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Critique de Unchatpassantparmileslivres


Les Editions Denoël rééditent un des trésors de leur fonds, les oeuvres complètes de Blaise Cendrars, réunies dans les années 1960, puis sorties à nouveau sous forme d'édition critique au début des années 2000. Cette fois, les quinze volumes de l'édition ont été mis à jour, révisés et actualisés.
Les Poésies complètes en sont le premier tome. Ce volume présente les poèmes dans l'ordre chronologique de leur composition, accompagnés des illustrations des éditions originales.

Blaise Cendrars, pseudonyme de Frédéric Sauser, est une figure fascinante du XXème siècle. Ecrivain, essayiste, poète et grand bourlingueur, né en Suisse et mort à Paris, ayant voyagé, dès le début du siècle dernier, en Russie, en Chine, aux Etats-Unis et au Brésil, il mêle dans ses oeuvres expériences vécues et imaginaires. « Il faut vivre la poésie avant de l'écrire ». Mais nul ne saura jamais s'il a réellement emprunté le Transsibérien, pour écrire un ses poèmes les plus célèbres !

Toutes ses oeuvres poétiques ont été écrites entre 1912 et 1924, donc entre ses 25 et 37 ans.
Il s'agit, hors quelques poèmes épars, de :

Les Pâques, écrit un Vendredi Saint à New York, après une nuit d'errance, poème exalté à la facture encore classique ;

Prose du Transsibérien et de la petite Jeanne de France, long poème épique au rythme tressautant, haletant et répétitif comme celui du train,
« Je suis en route
J'ai toujours été en route
Je suis en route avec la petite Jehanne de France
Le train fait un saut périlleux et retombe sur toutes ses roues
Le train retombe sur ses roues
Le train retombe toujours sur toutes ses roues »
Le halètement du train et le bruit rythmé des boggies est parfois troué par un long sifflement clair,
« Et cette nuit est pareille à cent mille autres quand un train file dans la nuit » ;

Le Panama ou les aventures de mes sept oncles, un « inventaire cumulatif du globe » (Cendrars raffole des listes) ;

Dix-neuf poèmes élastiques, écrits juste avant la guerre de 14, sauf le dernier, écrit en 1919, poèmes « de circonstances » liés à la peinture moderne (il y pratique d'ailleurs le « collage ») et à la modernité ;

La guerre au Luxembourg, qui mêle de façon émouvante visions fugitives de la vraie guerre et réalité présente des enfants qui jouent à la guerre au jardin du Luxembourg, alors que le poète, en convalescence, se remet de sa blessure reçue en Champagne et de sa main amputée,
« Les infirmières ont 6 ans
Leur coeur est plein d'émotion
On enlève les yeux aux poupées pour réparer les aveugles
J'y vois ! j'y vois !
Ceux qui faisaient les Boches sont maintenant brancardiers
Et ceux qui faisaient les morts ressuscitent pour assister à la merveilleuse opération » ;

Sonnets dénaturés, dénaturés au point qu'ils sont méconnaissables, ils rappellent les recherches typographiques d'Apollinaire dans ses Calligrammes.

Poèmes nègres, qui montrent l'intérêt de Cendrars pour l'Afrique (il publiera plus tard Anthologie nègre, puis Petits contes nègres pour les enfants des blancs), où il utilise encore la technique du collage ;

Au coeur du Monde, poème très mystérieux, puisque Cendrars avait annoncé à son éditeur un poème de 400 pages, parmi lesquelles s'inscrivaient 175 poèmes titrés ; or, on n'en a retrouvé qu'une dizaine de pages, dont 3 poèmes titrés ; un projet fantôme de l'auteur ?

Kodak (documentaire), des poèmes photographiques, qui nous font voyager aux Etats-Unis, au Canada, au Japon, puis le long du Nil et au Congo belge,
« Roof-garden
Le va-et-vient
Les fanaux des navires géants
La géante statue de la Liberté
Et l'énorme panorama de la ville coupée de ténèbres perpendiculaires et de lumières crues »

« Maison japonaise
Tiges de bambou
Légères planches
Papier tendu sur des châssis
Il n'existe aucun moyen de chauffage sérieux »

Feuilles de route (de plus en plus proche de la prose, c'est sa dernière oeuvre poétique) qui, comme son nom l'indique, se présente comme une série de notes prises au cours de son voyage au Brésil ; d'abord sur le bateau qui l'y emmène depuis Le Havre, le Formose, ensuite à Sao Paulo (seulement quelques poèmes), puis à bord du Gelria, pendant le voyage de retour, pour finir par quelques poèmes hétérogènes. La première partie, le Formose, est la plus importante et la plus variée ; elle retrace son voyage chronologiquement, avec d'amusantes remarques sur la vie à bord, les façons de passer le temps des diverses nationalités, les escales le long de la côte européenne, puis africaine, la faune marine et la météorologie en pleine mer, l'arrivée à Rio, puis à Santos et le train jusqu'à Sao Paulo.
« Trouées
Echappées sur la mer
Chutes d'eau
Arbres chevelus moussus
Lourdes feuilles caoutchoutées luisantes
Un vernis de soleil
Une chaleur bien astiquée
Reluisante
Je n'écoute plus la conversation animée de mes amis qui se partagent les nouvelles que j'ai rapportées de Paris
Des deux côtés du train toute proche ou alors de l'autre côté de la vallée lointaine
La forêt est là qui me regarde et m'inquiète et m'attire comme le masque d'une momie
Je regarde
Pas l'ombre d'un oeil »

Le poète, tel le Phénix que son pseudonyme symbolise (Blaise Cendrars = braises + cendres), consume et exploite sa vie toute entière, ses voyages, ses observations de la vie quotidienne et même ses lectures (emprunts de formules et de « sujets » à Nerval, Gustave le Rouge, Schopenhauer, Apollinaire, Maurice Calmeyn…) dans ses poèmes.
J'aime ces poèmes pour la qualité des observations de l'auteur, sa verve inépuisable, son goût des mots et son sens de l'image.
Mais la personnalité qui affleure dans tant de ses textes ne me plaît guère : le contentement de soi, qui frise parfois la mégalomanie (il s'identifie à la constellation d'Orion – plus exactement, il se plaît à penser que sa main coupée est devenue cette constellation, ce qui fait un peu dieu de la mythologie grecque !), ses fanfaronnades et ses « emprunts » à divers auteurs ; il y a par exemple dans Kodak une longue Chasse à l'éléphant de quatre pages, poème dans lequel il se présente lui-même en redoutable chasseur ; pourtant, la seule incursion de Cendrars en Afrique est une escale à Dakar sur le chemin du Brésil et cette fameuse chasse est copiée sur le livre de Calmeyn, Au Congo belge. Oh, époque innocente et bon enfant ! Aujourd'hui, l'auteur pillé ou ses ayants-droits intenteraient aussitôt un procès au plagiaire...
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