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Citations sur Terra Alta (76)

Le sous-inspecteur Goma remet le crayon dans le pot en métal et se renverse dans son fauteuil tandis que, près de lui, la sergente Pires croise les bras sur sa poitrine. Melchor aperçoit le tatouage du cœur rouge traversé d’une flèche noire sur sa clavicule et, levant les yeux, se rend compte qu’elle a surpris son regard ; un sourire moqueur flotte sur ses lèvres. Assis à côté de Melchor, Salom tente de dissimuler sa gêne en feignant de s’intéresser moins à ce qui se passe dans le bureau qu’à ce qui se passe derrière la fenêtre, sur l’allée bordée de platanes, où il ne se passe rien.
- Moi aussi je pense que les assassins étaient des pros, commence Melchor. Mais j’ai du mal à croire que c’étaient de simples voleurs.
- Et pourquoi ? Demanda le sous-inspecteur.
- Parce que je trouve ça invraisemblable que des voleurs s’amusent à torturer comme ça deux personnes âgées.
- Je suis du même avis, intervient Pires. Le problème, c’est que la réalité est pleine d’invraisemblance. Et en cela, elle ne ressemble pas aux romans, n’est-ce pas ?
Melchor est habitué à ce que ses supérieurs et ses collègues ironisent sur sa réputation de lecteur. L’ironie ne le dérange pas, et ce n’est pas son genre de l’esquiver.
- Pas aux bons romans, répond-il. Mais aux mauvais, oui.
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Il lève les yeux vers Melchor et lui adresse un regard vieilli, un peu triste.
- Écoutez, faire justice c'est bien. C'est pour ça que nous sommes devenus policiers. Mais quand on pousse le bien à l'extrême, il se transforme en mal. C'est ce que j'ai appris au cours de toutes ces années. Et autre chose. La justice n'est pas seulement une question de fond. C'est surtout une question de forme. Aussi, ne pas respecter les formes de la justice revient à ne pas respecter la justice. Vous comprenez, n'est-ce pas ?
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… ici c'est une terre inhospitalière, très pauvre. Elle l'a toujours été. Une terre de passage où ne restent que les gens qui n'ont d'autre solution que de rester, ceux qui n'ont aucun autre endroit où aller. Une terre de perdants. Personne n'aime cette comarque, c'est ça la vérité. Et la preuve en est qu'on se souvient de nous uniquement quand il faut nous bombarder. Pour quoi nous connaît-on en dehors d'ici ? Pour la bataille la plus féroce qu'a connue ce pays, pour une tempête de feu comparable à un châtiment biblique, une apocalypse qui a tué des jeunes gens venus du monde entier. Évidemment, nous n'avons eu voix au chapitre, mais la bataille nous a laissé cette terre transformée en un désert plus noir encore que ce qu'il était avant cela, un endroit où, quatre-vingts ans après, on peut encore trouver des éclats d'obus sur les collines, et si on n'en trouve pas davantage, c'est parce que pendant des années on s'est chargé nous-mêmes de les collecter et de les revendre, pour éviter de mourir de faim. C'est ça, la Terra Alta.
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Melchor vécut les jours qui suivirent les attentats terroristes dans un tourbillon de confusion absolue. Le bilan des attaques fut dévastateur : seize morts et une centaine de blessés à Barcelone ; un mort et six blessés à Cambrils. Au total, six terroristes abattus dont quatre par Melchor. (Les autres terroristes de la cellule qui avait organisé et perpétré les attentats, douze en tout, furent eux aussi tués ou arrêtés.) Pour Melchor, en revanche, le bilan fut différent. Bien qu’on tentât dès le premier instant de préserver le secret de son identité, afin d’éviter de possibles représailles islamistes, il devint du jour au lendemain le héros officiel de la corporation : les félicitations de ses collègues, de ses supérieurs et des politiques pleuvaient, ces derniers cherchant la manière d’exploiter son fait d’armes. La presse, à sa façon, essaya elle aussi de l’exploiter. On le surnomma « le héros de Cambrils » et des rumeurs sur lui ne tardèrent pas à circuler : on dit que c’était une femme, on dit qu’il était un ancien légionnaire, ce qui expliquait sa réaction et son adresse dans le maniement des armes, on partit du principe qu’il était rattaché au commissariat de Cambrils.
Melchor ne se sentait pas particulièrement fier de ce qu’il avait fait et vivait la situation avec une inquiétude grandissante, paralysé par cette agitation qui l’empêchait de penser clairement. Une phrase des Misérables ne cessait de lui marteler le cerveau : « C’est un homme qui fait de la bonté à coups de fusil ». Aussi Vivales dut-il prendre les choses en main et exiger que le syndicat de police fasse parvenir une protestation formelle au ministère de l’Intérieur dans laquelle on regrettait que le gouvernement catalan ait laissé filtrer dans la presse certaines données personnelles et une photo de Melchor, prise de dos et presque de profil, recevant les applaudissements de ses collègues, de ses supérieurs et même du président de la généralité, Carles Puigdemont, ce qui entrait en criante contradiction avec l’objectif qui était, en théorie, de le protéger des acolytes des terroristes ; la lettre du syndicat exhortait également le ministère à mettre en place les mesures appropriées pour garantir l’anonymat absolu et la sécurité de Melchor.
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Javert l’éblouit. Ce que Melchor éprouvait pour cet individu marginal et marginalisé était bien plus complexe et plus subtil que tout ce qu’il avait éprouvé pour Jean Valjean. Javert était le méchant du roman, l’auteur l’avait créé pour que son antipathie rocailleuse, sa véhémence légaliste et son fanatisme parfois diabolique fassent naître le mépris chez le lecteur. Mais Melchor savait aussi que, peut-être malgré l’auteur, Javert avait un autre visage, et il sentait que derrière sa défense entêtée des règles, derrière ses efforts inflexibles pour combattre le mal et imposer la justice, il y avait une générosité et une pureté diamantines, une volonté idéaliste, chevaleresque et sans faille de protéger tous ceux qui avaient pour seul recours la loi, une conscience héroïque du fait que quelqu’un devait sacrifier sa réputation et son bien-être personnel pour préserver le bien-être commun. Face à la mielleuse vertu publique de M. Madeleine, Javert incarnait la vertu déguisée en vice, la vertu secrète, la vertu véritable.
À la fin du roman, il était bouleversé, persuadé qu’il n’était plus la même personne que lorsqu’il avait commencé sa lecture et qu’il ne le serait jamais plus. Cette fois, quand il rapporta le livre à la bibliothèque, le Français lui demanda ce qu’il en avait pensé. Encore secoué par sa lecture, Melchor lâcha ex abrupto ce qui lui sortait des entrailles :
– Putain, c’est génial !
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C’est la première fois que Melchor est confronté à une scène de meurtre depuis qu’il est en Terra Alta. Avant cela, il en a souvent été témoin, mais il ne se souvient pas d’avoir jamais rien vu de semblable.
Deux amas ensanglantés de chair rouge et violacée se trouvent face à face, sur un canapé et un fauteuil baignés d’un liquide grumeleux – mélange de sang, viscères, cartilages, peau – qui a aussi éclaboussé les murs, le sol et même la hotte de la cheminée. Une violente odeur de sang, de chair torturée et de supplice flotte dans l’air, ainsi qu’une impression étrange, comme si ces quatre murs avaient conservé les hurlements du calvaire auquel ils ont assisté ; en même temps, Melchor croit percevoir dans l’atmosphère de la pièce – et c’est probablement ce qui le trouble le plus – comme un parfum d’exultation ou d’euphorie, quelque chose qu’il ne parvient pas à définir avec des mots et qui, s’il les trouvait, se laisserait éventuellement définir comme les vestiges festifs d’un carnaval macabre, d’un rituel dément, d’un joyeux sacrifice humain.
Fasciné, Melchor avance vers ce double amoncellement de chair terrifiant, prenant garde de ne pas piétiner d’indices (il y a par terre deux morceaux de tissu déchirés et trempés de sang, qui ont sans doute servi à bâillonner quelqu’un) et, s’approchant du canapé, se rend tout de suite compte que les deux masses ensanglantées sont les deux cadavres méticuleusement torturés et mutilés d’un homme et d’une femme. On leur a crevé les yeux, arraché les ongles, les dents et les oreilles, on leur a coupé les mamelons, on leur a ouvert le ventre de haut en bas pour en extirper les tripes et les éparpiller tout autour. Hormis cela, il suffit de voir leurs cheveux d’un gris blanchâtre et leurs membres décharnés et flasques (ou ce qu’il en reste) pour comprendre qu’il s’agit de deux personnes âgées.
Melchor se dit qu’il pourrait contempler ce spectacle durant des heures à la lumière asthénique de la lampe suspendue au plafond.
– Ce sont les Adell ? demande-t-il.
Mayol, resté à quelques mètres de distance, s’approche, et il réitère sa question.
– Je crois bien, répond le patrouilleur.
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Pasternak était poète, dit Olga. Tu aimes la poésie ?
— Pas tellement, reconnut Melchor qui avait lu peu de poésie. Les poètes, pour moi, ce sont des romanciers paresseux.
Olga eut l’air songeur.
— Peut-être, dit-elle. Mais pour moi, presque tous les romanciers sont des poètes qui écrivent trop. 
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Ici c'est une terre inhospitalière, très pauvre. Elle l'a toujours été. Une terre de passage où ne restent que les gens qui n'ont d'autre solutions que de rester, ceux qui n'ont aucun autre endroit où aller. Une terre de perdants.
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(...) La justice c'est une question de forme (...) , la justice absolue peut-être la plus absolue des injustices.
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Je n'ai jamais compris pourquoi je devrais lire sur ce qui n'a pas eu lieu quand je peux lire sur ce qui arrive vraiment. La poésie c'est cela, c'est ce qui arrive vraiment.
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