de cet ouvrage s'apparente à la lecture d'un livre qui ne ressemble à aucune autre.

Accoutumance car : "Lorsque j'emprunte cet itinéraire quotidiennement pour me rendre au travail, j'ai conscience d'être en proie à un sentiment d'agitation perturbant. le fait de trimer jour après jour peut vous pousser à vous poser toutes sortes de questions ouvertes. Vous en venez parfois à lever les yeux vers le ciel pour y trouver des réponses, les épaules redressées, parées contre une angoisse existentielle sans cesse renouvelée." Et accoutumance aux mots posés par l'auteur sur le papier.

Vigilance car "L'humanité est une chose vulnérable et vigilante". Et vigilance tant on en éprouve pour l'héroïne.

Transparence car "Le stress est invisible ; subtil et insidieux, il se renforce au fil du temps. L'angoisse est pareille à un feu qui se consume lentement.". Et transparence tant les mots parfois bruts, les sentiments exacerbés, disent tant de nous, de nos peurs, de nos joies, de nos craintes, de nos peine

Violence car "Parfois, votre vie peut vous paraître étriquée à la manière d'un pull devenu trop petit pour vous depuis longtemps, qui entrave tant vos mouvements qu'un besoin pressant de vous étirer pour vous en défaire s'empare de vous. Depuis des années, je désirais secrètement tirer d'un coup sec sur ce dernier fil pour me libérer." Et violence car elle peut parfois s'avérer salvatrice, ou comme un déclic dont seul notre inconscient a le secret.

Persistance car je dirais à l'instar d'une lecture récente et dont une citation convient parfaitement à celui-ci également : "de même que le stylo quitte la surface de la page entre deux mots, de même les pieds du marcheur se lèvent et s'abaissent entre deux pas ; de même que le cerf continue de courir quand son bond l'arrache au sol, et que le dauphin continue de nager quand il saute et jaillit par-dessus les vagues, de même l'écriture et la navigation sont des activités continues, une ligne ininterrompue, la persistance d'un même courant, d'un même élan." Et persistance dans ma mémoire de ces mots et images qui ont émaillés ma lecture.

Résonance car cette femme-île va devoir entrer en résonance avec le milieu avec les éléments bruts, avec l'environnement, avec la nature, avec l'île elle-même. Et résonance car "cette histoire nous rappelle que d'étranges forces sont toujours à l'oeuvre, souvent invisibles, au sein du paysage. Dans ce vol tourbillonnant, ce que j'ai vu, c'est que la prédation et la protection sont les deux facettes d'un même instinct." Et résonance comme peut l'être la vie parfois. Et résonance également tant je suis doué "pour nourrir les autres des trésors rutilants de ces cueillettes, mais j'ai beau être calme, j'ai toujours eu bien du mal à m'en nourrir."

Résilience car :" Il est effrayant de se regarder, de regarder ses faiblesses, dans toute leur nudité crue. de comprendre vraiment que la vie n'est qu'un unique souffle intense et tremblant.Cela me fait peur d'en être arrivée là. Je sais que mon existence est différente des autres. J'ai appris à vivre chaque jour avec de moins en moins. À présent, je vis avec tellement peu que j'ai du mal à savoir ce qu'il manque.Vient un moment où nous savons que quelque chose ne fonctionne pas. Ce moment est venu puis reparti pour moi, sauf que j'ai continué, en m'épuisant, mais en me battant. C'est comme nager sur place, avec le courant chaque jour un peu plus fort qui, lentement, irrésistiblement, m'entraîne vers le fond. J'ai simplement continué à faire les choses, parce que nous adhérons tous à une règle simple : nous ne cessons jamais d'essayer. Personne n'a le droit de laisser tomber. On peut s'arrêter, mais jamais passer la main." Et résilience car parfois quelque chose, quelqu'un, une force inconnue, une force surhumaine dans son acception littérale vous pousse à sortir du gouffre. Peut-être aussi parce tout doit s'effondrer pour que le renouveau puisse advenir ?

Tamsin Calidas écrit : "Les belles choses se produisent souvent quand on s'y attend le moins."
Je me permets d'écrire : Les belles lectures se produisent souvent quand on s'y attend et le moins....
Mais c'est bien là que réside la force de la lecture au travers des autres trouver une part de soi-même, ou la retrouver tout simplement.
Et tout simplement j'ai envie de prononcer un merci...
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Tamsin, à la suite de plusieurs événements tragiques, a décidé de quitter Londres avec Rab son mari pour s'installer en Ecosse. Leur chemin les mènera sur une île, au large d'Ossian, dans l'archipel des Hébrides. Enthousiastes, ils comptent sur ce nouveau départ et se lancent à corps perdus dans la rénovation d'une maison et la réhabilitation d'une exploitation fermière.

Un livre puissant, brutal et profondément intime qui m'a littéralement balloté de page en page. Tamsin nous raconte avec poésie son chemin de vie, et ses batailles. Et nous livre l'histoire personnelle et poignante d'une femme qui cherche à se retrouver, et qui pour cela, va devoir se déconstruire et se reconstruire de nombreuses fois. D'une résilience sans pareille, elle relate avec sensibilité l'ostracisme, le racisme, le patriarcat, et la violence qui se déchaînent sur elle quotidiennement, elle cette étrangère, elle une femme.

Contre vents et marées, nous assistons à la renaissance d'une femme forte et à son rapprochement avec la nature, son seul réconfort. A une autre époque, certains l'auraient appelé… sorcière.
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Beauté sauvage d'un changement de vie radical, régénérateur et rédempteur…Ce livre m'a touchée au point d'infuser mes idées de clarté et d'humanité. Un coup de coeur serti par une écriture belle à tomber…

« Notre souffle forme un nuage blanc quand je frotte vigoureusement son épaisse robe avec mes mains gercées. Des tessons tremblants de glace déversent sur nous une pluie blanche et chatoyante. Nos silhouettes sont illuminées par une lueur dorée tandis que le soleil commence à se lever et que la journée semble d'une immense beauté dans sa réalité physique et sa simplicité nue ».

Ce livre est l'histoire de l'auteure, Tamsin Calidas, sous forme de témoignage…Un prénom et un nom aux sonorités de promesses d'île que je murmure désormais avec émotion, presque avec sensualité, avec respect assurément. Cette londonienne a quitté sa vie citadine pour s'installer sur une petite île des Hébrides en Écosse. Elle et son mari ont tout plaqué, laissant de côté leurs carrières de haut vol, pour pouvoir vivre davantage en lien avec la nature, comme nous sommes nombreux parfois à l'imaginer, à le rêver, mais bien peu à le faire de manière aussi radicale, dans un « croft », sorte de micro-exploitation rudimentaire, sur une île éloignée de tout, au climat hostile, là où les falaises sont taillées de façon anguleuse par les embruns salés et les vents venus de la mer produisant un son de cornemuse, là où les clochettes des bruyères se font éclatantes tandis que les collines roussies s'assombrissent en hiver, là où les rivages nus scintillent de berniques qui s'accrochent aux rochers. Là où « le vent chante à travers les vieilles charrues abandonnées tel un métier à tisser invisible qui continue à entremêler les fils de la terre et ses souvenirs, tramant chaque jour un passé et un présent différent ». Là où les ciels d'automne tourmentés peuvent devenir noirs et frappés avec fureur, là où les fleurs sauvages au printemps se font aquarelle polychrome. Là où le silence est si intense qu'il en devient poreux. Sur cette petite île d'un vert brillant dans le soleil étincelant, minuscule joyau des Hébrides.

Tamsin Calidas a réussi à atteindre un mode de vie d'une simplicité âpre et extrême qu'elle a appris à aimer au-delà des mots. Tamsin Calidas, femme-île, bercée par les eaux, fouettée par les vents, adoptée par les oiseaux, vénérée par ses animaux, à la peau tannée, aux joues sèches, aux mains blessée, à la force rugueuse, une petite poignée de vent en guise de voix.

Mais, quelle est la contrepartie, du moins le processus pour atteindre une telle osmose avec la nature et d'une telle connaissance de soi ?… En vivant désillusions sur désillusions, au point que l'idée même de mort soit réconfortante.
La stérilité mine le couple qui se brise, l'argent vient à manquer au point de devoir glaner des végétaux pour se nourrir et de ne pouvoir se chauffer, les deux mains se cassent, la solitude est extrême, l'ostracisme des insulaires est menaçante, la seule amie décède…Réduite à néant, ce dépouillement total la conduit tout d'abord à l'amertume, au ressentiment, rendant la narration répétitive et douloureuse… jusqu' à l'acceptation permettant à la douleur la plus aigüe de marquer son coeur. En vivant en accord avec le principe de destruction et d'altération de l'univers. En lâchant prise. En se débarrassant de routines éculées. En se laissant guider par le vent qui offre une source de force et de renouveau. En se laissant mordre par la mer glaciale, tous les jours, cette eau des origines, primordiale, quelle que soit la température, quelles que soient les conditions météo. En communiant avec la faune et la flore environnante.

D'année en année, son instinct devient connecté aux multiples indices livrés par la nature, aux moindres petits signaux que son corps assimile :
« C'est le milieu de la matinée. le toit en tôle ondulée de la vieille grange aux agneaux est pris d'assaut par un vent de nord-est, inhabituel en cette fin d'été. La poussière dans la cour se soulève, tourbillonne en rafales ; l'air lourd est chargé, saturé du parfum épais de la pluie. Mais hormis un éclat couleur de plomb, le ciel demeure clair. C'est déroutant de regarder le ciel et de constater qu'il est en décalage avec lui-même. Cela aiguise l'instinct, le met sur le qui-vive. Je sais qu'une véritable tempête est imminente, file à l'horizon, pas uniquement parce que j'ai aperçu les goélands blottis contre les mangeoires, ni parce que les moutons se sont réfugiés dans les bois dans la partie sud-ouest du croft, ni tout bêtement parce que j'ai vu le mercure chuter dans le baromètre. Je le sais pour toutes ces raisons, mais surtout à cause du goût fade et gris caractéristique qui stimule la production de salive dans ma bouche. Je lève la tête pour humer et goûter un peu plus l'air. Ce goût émoussé sur les bords est le signe annonciateur soit d'un problème, soit d'un changement ».

Cette connexion devient même interconnexion réveillant ses instincts ataviques profonds, puisant dans ses pulsions anciennes et ses souvenirs ancestraux, élans animistes durant lesquels « le temps parait à la fois passer en un clin d'oeil et simultanément dilaté à l'extrême ».

Ce beau livre publié aux jeunes éditions Dalva, aux pages souples et généreuses, nous offre, à chaque début de chapitre, de petites photos, photos de ses animaux, fragments de lèvres et de sourire, de bouts de doigts gelés enveloppant une tasse chaude , de paysages austères et puissants, photos qui m'hypnotisaient et me permettaient de bien me rendre compte du réalisme du récit, notamment celles où nous la voyons s'immerger dans l'eau glaciale.

"Tout doit s'effondrer pour que le renouveau puisse advenir"

J'ai vécu sur cette île aux côtés de Tamsin Calidas le temps de ce livre, vécu ce sentiment de gratitude et de résilience. J'ai ressenti sa capacité à s'endurcir, à enfoncer ses racines peu profondes comme elle le pouvait, à la manière d'un chardon, en s'adaptant et en luttant.
Ce fut une lecture marquée par une forme de douce sororité, de compassion, d'apaisement donnant furieusement envie de l'épauler et, comme elle, de se reconnecter à la nature sauvage. Pour autant, ce coup de coeur n'est pas qu'affaire de compassion et d'empathie. Il s'explique aussi par cette façon lumineuse qu'à cette femme de réussir à mettre en mots des vérités indicibles qui vibrent en moi…

«La vision du monde que vous développez est déformée. Vous niez l'existence de la noirceur parce que tout votre être s'accroche à la lumière. La vie est une lutte acharnée entre sentiment d'appartenance à un lieu et déracinement ».
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J'ai lu ce livre sans rien en savoir, ni de l'auteur
ni de l'histoire. Juste attirée par le titre et la couverture. Et ce fut une très belle decouverte !
Lorsque à la fin du livre, je découvre que l'auteure raconte sa propre histoire, son vécu, ça m'a chamboulée car c'est vraiment une introspection, et c'est bouleversant ! C'est un livre à lire, à offrir, absolument !
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No man is an island,
Entire of itself,
Every man is a piece of the continent,
A part of the main.
If a clod be washed away by the sea,
Europe is the less.
As well as if a promontory were.
As well as if a manor of thy friend's
Or of thine own were:
Any man's death diminishes me,
Because I am involved in mankind,
And therefore never send to know for whom the bell tolls;
It tolls for thee.

Nul homme n'est une île,
entière en elle-même ;
tout homme est un morceau du continent,
une partie de l'ensemble.
Si une motte de terre était emportée par la mer,
l'Europe en serait diminuée,
aussi bien que si c'était un promontoire,
aussi bien que si c'était le manoir de tes amis
ou le tien propre :
la mort de tout homme me diminue,
parce que je fais partie du genre humain,
et en conséquence, n'envoie jamais demander pour qui sonne le glas ;
il sonne pour toi.

John Donne, No Man is an Island

Je suis une île est le premier livre de Tamsin Calidas qui relate les quinze années qu'elle a passées sur une île des Hébrides. Traduit en français par Caroline Bouet et publié aux toutes jeunes et prometteuses éditions Dalva que je découvre, son titre semble démentir les vers que John Donne écrivit il y a près de quatre cents ans et que nous connaissons tous grâce à Papa Hemingway.

❝Quel moment extraordinaire que celui où vous revoyez le calibrage de votre compas et trouvez un cap. Je rêvais de fixer mon regard sur un horizon brut et dégagé depuis des années — depuis que j'avais trouvé une vieille carte de l'Écosse et que je l'avais épinglée dans le couloir de mon appartement.❞

Qui n'a jamais rêvé de faire table rase du passé, se tourner résolument vers l'avenir et trouver un lieu où être enfin soi ? Combien de ces rêveurs ont fait de leur rêve une réalité ? Plusieurs événements traumatisants ont conduit Tamsin et Rab, son époux, à quitter leur maison londonienne de Notting Hill et leurs emplois pourtant prospères pour chercher à s'établir dans un lieu qui leur rendrait leur sérénité perdue.

Ce lieu nous le découvrons tout d'abord grâce à une carte placée au début de l'ouvrage divisé en trois actes, eux-mêmes divisés en chapitres avec un seul mot pour titre et une photo noir et blanc prise par l'autrice pour illustration. (J'ouvre une parenthèse pour dire combien l'objet livre est beau et le travail d'édition, soigné. La traduction me paraît parfois hasardeuse, mais n'ayant pas lu le texte original, ce n'est que mon impression de lectrice). le croft, un de ces territoires scrupuleusement délimités et changeants, que Tamsin et Rab achètent sur une île des Hébrides, bien que passablement décrépit, sans eau courante ni électricité, contient la promesse d'une vie à réinventer loin du tumulte de la ville, d'une famille à fonder, de nouvelles relations à nouer.

❝C'est le silence qui me frappe. Il a quelque chose de poreux, comme si le ciel tout entier s'était déversé à l'intérieur, ne laissant que peu de place au reste. Ici, nul éclat de voix, nulle brique à travers la vitre. Nul fracas métallique de bâton sur une grille métallique ni grondement de bus. À l'intérieur, le silence qui règne rappelle l'eau fraîche et pure. Et je sais que c'est ce calme que je recherche depuis longtemps.❞

C'est sans compter sur les difficultés que tous deux ont assez inexplicablement occultées, sans doute tout à l'euphorie de ce nouveau départ décidé sur un coup de tête, en six semaines à peine. Il faut dire qu'elles ne manquent pas pour ces Londoniens sans aucune expérience de l'élevage de moutons et de vaches, et il est illusoire de penser que les relations avec les îliens fiers et ouvertement hostiles pacifieront leur installation sur l'île.

Dans ce monde à quelque dix miles du continent que l'on relie par un ferry tributaire des caprices de la météo, à l'écart de tout, replié sur lui-même, la bonne entente et l'entraide sont vitales. La coutume veut que l'on ne ferme pas à clef les maisons, qu'une lumière restée allumée soit une invitation à entrer à l'improviste pour discuter autour d'une tasse de thé ou d'un verre de whisky quelle que soit l'heure. Qu'en est-il quand toute une communauté vous rejette vous faisant chaque jour le reproche de n'être pas né sur ces terres, de les usurper, de vous y installer au nez et à la barbe des personnes auxquelles elles doivent revenir selon un tacite code ancestral ?

❝Les pierres et les souvenirs sont l'ossature géologique et culturelle de l'île. […] Acquérir le droit d'avoir sa place ici est aussi ardu qu'arracher ces rochers au sol de l'île. Ce droit est offert joyeusement à chaque enfant qui naît ici, ainsi qu'aux personnes liées par le mariage au petit groupe uni de familles locales. […]
Chaque poche de sol est jalousement gardée, comme on veillerait sur un parent proche. Ce sont des territoires que l'on défend bec et ongles. […] malgré tous vos efforts, jamais vous ne les méritez. Avoir sa place ici dépend du bon vouloir des autres.❞

Certaines personnes ne sont pas faites pour s'entendre, et Tamsin et Rab en font chaque jour la douloureuse expérience en se retrouvant mis au ban de la petite société de l'île qu'ils n'intègreront jamais.

❝C'est un très beau monde où la fierté obstinée, la haine de la différence et la peur du changement règnent en maître. À bien des égards, ce monde demeure féodal, avec son propre système d'honneur prompt à s'indigner mais lent à pardonner.❞

Pour Tamsin et Rab, l'embellie pourrait venir de cette famille qu'ils ont à coeur de fonder, mais les échecs répétés des FIV auront raison de leurs ultimes espoirs. Tout est précaire, au croft comme dans leur couple, et Rab finit par jeter l'éponge pour s'en retourner vivre sur le continent, laissant Tamsin seule, au pire moment puisqu'avec deux poignets cassés, toute tâche lui devient d'une difficulté insurmontable. N'importe qui aurait songé à renoncer. N'importe qui, sauf elle.

Écrire une autofiction est un choix narratif assumé où le « je » de l'autrice se met en scène. L'écueil est de n'être pas capable d'objectivité et, ici, Tamsin Calidas ne l'évite malheureusement pas. Pour intéressantes que sont les péripéties qu'elle rapporte à propos de ces années-là, le personnage qu'elle se crée est trop lisse et on cherche en vain un défaut à cette Tamsin idéalisée. À la lire, et à l'exception notable de Cristall, les îliens ne sont que des hommes et des femmes bourrus, inhospitaliers, acrimonieux — ❝Tous ces regards qui me mangent. […] Pas besoin de gril, l'enfer c'est les autres❞, écrivait Sartre dans Huis clos — envers lesquels elle ne montre aucune curiosité et dont elle se garde bien de sonder les motivations. de même qu'elle ne cherche pas à comprendre quelles pourraient être les raisons profondes du revirement de son mari, se contentant de noter son changement physique et de ses humeurs.

❝Je l'ai vu dans son corps qui s'étiolait. Dans les années qui ont suivi, j'ai vu ce problème[l'isolement, la solitude] creuser au point de buriner ses traits et sa peau.❞

À l'évidence, écrire est un exutoire, et bien que sa phénoménale force de caractère et son instinct sûr ne puissent être mis en doute, elle se regarde souffrir et en ferait presque oublier que derrière ses récriminations se tapit une vraie souffrance, celle de la solitude ❝je suis tellement seule que parfois je ne me reconnais pas❞, de l'impossible maternité, d'une vie pécuniairement et socialement précaire sur une île où, assez contradictoirement disons-le, elle ne s'intègre pas tout en souhaitant ardemment s'y enraciner.

Le troisième acte est de loin, de très loin même, le mieux réussi, qui raconte le trouble exaltant de se reconnecter à la nature sauvage pour y trouver l'apaisement.

❝Je perds le contact avec les mots. Je vais dans les bois car ils m'offrent une conscience silencieuse plus douce et plus durable que tout ce que je connais. Je presse ma joue contre l'écorce fraîche, j'appuie ma tête lasse contre un tronc solide. Je me fabrique un abri rudimentaire et j'y apporte des couvertures épaisses. […] Je suis prête à me défaire du monde que je connais. […] le matin venu, je n'ai pas envie de m'en aller. Alors je reste.❞

Les cent dernières pages, hymne à l'âpre beauté des Hébrides qui exalte sa communion avec la faune et la flore environnantes, sont tout simplement splendides. Les passages recuits d'aigreur du début cèdent enfin devant de sages élans littéraires qui, en autorisant enfin l'émotion à passer, rendent grâce à la grandeur des paysages changeants de l'île, l'éblouissement polychrome des fleurs sauvages au printemps, la noirceur des ciels d'automne tourmentés, les caprices dévastateurs des tempêtes soudaines, la morsure des hivers rigoureux, les rencontres inopinées avec les animaux qu'à l'image de Saint-François d'Assise, elle soigne et tente d'apprivoiser. Et l'eau, l'eau primordiale, l'eau matrice réconfortante dans laquelle elle nage chaque jour quelle que soit la température, quelle que soit la météo.

❝Chaque jour, je jette quelques heures perdues dans l'eau. Chaque jour, cela renouvelle ma force, enflamme une résilience intérieure et me procure un sentiment de gratitude pour mon souffle chaud et mon coeur qui bat. […] La mer vous modèle habilement, vous dotant de nouveaux contours capables de résister aux coups durs de la vie.❞

Malgré la faim qui lui tord l'estomac et la pousse à se nourrir de ce qu'elle trouve quand les finances sont en berne,

❝La feuille épaisse du sycomore est la plus dure. le hêtre est doux, froissé, avec de minuscules poils comme une peau duveteuse […] Goûter ces premières bouchées est étrange, comme un secret illicite dans ma bouche. Mais c'est plus que cela. C'est un soulagement. Je suis affamée, j'ai désespérément besoin de nourriture.❞

les jours passés auprès de Maude sa chienne et de Fola sa jument sont empreints d'une sérénité qu'elle a enfin trouvée après s'être dépossédée de tout.

❝Je n'ai ici ni famille, ni proche, ni ami, ni lien affectif. Ce sentiment inconnu est étrangement libérateur.❞

Je suis une île est le récit en trois actes d'un changement de vie radical. Lent, répétitif et quelque peu maladroit dans ses deux premiers tiers, il devient le passionnant récit d'un voyage intérieur et d'une renaissance, avec le secours d'une nature âpre mais toujours généreuse et les somptueux paysages indomptés de ce coin d'Écosse.

Je suis une île. J'ai un nom. Une poignée de vent en guise de voix. J'offre à la mer ce silence froid qui est en moi.❞

Je remercie Babelio et Juliette Ponce des éditions Dalva pour cet envoi et leur confiance.

Lien : https://www.calliope-petrich..
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Quitter une vie urbaine confortable mais stressante pour s'installer en couple dans une île isolée des Hébrides écossaises , tel était le rêve de la narratrice. Mais d'emblée, sans expérience de l'élevage , en butte à l'hostilité des gens du cru dont la mentalité insulaire est particulièrement exacerbée, les difficultés tant matérielles que psychologiques font que la narratrice va se retrouver seule.
Seule face aux éléments, seule face à l'ostracisme dont elle est victime, seule face à une grande pauvreté.
N'importe qui d'autre serait parti. Pas elle. Elle choisit de rester et ce durant quatorze années. Elle relève tous les défis , se baigne dans une eau glacée chaque matin, bonnet sur la tête en plein hiver, va s'expliquer avec celui qu'elle soupçonne d'être à l'origine des formes de violence dont elle a été victime directement ou indirectement, se forge une nouvelle mentalité, un nouveau corps : "On émerge de cette expérience avec des contours taillés autrement, on est transfiguré. Certains de ces changements sont les bienvenus, mais d'autres peuvent vous laisser en deuil de la personne que vous étiez avant, et que vous avez perdue". Un récit éprouvant.

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Merci à Babélio et aux éditions Dalva de m'avoir permis la lecture de ce magnifique témoignage qui se lit comme un roman .
Tamsin Calidas et son mari Rab ,las de la vie londonienne ,décident de tout quitter pour s'installer sur une île des Hébrides au large de l'Ecosse pour y mener une vie plus proche de la nature .Et ils vont s'accrocher à cette nouvelle vie malgré l'ampleur de la tâche et la froideur des îliens seulement leur couple va bientôt s'effriter et Tamsin va se retrouver seule et désargentée à affronter les difficultés quotidiennes de la vie à la ferme .Un magnifique témoignage à lire et relire !!!
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Voici un récit de vie puissant et addictif, qui m'a rendue admirative des ressources que met en oeuvre la narratrice pour finir par pouvoir dire "je suis une île". Servie par une belle écriture, précise et riche, Tamsin Calidas nous raconte, avec sincérité et profondeur, le trajet qui la fait passer de sa vie londonienne à son installation improbable sur une île des Hébrides écossaises, d'abord avec son compagnon, puis seule quand celui-ci la quitte. Elle décrit au jour le jour, mais pas toujours de façon chronologique, les difficultés (et c'est un euphémisme !) pour intégrer une population rare mais assez peu hospitalière, pour rendre habitable la vieille maison qu'ils ont acquises, ainsi que les tentatives pour trouver un moyen de subsistance dans cet environnement particulier. Puis, une fois seule, elle nous fait partager son quotidien rustique et solitaire, sa vie au plus près d'une nature sauvage et parfois violente, et les petits pas qu'elle fait chaque jour pour approcher le coeur de la vie à travers les animaux, les plantes, et ses bains dans l'eau glacée de la mer qui l'entoure. Chacun de ses gestes, répétitifs ou exceptionnels, l'amènent à se questionner sur la vie, sur l'humanité, sur la famille, sur l'amitié, et cela fait de ce livre à la fois un compte rendu d'expérience hors du commun et un parcours philosophique qui apportera forcément quelque chose à chacun de ceux qui le liront. Encore un excellent choix des éditions Dalva !
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Amis du livre, bonjour.
5 étoiles pour ce magnifique roman autobiographique, qui s'étale sur 14 ans.
Roman écrit par une femme, pour les femmes et les hommes aussi qui ont cette sensibilité parfois enfouie.
Cette île pourrait être la nôtre, cette vie de même, qui n'a pas rêvé ou imaginé de changer son destin de citadin, pour aller, ailleurs.
Merci pour ce merveilleux livre lu en deux jours, qui n'appelle pas à une suite, à quoi bon, tout est presque dit….
Belle lecture à tous.
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