Citations sur Petit éloge du désir (83)
Que le désir et le plaisir nous débordent, excèdent notre activité raisonnable, voilà qui est sûr.
Vous échangez de nombreux mots de promesse. Pur délice.
Enfin la pente du temps raidit.
Le battement intérieur s'accélère.
Le silence grandit.
Tout se met plus souvent en apnée. Pressentiment des mots de chair.
Puis la source du verbe tarit, ton être ramassé et tendu vers la rencontre, vers le concret des peaux et des lèvres-- comme une apnée, oui. Tu attendris et tu ris, les émotions à vif. Aussi : ça chantonne en toi.
Jouer avec le plaisir de l'autre, le faire douter s'il est partagé avec la même intensité - mauvais calcul. Cette sorte de manque ne vaut rien au désir. Il le rabaisse, le ramène vers l'émotion très ordinaire de l'inquiétude, le transforme jusqu'à changer sa nature: au lieu d'un grand rire lancé contre la mort, cette plainte chétive - m'aimes-tu? me désires-tu? Au lieu de la splendide exaltation du corps-esprit, les petites misères de la détresse affective.
Enfin, vous vous approchez. Grands bouleversements dans le corps-esprit. « Tu me plais, c’est un évènement. » Un doigt sur le bras, une main sur l’épaule encore vêtue, des frôlements… comment s’unir à ce corps, quelle place y trouver ? ce torse t’accueillera-t-il ? Sera-t-il assez vaste ? et ces lèvres perdues entre nez et menton, comment les embrasser ? Impression qu’il faut apprendre une géographie pour se « localiser » dans le nouveau corps.
Car il s’est agrandi à la taille d’un univers miniature, plein de promesses, d’endroits secrets, lieu de pratiques multiples et toutes enchantées – jamais assez de temps et de force pour l’explorer suffisamment, il te donne un pressentiment de l’infini. Vous vous quitterez repus et pourtant pleins d’un désir intact. Vous venez à peine de commencer à vous étreindre.
Désir et mélancolie : comme le recto et le verso d’une feuille, inséparables.
Le pianiste occasionnel est-il forcément plus inspiré, plus émouvant que le musicien accompli? Au contraire, c’est une fois son art maîtrisé qu’il peut oublier la technique et improviser, inventer, donner libre cours à ses sentiments.
Toi aussi, encore tiraillée entre les deux conceptions de l’amour, tu comprends intimement l’Adolphe de Benjamin Constant lorsqu’il déclare : « Malheur à l’homme qui, dans les premiers moments d’une liaison d’amour, ne croit pas que cette liaison doit être éternelle ! Malheur à qui, dans les bras de la maîtresse qu’il vient d’obtenir, conserve une funeste prescience, et prévoit qu’il pourra s’en détacher ! » Si intensité est le maître mot de l’amour, comment conjuguer ce savoir (l’intensité tombera) et la joie du désir à l’époque de l’amour vif ?
Toi, tu imagines que demain nous ferons couple autrement, dans un engagement provisoire, admettant qu’une séparation n’est pas un échec et que vivre plusieurs liens au long de son existence est une respiration naturelle de la vie amoureuse. Peut-être même perdrons-nous l’habitude de vivre obligatoirement sous le même toit, adoptant des modes de vie plus souples, plus inventifs… Qui sait ? Alors amour et désir charnel ne feront qu’un… plusieurs fois.
Tu lui écris « Je te pense », formule sans légitimité grammaticale, mais « Je pense à toi » marque trop de distance ; or tu es si pleine de lui (lui : parfum en toi, musique secrète, teinte de l’air) qu’il te faut une expression capable de restituer le fait qu’il est lové en toi. D’où le raccourci. Aussi : il te semble y entendre une appropriation (je te prends en moi), et une suggestion érotique (comme je me délecte de toi, même en ton absence…)
Saint Augustin : "Celui qui se perd dans sa passion est moins perdu que celui qui perd sa passion."