L'intrigue est-elle vraiment intéressante ? Peut-être pas, l'écriture de Camilleri est faite d'étincelles plus que de savants stratagèmes pour découvrir un meurtrier et son mobile. J'ai cependant tort en disant cela, car Camilleri est le géographe d'une Sicile que nous ne pourrions découvrir sans les petits mystères qu'il fait craquer sous la dent comme des pépins de raisins.
Ici, ce qui nous ravit et nous intéresse est moins l'enquête menée par l'ombrageux commissaire Montalbano que la galerie de personnages que dispose l'écrivain sur le théâtre d'une comédie humaine dont il nous donne à voir une représentation.
Il y a quelque chose d'éternel dans le petit peuple de Vigàta, mais surtout de douloureux et de poignant parce qu'inscrit dans un très vieux code de la fatalité dont nous sentons la puissance sous les oripeaux de la modernité.
Les protagonistes de
la forme de l'eau sont deux balayeurs préposés au nettoyage d'une zone en bordure de mer investie par des prostituées et leurs clients, le Bercail. Ils incarnent la condition du petit peuple sicilien : sous-emploi, pauvreté et débrouillardise. Autour de Pino et Saro, dans un paysage politique opaque, règnent un clientélisme endémique et des intérêts mafieux soigneusement habillés des apparences de l'honorabilité.
On sent l'amour qui unit Camilleri à sa patrie, mais avec une infinie sagesse, il se garde bien de l'exposer, il le chuchote avec sa bougonnerie coutumière.