Le complexe d’Œdipe était à la base de mon comportement. Je recherchais à travers les hommes que je fréquentais l’inaccessibilité de mon père. Comme je l’idéalisais encore à cette époque, il m’était impossible d’établir le lien entre ce problème et les choix que je devais faire pour moi. Et comme mon paternel avait eu des tendances délinquantes pendant sa jeunesse, il m’est facile de faire le rapprochement entre lui et moi. Et ce pattern me guettera à chaque tournant de ma vie, car je tentais de combler le grand vide qui m’habitait… ce perpétuel sentiment de n’avoir pas obtenu assez d’attention dans mon enfance.
Chaque gang, mes amies, les ex en prison, tous étaient liés par l’obligation de se taire parce qu’on en sait trop sur eux… eux aussi… C’est la loi du silence dans cette jungle invisible de la petite criminalité, constituée presque uniquement de délinquants polycriminalisés, de danseuses et de prostitué(e) s. Alors, il me semblait presque normal de me dévêtir pour gagner de l’argent. J’étais débrouillarde et fonceuse ; je passais entre les mailles de tous les filets. Sur un stage ou ailleurs, l’important, c’est de me tenir debout pis de payer mes bills…
Je me sentais belle et désirée comme dans les contes de fées. Je reprenais les stéréotypes de ces histoires tant entendues de mon enfance, prête à tomber en admiration devant le prince charmant qui allait me faire monter sur son grand cheval blanc. Je croyais alors que mon héros était ce genre de leader qui mène les gangs, qui réussit à s’imposer envers et contre tous. Le sentiment de sécurité, l’amour et le pouvoir de posséder ont formé le cocktail d’admission. Mon rêve d’avoir une vie facile, où je n’aurais qu’à lever le petit doigt pour avoir tout ce que je voulais s’est transformé en cauchemar.
La valeur des objets a pris plus de place dans ma vie que la valeur des personnes. C’est un principe qui caractérise ma famille depuis longtemps, selon lequel posséder certains biens de consommation nous définit. La nouvelle robe, le gadget qui vient de sortir, les nouveaux meubles, les folies qui font grimper le compte de la carte de crédit. Remplir la maison et les armoires, c’est une manière de combler le vide, c’est l’absence de communication, c’est mettre un peu de couleur dans la routine ennuyante.
Oublions l’amour, car ici, il n’y a rien de romantique dans ce genre d’endroit. C’est un commerce. On avait mal et on ne comprenait pas tout à fait ce qui se passait en nous. On a pleuré ensemble en se serrant dans les bras. Je me sentais rabaissée, alors que je cherchais à tout prix à me prouver que j’avais une valeur. C’est un vertige terrible que ce frisson intérieur que tu ressens quand tu viens de vendre la seule chose que tu possèdes uniquement pour toi-même, ce bien précieux : ton intégrité.
Mélanie Carpentier (Université de Montréal), période de questions
Colloque "Amoureuses figures" organisé par la revue Post-Scriptum le jeudi 1er mai 2014, Département de littérature comparée, Université de Montréal.