L'allemand possède un vocable qui conviendrait bien à ton attente joyeuse : Vorfreude, L'avant-joie, qui est déjà la joie, qui prélude à l'accomplissement.
Parce que la joie nous ouvre alors mieux et dautres manières au monde, nous nous mettons à l'habiter poétiquement. Si nous avons plus souvent les yeux tournés vers l'intérieur (le grand désir rend pensif), ils se posent aussi avec une nouvelle acuité sur les jolis détails et se projettent plus loin vers l'espace et les paysages, parcourant sans cesse l'ample spectre du visible et de l'admirable. La poésie devient notre mode de perception, nous sommes sensibles comme jamais à la splendeur et aux beautés simples. Le désir exalte la poésie du monde.
Le réel est une corne d’abondance mais, souvent hors de l’état de vigilance que crée le désir, nous ne le voyons pas.
Avec ses mots et son regard, il te tisse un manteau de reine dont tu sauras te dévêtir pour lui offrir ta nuque.
Cet "infracassable noyau de nuit" (André Breton) au creux de la vie sexuelle, tu l'as nommé Désir. Et tu l'as fracassé en deux cent cinquante fragments nocturnes dont tu aimerais que la somme fasse résonner un chant solaire.
... on ne peut pas saisir la beauté du désir et son énigme renouvelée.
On dit que lorsqu'on lui demanda à quel âge le désir disparaissait, une princesse Palatine (tu ne sais laquelle) aurait répondu : "Comment puis-je le savoir ? Je n'ai que quatre-vingts ans !".
"Je suis et tu n'es, dans les vastes flux des choses, qu'un point d'arrêt favorable au rejaillissement", écrit Georges Bataille quelque part ...
... mais tu préfères les hommes intelligents. Car l'intelligence est érotique.
Tu sais les prestiges de la parole qui s'échange, pas seulement les murmures du désir, tous les mots qui circulent et tissent les liens de l'esprit, comme une danse qui vous unit - car vous voulez aussi danser ensemble la pensée.
Tu te rappelles un amant merveilleux, sorte d'apnéiste qui, sans effort et comme en dansant, ne jouissait pas, ou si tardivement que ta propre jouissance n'avait plus de bornes. Et de naviguer sur cette mer sans rivages - oui, tu disais mer sans rivages - , avec l'assurance que rien au monde ne marquerait une limite à ton plaisir hormis ton propre épuisement, transformait jusqu'à la nature de ce plaisir. Ce qui se déroulait entre vous n'était pas seulement une abondance de plaisir mais un plaisir d'une qualité différente. De cet homme tu as eu désir fou.