Je comprends pourquoi tant d'indiens nous haïssent, ceux de l'Oriente plus encore que les Andins. Depuis les conquistadors, depuis cinq cent ans, nous n'avons jamais cessé de leur faire du mal.
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Notre cerveau nous joue des tours habiles : malgré le naufrage de la précédente rencontre, j'ai réussi à me persuader que tout n'avait pas été négatif.
- L'oléoduc ? Chez nous, on le nomme El Site, sistema de oleoducto transecuadoriano. Il part de Lago Agrio et il arrive dans ma ville, Esmeraldas.
- J'étais sûr que tu venais du Pacifique. Et tu veux que je te dise ? Je me moque du nom de ce tuyau. Cette saloperie de tuyau. En 1987, un tremblement de terre l'a cassé sur une longueur de quarante kilomètres. Les Blancs sont arrivés très vite, je peux te le garantir. Pas pour nous protéger, ni pour essayer de mettre à l'abri la forêt et ses animaux. Juste parce que ça leur faisait perdre beaucoup d'argent. Ils n'ont pensé que réparer le tuyau. Pas aux Indiens.
Chez nous, c'est un peu comme si les gens étaient contenus, contenus, contenus toujours par la misère, par le quotidien écrasant de l'absence d'argent, par le spectacle affreux de leurs propres enfants qui s'étoilent par manque de soins et de nourriture, parfois d'eau potable. Alors, dans la fête, on explose comme un ballon trop gonflé parce qu'il y a tant à relâcher.