Citations sur Les villes invisibles (113)
Pour peu que je jette un regard sur la foule qui emplissait ces ruelles, je me voyais assailli par des figures inattendues, revenant de loin, comme pour me reconnaître, comme si elles m'avaient reconnu. Peut-être que moi, pour chacun d'eux, je ressemblais à quelqu'un qui était mort. A peine étais-je arrivée à Adelma, et déjà j'étais l'un des leurs, j'étais passé de leur côté, confondu dans ce flot d'yeux, de rides et de grimaces. Je pensai : "Peut-être qu'Adelma est la ville où l'on arrive quand on meurt et où chacun retrouve ceux qu'il a connus. C'est signe que moi aussi je suis mort".
Je pensai encore ; "Et c'est signe qu'au-delà, ce n'est pas le bonheur".
Marco Polo décrit un pont, pierre par pierre.
- Mais laquelle est la pierre qui soutient le pont ? demande Kublai Khan.
- Le pont n'est pas soutenu par telle ou telle pierre, répond Marco, mais par la ligne de l'arc qu'à elles toutes elles forment.
Kublai Khan reste silencieux, il réfléchit. Puis il ajoute :
- Pourquoi me parles-tu des pierres ? C'est l'arc seul qui m'intéresse.
Polo répond.
-Sans pierres, il n'y aurait pas d'arc.
L’enfer des vivants n’est pas chose à venir ; s’il y en a un, c’est celui qui est déjà là, l’enfer que nous habitons tous les jours, que nous formons d’être ensemble. Il y a deux façons de ne pas en souffrir. La première réussit aisément à la plupart : accepter l’enfer, en devenir une part au point de ne plus le voir ; la seconde est risquée et elle demande une attention, un apprentissage, continuels : chercher et savoir reconnaître qui et quoi, au milieu de l’enfer, n’est pas l’enfer, et le faire durer, et lui faire de la place.
incipit : Il n’est pas dit que Kublai Khan croit à tout ce que Marco Polo lui raconte, quand il lui décrit les villes qu’il a visitées dans le cours de ses ambassades ; mais en tout cas l’empereur des Tartares continue d’écouter le jeune Vénitien avec plus de curiosité et d’attention qu’aucun de ses autres envoyés ou explorateurs.
Un paysage invisible conditionne le visible »
L'ailleurs est un miroir en négatif. Le voyageur reconnaît le peu qui lui revient, en découvrant la quantité de ce qu'il n'a pas eu et qu'il n'aura pas.
Et Polo :
- L'enfer des vivants n'est pas chose à venir ; s'il y en a un, c'est celui qui est déjà là, l'enfer que nous habitons tous les jours, que nous formons d'être ensemble. Il y a deux façons de ne pas en souffrir. La première réussit aisément à la plupart : accepter l'enfer, en devenir une part au point de ne plus le voir. La seconde est risquée et elle demande une attention, un apprentissage, continuels : chercher et savoir reconnaître qui et quoi, au milieu de l'enfer, n'est pas l'enfer, et le faire durer, et lui faire de la place.
Tes villes n’existent pas. Peut-être n’ont-elles jamais existé. En tout cas, elles n’existeront plus dans l’avenir. Pourquoi t’amuses-tu avec des fables consolantes ? Je sais bien que mon empire pourrit comme un cadavre dans un marais, dont l’infection empeste aussi bien les corbeaux qui le mangent que les bambous qui poussent en s’engraissant de sa liqueur. Cela, pourquoi ne m’en parles-tu pas ? Pourquoi mens-tu à l’empereur des Tartares, étranger ?
[...] la véritable carte de l'univers, c'est la ville d'Eudoxie, telle quelle, une tache qui grandit au hasard, avec des rues en zigzags, des maisons qui s'écroulent l'une sur l'autre dans un nuage de poussière, des incendies, des hurlements dans le noir.
Les villes et le ciel. 1
— L’enfer des vivants n’est pas chose à venir, s’il y en a un, c’est celui qui est déjà là, l’enfer que nous habitons tous les jours, que nous formons d’être ensemble. Il y a deux façons de ne pas en souffrir. La première réussit aisément à la plupart : accepter l’enfer, en devenir une part au point de ne plus le voir. La seconde est risquée et elle demande une attention, un apprentissage, continuels : chercher et savoir reconnaître qui et quoi, au milieu de l’enfer, n’est pas l’enfer, et le faire durer, et lui faire de la place.