Il détestait la guerre. Et pourtant il s'est engagé pour la faire. Blaise Cendrars aurait-il été pétri de contradiction ? Non, clame-t-il lorsque la question lui est posée par un contradicteur venu enquêter sur ses agissements. Et d'argumenter que plus que la guerre, ce sont "les Boches" qu'il déteste. Natif d'un pays neutre, il est venu les freiner dans leur entreprise meurtrière. C'est pour cela qu'il s'était engagé et avait même incité d'autres étrangers à venir au secours de la France envahie.
Dans son grand pied de nez à l'intelligence humaine, la "grande saloperie" qu'est la guerre, comme la qualifie Blaise Cendrars, nous a privé de Charles Péguy dès les premiers jours du premier conflit mondial, de Guillaume Apollinaire, quelques heures avant que ne sonne l'armistice. Mais évoquer ceux-là, que la célébrité aura auréolés, plutôt que tant d'autres restés anonymes est une injustice. Blaise Cendrars qui a partagé le quotidien des humbles s'attache à raviver leur souvenir. Il le fait sans apitoiement, avec sa gouaille de baroudeur qui ne laisse personne à sa place dire ce qu'il a sur le coeur. Son interlocuteur fût-il général; au risque de passer pour une tête brûlée.
Blaise Cendrars a servi la France dans les rangs de la Légion étrangère. Son récit n'aura pas le même ton que ceux de Roland Dorgelès dans Les croix de bois, d'Henri Barbusse dans le feu. Il sera moins pathétique, plus bravache, plus anecdotique. Mais point n'est besoin de trame pour relater les hauts faits d'une folie collective. le légionnaire fait les quatre cents coups, nargue le boche comme le gradé. le légionnaire va chercher sa croix de guerre. le légionnaire évoque ceux qui ont partagé avec lui les dangers les plus terribles et n'en sont pas revenus, le corps dispersé dans le cloaque. le légionnaire passe ses permes à Paname dans les bras de ces dames qui glorifieront le poilu en lui prêtant, le temps d'une embrassade, cette richesse qui fait obsession. de celle qui leur manque dans les ténèbres de la déraison. Mais le légionnaire, comme les autres, tombe sous les balles des boches. Et puis après tout …
"Qui sait si l'inconnu qui dort sous l'arche immense
Mêlant sa gloire épique aux orgueils du passé
N'est pas cet inconnu devenu fils de France
Non par le sang reçu mais par le sang versé" (*)
Dans la "grande saloperie" qu'est cette guerre, l'homme n'est plus homme. Il est devenu une unité de compte que les états-majors additionnent dans les tranchées, soustraient dans les assauts, multiplient dans les cimetières, divisent à grands coups de scie dans les hôpitaux de campagne. Mille de perdus dans une offensive hasardeuse, mille qu'il faudra remplacer pour reprendre la crête aux boches. Ne pleurez mesdames, vos maris, vos fils retirés à votre affection. Heureux les héros de la Nation, ils pèseront leur poids dans la grande comptabilité du souvenir français.
"Mais le cri le plus affreux que l'on puisse entendre et qui n'a pas besoin d'une machine pour vous percer le coeur, c'est l'appel tout nu d'un petit enfant au berceau : "Maman ! Maman !..." que poussent les hommes blessés à mort qui tombent et que l'on abandonne entre les lignes après une attaque qui a échoué et que l'on reflue en désordre : "Maman ! Maman !..."
(*) Quatrain tiré du poème "Le volontaire étranger" Pascal Bonetti - 1920.
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La main coupée est la chronique des jours vécus par Blaise Cendrars, en tant qu'engagé volontaire étranger du front de la Somme, écrite durant le second conflit mondial.
Dans la meilleur veine des écrits autobiographiques de l'auteur, cette relation de guerre entretien la mémoire des camarades de tranchée, venus de tous les horizons du monde à l'appel de la France menacée. Anarchiste et libertaire, il y dénonce, en outre, l'incurie, l'incompétence et la lâcheté de l'état-major, des officiers, et des scribouillards de l'administration militaires planqués à l'arrière.
Ce texte parsemé d'anecdotes terribles, coquasses ou tendres, transcrit dans une prose colorée et gouailleuse, relevée d'argot savoureux et d'humour, est un témoignage direct et émouvant en l'honneur de cette humble humanité oubliée, qui versa son sang (certes pas impur mais étranger!) avec prodigalité, pour l'y mêler aux sillons des tranchées de la glèbe française.
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Une plongée dans les tranchées et la France de la première guerre. de la gouaille, des personnages plus vrais que nature, un narrateur attachant, une écriture qui a très peu vieilli... que demande le peuple?
Cendras, quel écrivain!
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Moi, j'en ai le souffle coupé !
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