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Citations sur Solénoïde (36)

J'aurais vécu sans savoir que je vivais, ma vie aurait été un instant d'agitation obscure, dans un trou abject, dans une tache aveugle, dans un oubli total. "Mais c'est bien ce que je suis, c'est bien ce que je suis", me suis-je retrouvé soudain à dire à voix haute. C'est ce que nous sommes tous, des acariens aveugles fourmillant sur notre grain de poussière dans l'infinité méconnue, irrationnelle, dans l'impasse horrible de ce monde.
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Je veux écrire non pas comme un écrivain, fût-il de génie,mais comme Efimov joue du violon, avec un orgueil démesuré et une imperfection sublime. Il avait trouvé la voie, qui ne se trouve pas dans la tradition mais est un don, car l’art est une foi, et s’il n’y a pas la foi, il n’y a rien. Je suis un dilettante, je le sais, je ne connais pas les trucs millénaires de mon art – alors que, pour sûr, l’autre les connaît, lui qui dans son univers rencontre le succès et l’argent et la gloire et les femmes – mais, dans mon obscurité, je me sens libre et je vois la vérité avec mille fois plus d’acuité. Je comprends mieux que personne pourquoi Efimov a laissé son violon se dégrader, pourquoi Virgile et Kafka ont voulu réduire leurs chefs-d’œuvre en cendres. Parce que le silence et la cendre sont des voies justes, alors que la musique et les livres lancés dans le monde sont des errements. La cendre est le sort final, de toute façon, de tout écrit, c’est pourquoi je ne souffrirai pas quand mon manuscrit rencontrera le feu. Il n’est pas un livre, et moins encore un roman : c’est un plan d’évasion. Et après l’évasion, son destin logique est de rejoindre la poussière. »
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Si je m'étais laissé aller contre la terre, au milieu des centaines de pousses et de plantes minuscules, chacune modelée autrement par le temps et les intempéries, si j'avais laissé mon corps inerte balayé par le soleil et les ombres, si j'avais laissé se pencher sur moi les grappes de baies rouges et noires d'un arbuste vénéneux, rien ne m'aurait plus différencié de l'univers de la forêt. Je serais mort à cet endroit, je serais bientôt devenu une charogne aux sucs intérieurs coagulés, aux yeux voilés et à la peau craquelée, fourmillement d'insectes, un sol fertile pour les champignons, une carcasse toujours plus décomposée, léchée par le vent et la solitude. Il aurait plu et neigé sur moi, et au printemps quelques ossements et quelques chiffons auraient été éparpillés sous les clochettes aux corolles violettes et sous les verges marron des jeunes arbres. J'aurais enfin appartenu à un autre monde, uni à lui, uni à son air vert et humide, à son tapis de feuillage transparent, à ses arômes sucrés et amers. Je serais mort et je serais né à nouveau, là, dans l'absence complète de toute conscience, connaissance et doute, simple motif de la tapisserie sans limite de la forêt.
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Puisque je ne suis pas écrivain, j’ai le privilège insondable d’écrire de l’intérieur de mon manuscrit, entouré par lui de toutes parts, sourd et aveugle à tout ce qui viendrait me distraire de mon labeur de forçat. Je n’ai pas de lecteur, je n’ai pas besoin d’apposer ma signature sur un livre. Ici, dans le ventre du manuscrit, errant dans ses intestins enroulés, écoutant ses étranges borborygmes, je sens ma liberté, je sens aussi sa compagne obligatoire : la folie.
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Je vais bâtir ici une histoire de ma vie. Sa partie visible, je le sais mieux que personne, est la moins spectaculaire, la plus terne des vies, la vie qui correspond à mon visage effacé, à mon insignifiance et à mon manque d'avenir.
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Le monde n’est-il pas déjà un lieu terrible ? N’avons-nous pas qu’un bref instant à vivre sur un grain de poussière dans l’éternité ? Ne devenons-nous pas déjà fous, dans le paquet mou, de gras, de tendons et d’os de notre corps ?
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Jamais la réalité n’a été plus encastrée dans la fiction, n’a davantage fait une avec elle, n’a été plus désespérément dépourvue d’espace de manœuvre et d’espérance.
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C'était une pièce de monnaie, dorée, dans un cadre en métal. Les deux côtés de la pièce de monnaie portaient des lettres : A, O, et R d’un côté, M et U de l’autre. Quelques jours ont passé et j’ai déchiffré le mystère par hasard quand je lui ai donné une pichenette et qu’elle s’est mise à tourner si vite sur les petits pivots du cadre en métal qu’elle s’est transformée en un globe d’or fin, semi-transparent, comme la boule d’aigrettes du pissenlit, avec ce mot fantomatique au milieu, Amour. C'est ainsi que je vois ma vie, ainsi que je pense avoir toujours été : le monde ordinaire, terne et tangible, sur l'avers de la pièce, et, sur le revers, le monde onirique de mon esprit, monde secret, intime, fantasmagorique. Seule la rotation, seuls le vertige, le syndrome vestibulaire, le doigt insouciant du dieu qui met la monnaie en mouvement et lui donne ainsi une dimension en plus, rendent visible, mais pour quels yeux, l’inscription gravée dans notre esprit, sur chacune de ses deux faces, sur le jour et la nuit, sur la lucidité et le rêve, sur la femme et l’homme, sur l’animal et le dieu, et que nous ignorons éternellement parce que nous ne pouvons pas voir les deux faces en même temps.
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J’écris ici, soir après soir, dans ma maison au centre de la ville, de l’univers, de mon monde, un anti-livre, œuvre pour toujours obscure d’un anti-écrivain. Je ne suis personne et je le resterai toujours, je suis seul et, à cela, il n’existe aucun remède, mais je ne mens à personne en peignant des portes qui ne s’ouvriront jamais sur les murs de ce monde piranésien. Je pourrais prendre mon récit et l’apporter à la rédaction d’un journal. Il pourrait paraître dans un supplément littéraire du dimanche. Je pourrais encore écrire quelque chose dans ce genre, et je publierais un petit recueil d’une centaine de pages. Même Kafka, même Rotluft et même Fyoritos l’ont fait
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Avec les ans, une croûte de porcelaine isolante a recouvert la moindre parcelle de peau de notre corps et, chez nous, on n'a plus entendu que le tintement des céramiques heurtées à chaque fois que nous nous retrouvions dans la même pièce. (p. 168)
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