A présent, la ville m'apparaissait de loin tel un vaste brouillard, sale, jaune, une nape de gangrène dans le ciel d'hiver, cachant une chose énorme qui palpitait dessous.
La France gave sa tête et affame ses membres. Combien de temps vivra-t-elle encore, à ton avis? Chut, allons, ne nous attardons pas. Tu ne peux rien faire pour cette tête. Elle s'agite car elle croit que tu vas la nourrir. Les gens ne l'intéressent pas, seulement la chaire. Quittons ce taudis moite et exigu, élevons nous vers le ciel, aussi haut que possible. Je t'emmène à deux cent sept pieds du sol et, depuis le sommet nous regarderons en bas.
J'avais pensé qu'il avait grossi, mais ce n'était pas la graisse qui l'enveloppait, plutôt la tendresse.
- Même de fort bas étage, voilà aussi un Parisien, Marie.
J'avais deviné qu'il piquerait sa curiosité. Je repérais les physionomies qui lui plaisaient. La veuve lui répétait qu'il devait rechercher des têtes bien nées, d'un rang supérieur, mais mon maître savait reconnaître la noblesse, même dans le caniveau.
J'ai veillé de longues heures à son chevet. Comme il était muet je lui donnais mes mots, à la place de tout ce qu'il aurait pu me raconter.
Je réside dans Baker Street, ce qui semble pertinent puisqu'à défaut de pain, nous pétrissons des gens. (...)
On vient me toucher aussi. Certains m'appellent Mère l'Histoire ou Mère Le Temps (...) J'ai quelque chose d'un monument public. (p. 563)
– Je suis la servante. Et je plante les cheveux.
– Je viens vous proposer une place comme maître de sculpture auprès de Sa Majesté Madame Élisabeth de France, annonça-t-il. Avec un temps de mise à l’essai. Seriez-vous disposée à accepter ?
Les mots refusaient de monter jusqu’à ma bouche.
– Seriez-vous disposée ? insista ce monsieur.
C’est tout juste si j’arrivais à respirer. Alors j’ai hoché la tête.
Il existe un état intermédiaire entre la vie et la mort : cela s'appelle un théâtre de cire.
-Rien n'est plus honnête que la cire.C'est de notoriété publique, elle ne ment jamais.
Curtius disait vrai.La cire ne ment pas.. Contrairement aux portraits à l'huile dans leurs cadres doré,qui remplissaient le château de Versailles. La cire est la plus loyale des matières. (p.451)
Le soir, je dessinais les têtes des poissons que j'avais achetés le matin. Tout devait être dessiné, et ma réserve de papier s'amenuisait. J'enroulais mes feuilles et les cachais au fond d'un tiroir de la cuisine. La nuit, je me faufilais dans l'atelier pour esquisser les têtes parisiennes de Curtius. Depuis peu, la mienne, qui datait de Berne, avait été retirée de l'étagère et, enveloppée d'un tissu, rangée dans une armoire.