«
Caligula » est une pièce d'
Albert Camus initiée en 1938 ; mainte fois remodelée et dont le texte définitif fut figé en 1944 et acté lors de la première le 26 septembre 1945 (mise en scène de Paul OErly, avec Gérard Philipe dans le rôle-titre, et Margo Lion dans celui de Cesonia).
S'inspirant de
Suétone (« Vie des douze Césars »),
Albert Camus insère sa pièce dans son « cycle de l'absurde », où figurent un roman «
L'Etranger », (1942), un essai «
le Mythe de Sisyphe » (1942) et donc deux pièces de théâtre «
Caligula » et «
le Malentendu » (toutes deux de 1944). Pour autant, il récuse le caractère philosophique de la pièce : « Est-ce à dire que l'on doive considérer le théâtre d'
Albert Camus comme un « théâtre philosophique » ? Non – si l'on veut continuer à désigner ainsi cette forme périmée de l'art dramatique où l'action s'alanguissait sous le poids des théories. Rien n'est moins « pièce à thèse » que «
le Malentendu » qui, se plaçant seulement sur le plan tragique, répugne à toute théorie. Rien n'est plus « dramatique » que «
Caligula » qui semble n'emprunter ses prestiges qu'à l'histoire ». (Prière d'insérer de l'édition 1944)
«
Caligula » est donc avant tout une pièce de théâtre. La « Préface à l'édition américaine », donnent le canevas de toute la pièce – et en même temps sa justification :
«
Caligula, prince relativement aimable jusque-là, s'aperçoit à la mort de Drusilla, sa soeur et sa maîtresse, que le monde tel qu'il va n'est pas satisfaisant. Dès lors, obsédé d'impossible, empoisonné de mépris et d'horreur, il tente d'exercer, par le meurtre et la perversion systématique de toutes les valeurs, une liberté dont il découvrira pour finir qu'elle n'est pas la bonne. Il récuse l'amitié et l'amour, la simple solidarité humaine, le bien et le mal. Il prend au mot ceux qui l'entourent, il les force à la logique, il nivelle tout autour de lui par la force de son refus et par la rage de destruction où l'entraîne sa passion de vivre.
Mais, si sa vérité est de se révolter contre le destin, son erreur est de nier les hommes. On ne peut tout détruire sans se détruire soi-même. C'est pourquoi
Caligula dépeuple le monde autour de lui et, fidèle à sa logique, fait ce qu'il faut pour armer contre lui ceux qui finiront par le tuer.
Caligula est l'histoire d'un suicide supérieur. C'est l'histoire de la plus humaine et de la plus tragique des erreurs. Infidèle à l'homme, par fidélité à lui-même,
Caligula consent à mourir pour avoir compris qu'aucun être ne peut se sauver tout seul et qu'on ne peut être libre contre les autres hommes.
Il s'agit donc d'une tragédie de l'intelligence. D'où l'on a conclu naturellement que ce drame était intellectuel… Mais je cherche en vain la philosophie dans ces quatre actes. Ou si elle existe, elle se trouve au niveau de cette affirmation du héros : « Les hommes meurent et ils ne sont pas heureux » . .. La passion de l'impossible est, pour le dramaturge, un objet d'études aussi valable que la cupidité ou l'adultère. La montrer dans sa fureur, en illustrer les ravages, en faire éclater l'échec, voilà quel était mon projet. Et c'est sur lui qu'il faut juger cette oeuvre ».
Albert Camus, on le voit n'était pas seulement un penseur lucide, c'était un homme de théâtre visionnaire. En lisant ces lignes on pense à beaucoup de dramaturges ou de cinéastes qui sont partis du même constat.
Et l'absurde dans tout ça ? Il réside dans la quête même de
Caligula : il perd sa vie (au propre et au figuré) parce qu'en voulant changer son destin il l'a accéléré : il a cherché désespérément une liberté qui n'était pas la bonne. Et qui peut dire où est la bonne liberté ?
Le théâtre de Camus passe souvent après ses
oeuvres romanesques et ses
essais. C'est un tort, Camus était aussi un grand monsieur du théâtre, comme auteur, mais aussi sur la scène et en coulisses.