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François Cheng nous fait entendre le langage de la peinture chinoise et tente de nous faire comprendre la syntaxe de ses signes.
Qu'est ce qu'un langage sinon la communication de l'expression d'une pensée au moyen de signes ?

La peinture chinoise est donc une « pensée en action », et plus encore un art de vivre, une philosophie, « la somme de leur conceptions de la vie », « En Chine, de tous les arts, la peinture occupe la place suprême ». Suprême parce que sacrée, parce que révélatrice, parce que re-création.
« En chine, l'art et l'art de la vie sont indissociables ». Dans ce « lieu médiumnique », le peintre se transporte, rejoint, atteint.

La tradition picturale chinoise remonte au début du premier millénaire. Successions de dynasties, unifications, divisions, invasions n'eurent de cesse de se succéder. À travers les siècles la peinture n'a cessé de se développer. Depuis la grande dynastie des Chin (3e-5e siècles) jusqu'à celle des Ts'ing (17e–19e siècles), les noms de ces grands peintres ont tracé chaque épisode de son illustre histoire.

Cheng s'attache ici à l'exploration du langage picturale profane, délaissant le courant religieux. Profane mais empli de spiritualité.

L'art du trait, voilà la base de cet art. le trait. Immanquablement il nous revient en mémoire l'étude du point et ligne sur plan de Kandinsky. Ce point qui commençant à vivre, en devenant ligne, évoluant en « nécessité intérieure ». « Voilà le monde de la peinture » disait Kandinsky. Il y a là extraordinaire résonance. « Une ligne unit autant qu'elle divise » écrit Brusatin dans Histoire de la ligne. Et il ajoute « Un point génère le monde, deux points génèrent une vie qui est une ligne... ». le « Peindre » est donc acte universel. « Poser un point, c'est semer un grain ; celui-ci doit pousser et devenir... » Huang Pin-Hung.
Le Trait donc. Ce trait de l'Esprit qui prononce l'état de l'âme. « Un et Multiple ». le Trait d'Union entre l'homme et le surnaturel. Surnaturel puisqu'il devient « aussi vrai que la Nature elle-même ».
Voyages vers des espaces intérieurs infinis, le paysage n'est jamais figuratif. Pour entrer dans ce lieu, il faut comprendre l'aspiration du peintre. « Le regard du peintre est tourné vers le dedans ».
S'il est une particularité propre à ces peintures, c'est la place qu'elles offrent au Vide.
Tout ne se remplit pas. Tout ne se recouvre pas. Rien n'est lié. Tout est relié. Pleins, déliés, vagues, nuages, brumes, tendent par leur multiplicité à l'unité.
Et c'est par ce Vide, ces souffles vitaux que l'unicité de l'oeuvre peut apparaître. « tout est là dans le coeur ».
Le Vide est agissant, dynamique, l'espace nécessaire aux transformations, le lieu où le Plein peut se réaliser, le vide, ce non-avoir, ce Rien, cet élément central de l'école taoïste, l'école de la Voie. La Vallée qui mène à la Plénitude.
« La Grande Vallée est le lieu où l'on verse sans jamais remplir et où l'on puise sans jamais épuiser » - Chuang - Tzu.
L'Eau devient Montagne, la Montagne peut être Eau.
Voici leur Devenir réciproque, « cet universel écoulement, cet universel embrassement ».

Le Vide est le lieu du passage, le lieu des Mutations. Car les choses se reflètent les unes dans les autres. Il n'y a pas de dissociations, il y a basculement, embrassement. Tout n'existe qu'à la condition du Rien. « Toute chose réalise son même et son autre et par là atteint sa totalité ». La peinture chinoise est « une philosophie de vie en action ».

Il s'y passe quelque chose, quelque ici se réalise, aussi bien pour le peintre que pour le spectateur.
Le peintre prend vie dans son acte. La peinture chinoise ne copie pas, ne reproduit pas, ne mime pas, n'interprète pas, ne filtre pas, elle vit l'intériorité de l'être.

Le Vide, lieu d'émanation de l'Un, le Souffle primordial qui donne naissance au deux souffles vitaux : la force active le Yang et la douceur réceptive le Yin. Par leurs continuelles interactions ils animent les dix mille êtres du Monde.
Et pour que ces interactions se réalisent il faut l'action du vide médian qui entraîne les souffles vitaux dans un devenir réciproque.
Il est en somme le maître du ballet harmonique de l'équilibre du monde.
Et c'est ce vide médian résidant en toute chose qui permet à celle-ci d'être en relation avec le Vide suprême.
Deux axes régissent la cosmologie de cet univers. « un axe vertical qui représente le va-et-vient entre le Vide et le Plein, le Plein provenant du Vide et le Vide continuant à agir sur le Plein ; un axe horizontal qui représente l'interaction, au sein du Plein, des deux pôles complémentaires Yin et Yang dont procèdent les Dix mille êtres, y compris l'Homme, microcosme par excellence ». « Le Vide est la vêture du Yang et le Plein coeur du Yin ». Ting Kao.
Le devenir de l'Homme, troisième génie de l'Univers, avec le Ciel et la Terre, réunit en lui leurs vertus et il doit les mener à l'harmonie.
Voilà son voyage initiatique. « c'est ce qu'on appelle la nature innée. Qui perfectionne sa nature fait retour à sa vertu originelle. Qui atteint à sa vertu originelle s'identifie avec l'Origine de l'univers et par elle avec le Vide. »
Dans le coeur de l'Homme doit ainsi devenir le miroir du monde et voir apparaître en lui images et formes et maîtrisant l'Espace et le temps, il maîtrise la loi de la Transformation.
Ainsi est il possible, en suivant la Voie du Tao, de devenir miroir du monde et de soi-même, là s'inscrit la possibilité de vivre.
Rapport, harmonie, équilibre, rythme, mouvement, réciprocité, sont les points majuscules de la pensée et donc de la peinture chinoise, illustrant le Cycle infini du Tao.
Infini et non éternité, voici la grande spécificité de cet espace.
Dérouler une peinture c'est Dénouer le Temps. C'est rejoindre l'Esprit du Monde. Atteindre le Retour, cette « reprise en charge de toute la vie remémorée ou rêvée, sans cesse jaillissante », c'est entrer dans le mouvement circulaire de la Création. Par la « conscience du blanc et a contenance du Noir » accéder au Mystère, à la vision Suprême.
Le Trait, par l'encre et le pinceau, par l'esprit et la main, par le Souffle, par le coeur, par la structure de l'esprit, par l'harmonie de tout équilibre, par le rythme de l'écoulement de chaque chose en toute chose, est devenu un Art.
Pour citer Brusatin, il faut comprendre « comment se construit celui qui construit », ceci afin de parfaitement saisir la vérité de ce qui se construit.
C'est ce que François Cheng par « le Vide et le Plein, le langage pictural chinois », a parfaitement réalisé.
Astrid Shriqui Garain
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Tout jeune, c'est avec cet ouvrage que j'ai découvert François Cheng et la pensée sous-jacente à la peinture chinoise. Cet essai m'avait profondément marqué et c'est avec lui que je m'étais exercé pour la première fois au Shan shui, littéralement « montagne et eau », un style de peinture traditionnelle chinoise alliant expression littéraire et picturale au travers de la représentation d'un paysage naturel.

Comme le rappelle l'auteur, « en Chine, de tous les arts, la peinture occupe la place suprême. » C'est sans doute parce que nulle autre expression artistique ne possède une telle dimension syncrétique. Au travers de cet essai, François Cheng nous présente les éléments essentiels de la pensée philosophique et esthétique chinoise, mettant l'emphase sur une notion centrale, celle du Vide, avant de l'illustrer à partir de l'oeuvre du célèbre Shitao, plus connu en France sous le nom de Moine Citrouille Amère, artiste peintre, poète et calligraphe de la dynastie Qing. Cette seconde partie m'avait parue à l'époque un peu plus cryptique, et ce n'est que bien plus tard, grâce à l'influence de Fabienne Verdier, que j'ai redécouvert Citrouille-Amère avec la traduction de ses propos et les commentaires de Pierre Ryckmans.

Après des préliminaires brossant rapidement l'évolution de l'art pictural au travers des dynasties chinoises, c'est donc au Vide que François Cheng consacre l'essentiel de son essai. le Vide est un pivot autour duquel s'articulent toutes les formes artistiques (peinture, poésie, musique, théâtre) et même notre quotidien. Que serait la musique sans les silences entre les notes ? A quoi servirait une cruche sans le vide qui caractérise son usage ? de même, le vide structure la peinture et permet aussi de comprendre la philosophie et la cosmogonie chinoises. Cheng décortique les dualités (Pinceau-Encre, Yin-Yang, Montagne-Eau, Homme-Ciel), cite Lao-Tzu et Confucius, mais aussi Matisse et Ryckmans, nous emmène en voyage guidé dans les paysages peints et les poèmes qui les accompagnent, ne manquant pas d'offrir de nombreuses images pour accompagner ses propos.

Un essai érudit et lumineux, relu avec grand plaisir.
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Pour qui s'intéresse à l'esthétique de la peinture chinoise et à l'influence de la pensée chinoise sur l'art pictural, l'essai de François Cheng constitue à la fois une référence incontournable et une introduction idéale.
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Pour explorer, se plonger dans un shanshui, un paysage d'eau et de montagne, découvrir la rigueur de l'équilibre et le bonheur de la fuite du pinceau, saisir le sens de la pose de l'encre sans repentir, faire sens avec la perception du beau niché dans la nature...
Un livre essentiel pour amateur éclairé ou spécialiste.
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Je n'aurais pas du commencer la lecture de Cheng par ce livre-là, j'ai rien pigé...................
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Livre pour public averti ouverture vers la peinture chinoise.
Analyse très structurée, basée sur des citations d'artistes
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Pour qui s'intéresse non seulement à la peinture chinoise, mais surtout à la pensée chinoise, cet essai est une assez bonne vulgarisation qui permet au travers de l'exemple de la peinture de comprendre la notion de vide (et de plein) comme élément dynamique de l'univers, de la cosmogonie. A l'aide de nombreuses citations, nous appréhendons ce qui se cache derrière ces paysages peints certes beaux mais pas toujours accessibles. On voit alors s'ouvrir le cheminement, l'art par la contemplation. Pour la contemplation, les symboles, la philosophie (montagne et eau, le paysage dans l'homme et l'homme dans le paysage).

L'introduction qui résume l'histoire de la peinture chinoise, citant de nombreux noms manque d'illustrations et je conseille de chercher sur le net.

Ensuite, on se concentre beaucoup sur Shi Tao (le moine citrouille amère auteur des propos sur la peinture). A ce niveau, c'est intéressant mais redondant et si la synthèse permet une compréhension rapide avec une bonne contextualisation, lire le moine citrouille amère devient un impératif pour mieux comprendre.

Après lecture de ce petit ouvrage, j'ai regardé le paysage de montagne autour de lac Léman différemment, avec un autre ressenti.
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