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Édité en Livre de Poche, « Bourlinguer » -qui fut écrit par Blaise Cendrars en 1946-1947- constitue le troisième des 4 volumes de Mémoires de l'auteur ; Blaise Cendrars dira que ce « sont des Mémoires sans être des Mémoires ». A la base, « Bourlinguer » est une oeuvre de commande, chaque récit (11 récits de dimension très variable, portant le nom d'un port, réel ou fictif, le port de « Gênes », où Cendrars nous livre des confidences sur son enfance à Naples, représentant à lui seul un tiers de l'ouvrage) devait être accompagné d'une gravure de Valdo Barbey, peintre et décorateur français d'origine suisse, comme Cendrars. le développement considérable de certains récits a toutefois transformé le projet initial et produit une oeuvre singulière, non par sa taille (440 pages) mais par le souffle qui la porte, par le côté singulier du style de son auteur, par l'originalité du propos, par l'érudition qui sous-tend l'ouvrage et par la leçon d'humanité qui nous est donnée.

De son vrai nom Frédéric Louis Sauser, Blaise Cendrars s'est inventé son pseudonyme car il était convaincu que « l'acte de création artistique a lieu lorsque le poète est tel une braise, qui se consume au cours de la création, puis s'éteint pour se transformer en cendres »: de là, Blaise comme braise, et Cendrars comme cendre. Et, à n'en pas douter, « Bourlinguer » est l'oeuvre d'un poète et la preuve incontestable de cet acte de création artistique, de cette braise qui animait l'auteur. Placé sous le signe du voyage (Blaise Cendrars nous conduit de port en port à travers le monde entier), de l'aventure, de la découverte et de l'exaltation du monde où l'imaginaire se mêle au réel de façon inextricable, « Bourlinguer » constitue un mélange complexe de poésie, de reportage et de souvenirs personnels.

Le souffle qui porte l'ouvrage est puissant : « je veux vivre et j'ai soif, toujours soif ». le style de l'auteur est singulier, Blaise Cendrars produisant assez facilement des phrases qui font près d'une page (cf. ma citation). l'originalité du propos est évidente : un port, c'est un peu comme « un navire qui peut vous mener partout » et il y a « des phares qui scintillent comme une lampe dans un cercle de famille » ; c'est en quelque sorte « une bouteille sans millésime ». La poésie est à fleur de pages, en permanence. L'érudition qui sous-tend l'ouvrage ne manquera pas d'impressionner : il y a des anecdotes historiques originales et parfois saugrenues, mais parfois aussi de superbes pépites. Dans certains cas, on ne sait plus si elles relèvent de la fiction ou de la réalité (exemple des homoncules de Kueffstein, page 154). Blaise Cendrars nous donne également une leçon d'humanité : la vie et le monde vont de l'avant, alors « il ne faut jamais revenir au jardin de son enfance qui est un paradis perdu, le paradis des amours enfantines » même si y revenir c'est tenter de « retrouver son innocence » (page 115). Or, cette innocence, Blaise Cendrars l'a perdue très tôt : il fut tout d'abord confronté à l'itinérance de sa propre famille, son père, homme d'affaires un peu niais et instable, déménageant sans cesse avec femme et enfants au gré de ses voyages ; puis, engagé volontaire, Blaise Cendrars a subi l'épreuve du feu jusqu'à ce qu'une rafale de mitrailleuse lui arrache le bras droit et le conduise, après amputation (en 1915), à vivre une vie pour le moins différente. Fuyant sans cesse de par le monde, l'auteur s'est rempli d'impressions, telle une éponge. Confronté à la montée du progrès, essentiellement technique, social à la marge, l'auteur a de curieuses réactions, que ce soit devant l'ineptie des « photos de la nature vendues à des millions d'exemplaires en cartes postales » ou devant le Photomaton qu'il qualifie de « délégué de Satan ».

En lisant « Bourlinguer », le lecteur découvre un homme passionné et meurtri. Des questions fondamentales hantent en effet l'auteur : au final, que doit être l'homme et que doit être le monde ? Un contemplatif luttant comme un boxeur rencontrant un adversaire furieux, voilà ce qu'est Blaise Cendrars et le lecteur pourra compter ses cicatrices : « on ne les voit pas toutes et il n'y a pas de quoi en être fier ». L'auteur ne souhaitait ni poétiser ses sensations, ni poétiser l'exotisme qui transpire tout au long de l'ouvrage : il voulait « dans la cacophonie générale, restituer le silence humain ». Meurtri ou désespéré ? Ne vous y trompez pas : « il faut aimer les hommes fraternellement » (page 212) et vivre avec exubérance car « la folie est le propre de l'homme » (page 207). Pour cette oeuvre singulière et forte, je mets quatre étoiles.

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« Bourlinguer » est un recueil de onze récits portant chacun le nom d'un port : Venise, Naples, La Corogne, Bordeaux, Brest, Toulon, Anvers, Gênes, Rotterdam, Hambourg et « Paris Port-de-mer ». le premier et le dernier récit ont en commun la fascination pour une bibliothèque et les livres anciens. Dans « Venise », qui ouvre le livre, Cendrars raconte la vie de l'aventurier Niccolao Manucci, embarqué clandestinement dès son plus jeune âge sur un bateau et qui livra ses mémoires après cinquante années de bourlingue à travers l'orient. Les destins de Manucci et de Cendrars sont similaires. Ils partagent la même passion du voyage, la même frénésie qui pousse à partir à l'aventure. Il est essentiel de vivre. Et pour écrire, il est indispensable d'avoir vécu. Cette existence passée à bourlinguer sur tous les continents est la matière première du récit autobiographique. le vécu s'enrichit d'éléments oniriques et livresques pour se transfigurer en une fiction ensorcelante. La description amorce une explosion de l'imaginaire. le récit est parfois difficile à suivre tant les disgressions s'accumulent : les réminiscences, les anecdotes et les considérations philosophiques s'entremêlent au fil de l'histoire. Certains passages sont de vrais poèmes en prose d'une très grande beauté. Cendrars sait décrire avec un immense talent un quartier populaire de Naples (à travers ses yeux d'enfant), le bombardement de Hambourg pendant la seconde guerre mondiale (à travers le témoignage d'un fugitif), une émeute à Rotterdam, les étagères d'un bibliophile parisien ou la défense aérienne de l'Angleterre. Son écriture est vivante, animée, pleine d'ardeur, et s'approche du langage parlé. Cendrars a toute sa place dans le panthéon de la littérature française, aux côtés de Céline, leurs styles partageant de nombreux point communs ; même si, à sa différence, il est porté par un profond amour de l'homme, du peuple, quel que soit le pays ou l'origine, avec qui il partage volontiers ses histoires et des verres d'eau de vie.
A noter que «Gênes », le récit le plus long qui pourrait être un roman à part entière, tient une place particulière dans le recueil. Cendrars revient à Naples où il a passé de nombreuses années de son enfance. Il souhaite se ressourcer dans un jardin fermé, le clos de Vomero qui abriterait le tombeau de Virgile. Ce moment de recueillement, puis la traversée qui suivra sur un bateau cherchant à importer frauduleusement du vin en Italie, permettent à l'auteur d'évoquer ses souvenirs d'enfance, d'effectuer une longue introspection et de s'interroger sur sa vie, son identité et l'écriture.
"Bourlinguer" est un brassage de témoignages, de poésie, de récits de voyages qui frappe par son authenticité et sa beauté. C'est un chef d'oeuvre que je vous le conseille vivement.
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Comme beaucoup d'autres, ce livre m'a suivi pendant longtemps sur ma table de chevet ou lors de pérégrinations dans divers endroits du monde. Puis, un jour, on se dit qu'il faut passer à autre chose. En ce qui concerne Cendrars, ce fut le cas pour ses poésies, notamment la prose du Transsibérien et les Pâques à New York, et puis dans la foulée, de "Bourlinguer". Sans quoi, je n'arrive pas à laisser la place à d'autres découvertes littéraires ! Donc souvenirs pêle-mêle de son enfance à Naples, ses escapades près du Vésuve, sa recherche de l'aiguille d'Ispahan, Anvers ou Rotterdam où il se retrouve un soir assis sur ses malles de livres dont il ne sait que faire mais qu'il veut absolument garder et transporter partout avec lui. Souvenir du bordel où il retrouve ses habituées, son arrivée à Gênes par bateau... Tout est peut-être dans le désordre, mais ce que je retiens, c'est la truculence de ses récits, l'improbabilité de ses aventures, l'incongruité des lieux où il échoue, ses rencontres... tout le "monde" de Cendrars se retrouve dans ce recueil de récits qu'il faut savoir prendre, bien souvent, au second degré, comme des exotismes, mais également comme des voyages intérieurs, qui nous révèlent à nous-même.
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Quelle vie que celle de Blaise Cendrars!
Quelle verve! quelle langue!
Quel soucis de faire vivre les mots!
Je lui dois, je pense, ma première rencontre avec le verbe issir hors son fort commun participe passé.

Je ne connaissais de l'auteur que "L'or", que j'avais beaucoup apprécié.
"Bourlinguer" m'a enthousiasmé et je projette de rapidement dévorer ses autres récits autobiographiques.

Le texte n'est pas linéaire, les lieux, les époques et le anecdotes s'enchaînent et s'entrecroisent de façon désordonnée comme dans un kaléidoscope, dessinant progressivement les soubresauts du XXème siècle et de l'âme de l'auteur.
Épique et esthétique.
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Trahi enfant par son ami Pascuali qui a révélé sa cachette alors qu'il s'apprêtait à partir clandestinement à New York sur un bateau, Frédéric Sauser alias Blaise Cendrars - la braise et la cendre, le Phénix - n'en finit pas de partir, toute sa vie durant.
"Quand on aime, il faut partir". Dans Bourlinguer, Cendrars évoque, à partir de ses chapitres portant le nom de villes portuaires - Rotterdam, Anvers, Naples, Hambourg - ses nombreux voyages de par le monde. Ici la destination, finalement, compte peu, mais c'est le voyage lui-même qui crée l'aventure et par son récit, qui provoque les réminiscences, les relations paternelles douloureuses, les amours, l'amitié, ainsi que tout ce monde des bas-fonds, cette vie portuaire populaire, interlope. Parce que Cendrars s'intéresse surtout à cet univers, celui du passage, du changement, du vagabondage, des voyous et des prostituées, des artistes et des voyageurs.

La partie centrale de Bourlinguer s'appelle Gênes; il s'agit d'un long chapitre, le plus long de tous, dans lequel Cendrars raconte son retour temporaire sur les anciennes terres de son père, épuisé, pourchassé pour avoir participé à la contrebande de perles à Téhéran. Là, il s'isole, tel Kim dans le roman éponyme de Kipling qu'il prend pour modèle - Bourlinguer est truffé de références littéraires sous forme d'incipits et de dédicaces qui permettent à Cendrars de s'inscrire dans une certaine lignée littéraire -. Cet isolement fait ressurgir des événements traumatiques de son enfance ainsi qu'un fort sentiment de culpabilité. Cendrars a alors 20 ans. Gênes est ainsi sa propre descente aux enfers, son lieu de mort et de renaissance, un thème cher à Cendrars.
D'autres chapitres sont plus légers, volontiers bagarreurs, frondeurs, mais également très érudits et permettent souvent à Cendrars de replonger momentanément dans ces émotions, instants pénibles - pour l'auteur - que l'écriture retranscrit par des phrases soudain très courtes et elliptiques qui finalement closent le chapitre pour permettre l'ouverture d'un autre repartant sur de nouvelles bases.

Ce livre, parfois difficile à suivre, est en même temps fascinant par sa richesse.
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L'autofiction comme biographique et la voix de l'auteur ….
Plus besoin de se mentir, l'autofiction est biographique, quand ce qu'on a pu dire, heureusement n'est plus sous peine de censure. L'exploration de l'existence dans laquelle la voix de l'auteur se fait entendre, quand on considère les récits de soi, ne relève pas directement de l'écriture de soi.
Cette voix de l'auteur va jusqu'au risque de sa disparition chez Blaise Cendrars dans « Bourlinguer » : « … et ma main coupée mit fin à mes velléités et à mon ambition et me fit brutalement sortir de cette ornière d'esthète où j'allais probablement m'enliser à la suite des poètes et des peintres des Soirées de Paris, en 1914. C'est la guerre qui m'a sauvé en me tirant de là et en me jetant anonyme parmi le peuple en armes, un matricule parmi des millions d'autres. »
Cette autofiction d'auteur devient une voix d'auteur quand on découvre sa trajectoire biographique comme engagé volontaire dans la légion étrangère : gravement blessé en 1915, et qui reprendra l'écriture en 1917, même à l'époque d'une désacralisation de l'écriture comme révolution culturelle.
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Ce livre est comme une bouteille de Rhum, une fois dégusté, vous êtes secoué. On y découvre que l'ami Blaise fait partie de ses hommes qui ont eu neuf vies, qui ont une soif insatiable de découvertes, tant d'hommes que de lieux, et pour qui l'ivresse est une deuxième respiration. Ce qui sidère aussi, c'est la somme de connaissance que l'auteur possède, tout comme cette aptitude à définir, sans juger, celui qui croise son regard. Indéniablement, Blaise Cendrars est au panthéon des écrivains-voyageurs.
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Blaise Cendrars narre avec humour et dérision son passé de voyageur. Composé à la fin des années 40, ce témoignage révèle une société qui disparaît après deux guerres mondiales dont les atrocités sont encore très présentes. Nous rencontrons des communautés de solidarité qui s'effacent devant une modernité globale du monde.
Ce roman est un hymne au passé. On y lit une crainte dans les perspectives d'avenir. le nouveau monde va beaucoup trop vite ; il abandonne les plus faibles et entraîne un affaiblissement de la cohésion sociale au profit d'un individualisme vindicatif.

L'écriture de Blaise Cendrars est fluide. On y entend une musique entraînante et langoureuse. Une musique du Sud de l'Italie.
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étrangement, je n'ai pas réussi à lire ce grand succès. J'ai survolé, pour qu'il ne soit pas dit que je n'allais pas jusqu'au bout. J'ai trouvé presque tout ennuyeux, vantard, étalage...... peut-être faut-il un esprit masculin pour s'y retrouver ?
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Cendrars Blaise ; Bourlinguer.
Titre étonnant, puisqu' il évoque des voyages et que le volume parle de ports, ces moments immobiles, ces pauses où le voyageur est censé trouver le repos.
Or, avec Rotterdam, le 9e port sur les 11 présentés, sous titré « la grande rixe », on sent bien que ce retour du voyageur sera chahuté.
Sans déflorer l'histoire, disons qu'elle est consacrée à Peter van der Keer, écrivain du bord sur le Volturno. Il veut revoir sa soeur, la serrer dans ses bras. Depuis le temps qu'il est parti ! Elle en a fait des enfants, et ce n'est pas fini. Quant à l'accueil des voyageurs, chargés de cadeaux et de bons sentiments, il ne sera pas à la hauteur de leurs attentes.
Derrière le personnage de Peter, se profile la silhouette de Cendrars, son compagnon : même fuite du foyer à l'adolescence, même goût pour l'écriture, même vie aventureuse. Ce récit est aussi dédié à Henry Miller, écrivain et amateur des bas-fonds et de milieux interlopes; le tout placé sous le signe de Baudelaire et du poème « Le Voyage ».
Cendrars se dérobe aux regards, attirant l'attention sur son compagnon Peter, mais ce récit/métaphore pourrait bien lui réserver un sort similaire.
En fin de lecture on s'attendrait aux premiers vers du « Voyage »
« Amer savoir, celui qu'on tire du voyage !
Le monde, monotone et petit, aujourd'hui,
Hier, demain, toujours, nous fait voir notre image :
Une oasis d'horreur dans un désert d'ennui !»
Plutôt qu'aux dernières strophes :
« Ô Mort, vieux capitaine, il est temps ! levons l'ancre !
Ce pays nous ennuie, ô Mort ! Appareillons ! etc.»
Dans ce premier épisode, le retour de Peter et de Cendrars dans le foyer de sa soeur, l'auteur parle de lui, discrètement, à mots couverts, amenant son lecteur à faire la moitié du chemin, tandis que dans le second, la nuit dans un cabaret interlope, on retrouve un Cendrars exubérant, entraînant son lecteur vers le pittoresque inattendu, et un peu facile, des bas-fonds.
Toutefois, ces deux épisodes, liés entre eux, reposent sur le même refus : pas plus que les familles, les milieux des « terriens », même celui des rades à matelots, ne veulent des navigants.
Constat réaliste, empreint de tristesse, condamnant les marins à remonter sur les bateaux.
Les ports ne seront plus que des escales, pour des départs renouvelés. Les rencontres seront éphémères, d'autres les suivront, tout aussi denses. Inutile de s'attarder.
L'appel du large invite Cendrars à l'expérience et à l'écriture. Quant au lecteur, il choisira entre l'acteur et le bonimenteur, ce dernier cachant derrière des apparences extérieures son univers personnel.
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