AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations sur Poèmes (édition bilingue français / allemand) (20)

D'emblée le monde de la poésie germanophone prend connaissance de l'avènement d'un poète de premier plan, d'emblée aussi, la "Todesfuge", qui occupe à elle seule la deuxième des quatre sections du volume, concentre-t-elle l'attention des lecteurs, même si, comme Wolfgang Emmerich le note avec raison, son succès repose sur une équivoque : là où Celan visait à une représentation critique du génocide dont la régularité rythmique de son poème reflétait la cruauté "mécanique", les lecteurs allemands ne voulurent entendre que la musique "transfiguratrice" d'une "passion" qui leur permettait d'oublier la responsabilité politique du régime hitlérien.
Présentation - Paul Celan, de John E. Jackson
Commenter  J’apprécie          110
On peut penser toutefois que, paradoxalement, c'est la question linguistique qui joua le rôle décisif. Paul écrivait ses poèmes en allemand, certes. Mais cet allemand, qui avait été aussi l'allemand des bourreaux, avait à être ou du moins à devenir en même temps un allemand tourné contre l'allemand, une contre-langue, et l'on peut très bien imaginer que pour inventer cette contre-langue, il eut besoin de la distance que lui donnerait l'environnement francophone.
Présentation, Paul Celan 1920 - 1970 de John E.Jackson
Commenter  J’apprécie          70
...je tiens à vous dire combien il est difficile pour un juif d'écrire des poèmes en langue allemande. Quand mes poèmes paraîtront, ils aboutiront bien aussi en Allemagne et - permettez-moi d'évoquer cette chose terrible -, la main qui ouvrira mon livre aura peut être serré la main de celui qui fut l'assassin de ma mère... Et pire encore pourrait arriver... Pourtant mon destin est celui-ci : d'avoir à écrire des poèmes en allemand.
Paul Celan, lettre à Max Rychner, 1946
Commenter  J’apprécie          40
Le métier (Handwerk) - c'est affaire de mains (Hände). Et ces mains, à leur tour, n'appartiennent qu'à un homme - c'est-à-dire à un être unique et mortel, qui cherche un chemin avec sa voix et ses silences.
Il n'y a que de vraies mains qui écrivent de vrais poèmes. Je ne vois aucune différence de principe entre un poème et une poignée de main.
Paul Celan, Lettre à Hans Bender, du 18 mai 1960.
Commenter  J’apprécie          40
Deiner Mutter Seele schwebt voraus.
Deiner Mutter Seele hilft die Nacht umschiffen, Riff um Riff.
Deiner Mutter Seele peitscht die Haie vor dir her.

L’âme de ta mère flotte devant toi.
L’âme de ta mère t’aide à contourner la nuit, récif après récif.
L’âme de ta mère fouette les requins devant toi.
Commenter  J’apprécie          31
Dés 1952, l'Allemagne s'ouvre à lui, ou du moins de cette année commence le chapitre difficile de ses relations avec l'Allemagne. (...) un voyage le conduit en mai 1952, à Niendorf près de Hambourg où il prend part à une réunion du "Groupe 47", un groupe de jeunes écrivains allemands que réunit une même soif d'un nouveau commencement et où il lira des poèmes. La rencontre proprement dite se déroule mal. Non seulement le passé historique dont il est issu le sépare complètement des autres participants, mais sa manière de lire, douce et musicale, va tout à fait à contre-courant de leurs habitudes. L'un d'eux, comme il le confiera plus tard à Hermann Lenz, aura même l'impudence de lui dire que sa diction rappelle celle de Goebbels.
Présentation - Paul Celan, de John E. Jackson
Commenter  J’apprécie          30
RETOUR

Neige qui tombe, dense de plus en plus dense,
couleur de colombe, comme hier,
neige qui tombe comme si tu dormais encore même maintenant.
Blanc étalé très loin.
Et plus loin encore, infinie,
la trace de traîneau de ce qui est perdu.
En dessous, caché,
monte, s’ouvre et recouvre,
ce qui fait si mal aux yeux,
tertre après tertre,
invisible.
Sur chacun d’eux,
ramené au pays de son aujourd’hui,
un Moi qui a glissé dans le mutisme :
de bois, un pieu.
Là-bas : un sentiment,
amené jusqu’ ici par la bise glaciale,
qui noue solidement, couleur de colombe,
de neige, son étendard de cretonne.


HEIMKEHR
Schneefall, dichter und dichter,
taubenfarben, wie gestern,
Schneefall, als schliefst du auch jetzt noch.
Weithin gelagertes Weiß.
Darüberhin, endlos,
die Schlittenspur des Verlornen.
Darunter, geborgen,
stülpt sich empor,
was den Augen so weh tut,
Hügel um Hügel,
unsichtbar.
Auf jedem,
heimgeholt in sein Heute,
ein ins Stumme entglittenes Ich :
hölzern, ein Pflock.
Dort : ein Gefühl,
vom Eiswind herübergeweht,
das sein tauben-, sein schnee-
farbenes Fahnentuch festmacht

"Il a trente-cinq ans. Il ne revient pas au pays. Il est définitivement loin du pays. Il revient dans l’absence, la perte, dans un pays qui s’appelle disparition.

" Il s’est marié en France. Il a eu deux enfants : l’un, le premier, est mort à la naissance. Il s’appelait François, du nom du pays de l’exil, dont il vient d’obtenir la nationalité. Depuis le premier poème intitulé Retour, il y a eu la guerre, l’assassinat de ses parents dans des camps, Auschwitz. Auschwitz d’où l’on ne revient pas. Une longue saison qui n’en finit pas a commencé, un hiver de mort interminable. Dans le retour mental sur le passé s’est déployée une blancheur de deuil de plus en plus blanche, opaque et vide à la fois, et le mot qui dit cela deux fois, l’appelle aussi lui-même comme par dessous, en suggérant deux majuscules, lui, le poète qu’il est officiellement devenu, l’interpelle, le somme : Dichter und Dichter. « Poète, entend ce silence de neige de plus en plus lourd, pour le faire entendre à ton lecteur d’aujourd’hui. Ton nom même se confond avec l’adjectif répété qui dit la densité croissante de la neige qui tombe. ' Jean-Pierre Lefebvre
Commenter  J’apprécie          20
Accessible, proche et sauvegardée, au milieu de tant de pertes, ne demeura que ceci : la langue.
Elle, la langue, fut sauvegardée, oui, malgré tout. Mais elle dut alors traverser son propre manque de réponses, dut traverser un mutisme effroyable, traverser les mille ténèbres des discours porteurs de mort. Elle traversa et ne trouva pas de mots pour ce qui se passait, mais elle traversa ce passage et put enfin ressurgir au jour, enrichie de tout cela.
Durant ces années et les années qui suivirent, j'ai tenté d'écrire des poèmes dans cette langue : pour parler, pour m'orienter, pour m'enquérir du lieu où je me trouvais et du lieu vers lequel j'étais entraîné, pour m'esquisser une réalité.
(...)
Il en va pour cette langue, au-delà de l'indépassable diversité de l'expression, avant tout de précision. Cette langue ne transfigure pas, ne "poétise" pas, elle nomme et pose, elle cherche à mesurer le domaine de ce qui est donné et de ce qui est possible. Sans doute, la langue elle-même, la langue en tant que telle n'est -elle jamais à l’œuvre ici, ce qui est à l’œuvre est un Je qui parle à partir de l'angle d'inclinaison spécifique de son existence, et pour lequel il en va de contours et d'orientation. La réalité n'est pas, la réalité veut être cherchée et conquise.
Paul Celan dans Présentation - Paul Celan, de John E. Jackson
Commenter  J’apprécie          20
Devenir semblables à ses "haches", - les haches que sont les paroles que le poète, veillant dans la nuit comme dans les années, peut tourner contre ses bourreaux, contre ceux qui ont, eux, abattu les troncs, les cadavres dans l'ombre desquels il a à vivre - définit comme on voit une position douloureuse mais nécessaire, d'autant plus difficile à tenir qu'elle a à s'établir entre le "faste", l'abondance et l'éclat de "ce qui est tu" et la pauvreté des mots. Celan n'emploie et n'emploiera jamais des mots comme la shoah ou l'holocauste. Sans doute pensait-il que l'écart entre (la faiblesse de) ces mots et l'horreur du génocide était trop important. La shoah, chez lui, c'est "was geschah", "ce qui s'est passé". Ici, aussi simplement, "das Verschwiegene", ce qui est tu, ce qui est passé sous silence. Le poème doit dire, mais il ne peut dire. S'il ne parle pas, il laisse les victimes à l'oubli et, par là, fait comme si les forces de mort n'étaient plus à l’œuvre. S'il parle, il trahit ou risque de trahir. "Quelque parole que tu prononces, tu la dois à la perdition" dit un autre poème. On comprend que, dans ces conditions, la poétique du recueil devienne une poétique du paradoxe ou, tout au moins, de la simultanéité des contraires, comme l'exprime, de la manière la plus directe, le vers du poème en forme d'art poétique "Sprich auch du" :
"Parle -
Mais ne sépare pas le Oui et le Non."
Présentation - Paul Celan, de John E. Jackson
Commenter  J’apprécie          20
Le poète n'est le porte-parole de personne, il n'est pas le défenseur d'une cause. Il est libre, seul, et ce n'est qu'à partir de cette solitude qu'il peut être.
"la main qui ouvrira mon livre..."
Commenter  J’apprécie          20






    Lecteurs (29) Voir plus



    Quiz Voir plus

    Testez vos connaissances en poésie ! (niveau difficile)

    Dans quelle ville Verlaine tira-t-il sur Rimbaud, le blessant légèrement au poignet ?

    Paris
    Marseille
    Bruxelles
    Londres

    10 questions
    1228 lecteurs ont répondu
    Thèmes : poésie , poèmes , poètesCréer un quiz sur ce livre

    {* *}